« Des bâtiments basse consommation
pour tous »
Parmi les secteurs économiques, le bâtiment est le plus gros consommateur en énergie. Il représente plus de 40 % des consommations énergétiques nationales, et près de 25 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2). C’est pourquoi le Grenelle de l’environnement a prévu que tous les logements neufs construits devraient correspondre à la norme « Bâtiment basse consommation » (BBC) dès 2011 pour les bureaux et les équipements et 2013 pour les logements. Cela signifie que les constructions neuves ne devront pas consommer plus 50 kWh par mètre carré et par an, soit cinq fois moins que la consommation actuelle moyenne des bâtiments en France qui est de 260 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an. Pour la rénovation l’exigence est ramenée à 80 kWh/m²/an.
Mais dans le même temps, les difficultés de logement sont grandes. Depuis 2000, la très forte augmentation des prix des logements (+ 66 % en dix ans) a désolvabilisé bon nombre de candidats à l’accession à la propriété, malgré l’effort considérable de Rennes Métropole à travers son Programme local de l’habitat (PLH). Alors qu’en serat-il demain avec des logements de meilleure efficience énergétique, donc, a priori, plus coûteux à produire ?
C’est dans ce contexte que Rennes Métropole a décidé début 2008 de lancer un appel à équipes auprès des communes de l’agglomération, « BBC pour tous en 2012 – Construire la qualité ordinaire de demain » et a demandé à l’Audiar et à l’Agence locale à l’énergie du Pays de Rennes (CLé) de participer à sa mise en place.
Les élus étaient en effet conscients que le virage à prendre était très difficile à négocier. Comment passer de quelques bâtiments à haute qualité environnementale à une généralisation si rapide de la norme BBC à toutes les constructions neuves ? Quels problèmes techniques vont se poser ? Comment éviter les surcoûts ? Comment soutenir l’ensemble des acteurs concernés et l’adaptation des entreprises ?
Les enjeux et les difficultés sont effectivement considérables. Les défis ne pourront être surmontés que si la chaîne de la construction apprend à travailler et à innover ensemble. On ne fait pas un bâtiment basse consommation comme on construisait auparavant un immeuble classique.
En effet, le standard « Bâtiment basse consommation », inscrit dans le Grenelle 2, à la différence des autres normes en vigueur en France, exige une vérification des résultats après réalisation, notamment par un test d’étanchéité à l’air, et non pas uniquement un calcul théorique. Il nécessite donc un souci des détails constructifs et une parfaite coordination lors de la mise en oeuvre.
Mais pour mettre en mouvement toute une chaîne d’acteurs, il fallait d’abord connaître leurs compétences, comprendre les problèmes qu’ils rencontraient, leurs besoins d’échanges et de formation, etc. C’est pourquoi, avant de lancer l’appel à équipes, des interviews ont été effectuées auprès d’une vingtaine d’acteurs du territoire : élus, aménageurs, administrations, architectes, bureaux d’études techniques, entreprises… Ceux-ci ont été accompagnés d’une série de trois dîners-débats de mars à octobre 2008. Le but était de faire émerger des objectifs communs à l’ensemble des acteurs pour définir la forme que devait revêtir l’appel à équipes.
Ces dîners-débats commençaient par une conférence d’une personnalité extérieure, suivi par un dîner pendant lequel une trentaine d’acteurs du territoire travaillaient par groupes pour ressortir des questionnements précis et faire émerger des idées.
De ces interviews et de ces dîners-débats émergèrent des constats, des orientations et des pistes de travail qui débouchèrent sur deux grands objectifs :
• concilier objectifs de performance et limitation des coûts de construction ;
• développer une filière de compétences à Rennes et en Bretagne pour la production de bâtiments basse consommation qui permette une généralisation en s’appuyant sur un savoir-faire local. Les principaux constats étaient en effet les suivants :
• Le problème technique, s’il compte, n’est pas le plus important. Un bâtiment basse consommation, on sait faire techniquement mais à quel coût ? C’est le mode de conception du projet qui doit être revu en intégrant dès le début l’ensemble de la chaîne de la construction dans une équipe pluridisciplinaire ;
• Il faut prendre en compte la solvabilité des ménages, l’évolution des modes de vie et des attentes des habitants ; Les orientations qui en découlaient visent donc à :
• Construire le triangle vertueux : sensibilisation, formation, construction d’une culture commune ; au-delà de la dizaine d’équipes intégrée à l’appel à équipes, il faut donc diffuser vers l’ensemble des acteurs de l’aménagement et de la construction ;
• Passer d’une approche linéaire où les contraintes s’ajoutent les unes aux autres à la prise en compte simultanée des différents intérêts et obligations des acteurs pour réduire les coûts et optimiser le projet ;
• S’engager dans une démarche apprenante, par paliers successifs, où le retour d’expérience et le partage des échecs et succès permettent une avancée collective ;
• Offrir les conditions nécessaires à l’innovation et à l’apprentissage collectifs en laissant de l’espace pour inventer : éviter les cahiers des charges trop précis qui figent et aller plutôt vers des exigences claires, réalistes et chiffrées avec une évaluation des résultats.
L’appel à équipes « BBC pour tous en 2012, organiser ensemble la qualité ordinaire de demain » a été lancé fin novembre 2008 auprès des 37 communes de l’agglomération rennaise. Puisque l’on cherche à libérer le plus possible l’innovation, quasiment les deux seuls objectifs demandés aux équipes étaient d’atteindre la norme BBC pour la Bretagne et de maîtriser les coûts.
Des débats ont eu lieu pour savoir s’il fallait viser tout de suite des bâtiments passifs ou à énergie positive (qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment). Mais, il a été considéré que pour aller vers une généralisation, il fallait une démarche par palier qui donne le temps au territoire de s’adapter. C’est pourquoi l’objectif BBC a été retenu. L’engagement des équipes ne porte pas sur les moyens mais bien sur les résultats à atteindre, résultats qui seront évalués.
Quatre catégories de bâtiments sont retenues : des logements ou des équipements et, dans les deux cas, du neuf ou des bâtiments existants. En effet, si l’effort sur la construction neuve est certes essentiel, il faut également agir sur le parc existant : c’est là que le potentiel d’économie d’énergie est le plus important.
Neuf équipes de neuf communes différentes ont été retenues par l’appel à projet, dont six concernent des opérations de logements neufs que ce soit en collectif, en intermédiaire ou en individuel dense. Deux projets concernent la réhabilitation de bâtiments existants pour les transformer en logements et un la rénovation d’un groupe scolaire.
Les équipes sont constituées de représentants de la commune, du maître d’ouvrage quasiment toujours public ou parapublic, de l’aménageur, de l’architecte, d’un thermicien, d’un économiste de la construction, de représentants de bureaux de contrôle ainsi que d’habitants ou d’usagers. Malheureusement, le statut des maîtres d’ouvrages (soumis pour la plupart au code des marchés publics ou assimilés pour la partie de production en logements aidés) empêche d’associer les entreprises dès le départ au projet, ce qui est dommageable car leur point de vue ne peut être intégré en amont, alors qu’il peut être particulièrement important.
La démarche vise à faire évoluer les méthodes de travail des acteurs de la construction et repose sur le principe du « processus de conception intégré » (PCI), méthode importée du Canada par Wigwam, le mandataire du groupement recruté par Rennes Métropole pour lui venir en appui et coanimer la démarche. L’idée est d’inverser les habitudes de travail actuelles où l’architecte conçoit d’abord la forme du bâtiment dans laquelle les divers intervenants viennent ensuite « caser » leurs contraintes. Dès le début, l’ensemble de l’équipe travaille ensemble et coélabore le projet avant qu’il ne soit dessiné par l’architecte. Il s’agit notamment de travailler beaucoup plus en amont, quand les choix sont plus ouverts qu’en aval à un moment où tout changement peut entraîner des coûts très importants.
Les neuf équipes bénéficient d’un accompagnement individuel, aux moments clés des projets, de la conception à la réalisation. En phase de conception, six séances de travail par équipe, appelées « charrettes » ou « ateliers de conception collaborative », ont réuni tous les acteurs de chaque projet afin de relier les différentes compétences pour que chaque décision ait le maximum de répercussions positives sur les autres domaines du projet.
Ces séances ont été animées par un facilitateur issu soit du groupement Wigwam, soit des autres porteurs de la démarche, Rennes Métropole, l’Audiar et l’Agence locale de l’énergie (le Clé). Ces séances de travail ont été précédées d’ateliers destinés à développer une culture technique commune à la fois pour les membres des équipes mais aussi pour l’ensemble des acteurs de la construction du territoire dont les compétences doivent être accrues en vue de la généralisation du BBC. Cette série de six ateliers s’est déroulée au 1er semestre 2010 avec la participation de 200 à 250 personnes à chaque séance. Elle a abordé des thématiques telles que la maîtrise des coûts, l’évolution des modes de vie, les systèmes constructifs et la conception de l’enveloppe ou l’usage et la gestion des bâtiments.
Le premier point d’étape a eu lieu fin juin 2010, à la fin de la période de conception des projets, avant d’entrer en phase opérationnelle. S’il est beaucoup trop tôt pour faire un bilan de la démarche, des premières réactions se sont exprimées.
Tous ont apprécié la convivialité du travail en commun, la qualité des échanges, le rôle important du facilitateur, même s’ils ont trouvé difficile de sortir de leurs propres compétences techniques. Mais la plupart ont trouvé la démarche coûteuse en temps et en énergie et se demandent si le temps passé sera bien récupéré par la suite, même si certains ont souligné qu’on résolvait en amont des problèmes qui seraient apparus plus tard. Un élu souhaite systématiser cette démarche pour les équipements publics. En revanche, on peut penser que le nombre de séances de conception collaborative, bien adapté pour des projets complexes, n’est pas reproductible sur de petits projets. Dans ce cas, il faut sans doute adopter une approche, certes intégrée, mais plus légère sous la forme d’une ou deux rencontres en amont du projet.
La démarche devra notamment déboucher sur un catalogue de solutions techniques, si possible associé à une grille standardisée d’analyse des coûts. Cette dernière permettrait de comparer de manière objective les différentes solutions et de progresser plus rapidement vers une optimisation. Il est à noter que cette grille existe en Allemagne par exemple où tous les acteurs sont tenus de s’y conformer. La capitalisation de la démarche portera également sur la reproductibilité de l’approche intégrée (ses apports et les nécessaires adaptations) ainsi que sur des pistes de travail pour l’adaptation des compétences et des emplois et le développement de formations adaptées. Si l’Insa de Rennes et le Crepa Bretagne ont été associés à la démarche dès l’origine, il reste encore beaucoup à faire pour que la formation tant initiale que continue contribue à un changement de culture de l’ensemble des acteurs avec des visions moins sectorielles et plus intégrées.
La démarche « BBC pour tous en 2012 » sera réussie si les bâtiments correspondent effectivement aux normes visées, si leur coût est resté limité et si elle enclenche réellement une montée des compétences de l’ensemble des acteurs du territoire et d’autres manières de travailler. Comme l’a dit Marika Frenette, dirigeante de Wigwam, l’objectif n’est pas de « faire le projet du siècle », mais « de faire un bon projet à chaque fois ! ».