PLACE PUBLIQUE > Rennes Métropole va adopter un plan climat, sans doute lors de son conseil du 21 octobre. De quoi s’agit-il ?
BERNARD POIRIER > D’abord une précision : le plan climat sera adopté à la fois par le conseil de Rennes Métropole et par les conseils municipaux des communes membres. C’est un « Plan climat-énergie Territoire ». C’est un programme d’actions liées au réchauffement climatique et à l’avenir de la planète. Il vise à rejeter moins de gaz à effet de serre, de gaz carbonique (CO2) notamment, à consommer moins d’énergie et plus efficacement, à utiliser plus d’énergies renouvelables. Le réchauffement climatique ne pourra pas être retardé si nous ne nous mobilisons pas, là où nous vivons, dans nos communes, sur nos territoires. Les collectivités, Rennes Métropole et chaque commune membre, ont leur rôle à jouer, chacune par exemple sur la consommation en énergie des ses propres bâtiments, chacune dans les champs de responsabilité qui sont les siens. Par exemple, les transports en commun sont de la responsabilité de la Métropole, mais les chemins piétonniers sont du ressort de chaque commune. C’est pour cela qu’elles doivent chacune se prononcer.
PLACE PUBLIQUE > Toutes ne vont pourtant pas le faire ?
BERNARD POIRIER > Trente-trois communes sur trente-sept sont prêtes à s’engager dans cette démarche lourde et de longue durée. Les quatre autres ont estimé qu’elles n’en ont pas les moyens dès maintenant. Mais il ne s’agit pas de désaccords. Nous sommes partis, il y a un an et demi, avec sept communes volontaires. Nous sommes trente-trois aujourd’hui. Tout le monde finira par s’y mettre. C’est d’autant plus méritoire que les plans « Climat » qui ont été prévus par les accords de Grenelle 2 sur l’environnement ne seront obligatoires que dans les villes de plus de 50 000 habitants.
PLACE PUBLIQUE > Est-ce plus efficace de lutter contre le réchauffement climatique à l’échelle d’un territoire plutôt qu’à l’échelle nationale ?
BERNARD POIRIER > Le plan climat n’est pas un plan technique. C’est un plan de cohésion sociale du territoire. La ville durable, ce n’est pas seulement une ville plus verte pour quelques-uns. C’est la ville que les gens habitent, la ville qu’ils aiment, la ville qui n’exclut pas. Car le climat peut devenir un formidable moyen d’exclusion. Cela pourrait déjà être le cas entre les pays développés, les pays émergents et les pays pauvres. Ce pourrait être le cas aussi entre les catégories les plus riches et les couches les plus défavorisées. La question de l’énergie peut être un facteur de discrimination, l’une des causes de la précarité. Aujourd’hui, 13 % des gens n’ont plus les moyens de payer leurs factures de gaz ou d’électricité. Si demain on interdit les voitures les plus polluantes et si les nouveaux modèles coûtent deux fois plus cher, qui pourra rouler ? Seulement les riches ? C’est aussi le but d’un plan climat d’éviter de creuser le fossé des inégalités. Et ça, on ne peut le faire qu’au plus près des gens. Et puis, le climat c’est un grand enjeu politique qui ne se divise pas. Le réchauffement ne s’arrête pas aux frontières. Si chacun ne s’en occupe pas, personne ne le fera. Il faut en même temps que soient adoptées de grandes décisions internationales et nationales et que chacun se prenne par la main, dans le respect de la démocratie, sans attendre que des mesures autoritaires soient prises.
PLACE PUBLIQUE > Quel est le contenu du plan climat ?
BERNARD POIRIER > Un tel plan doit mobiliser tout le monde ; il exprime une volonté forte des responsables du territoire ; il indique des orientations majeures dans les domaines du transport et de la mobilité, de l’habitat et de l’énergie et il appelle tous les acteurs et tous les habitants à s’y associer. Les élus ont leur part de responsabilité, mais elle ne concerne que 10 % du problème. Aussi, à partir d’octobre 2010, le comité de développement du Pays de Rennes (Codespar) qui réunit les forces économiques, syndicales et associatives va mettre en route toute une mécanique qui permettra aux chefs d’entreprises, aux institutions, aux associations, aux universités de nous dire : « Voilà ce que nous pouvons faire ». Et puis nous discutons encore de la manière dont les habitants seront associés. Prenons les mobilités. On a (ou on n’a pas) le choix d’utiliser sa voiture pour aller au travail ou de s’associer avec un collègue pour mettre en place un covoiturage ; de faire 500 m en voiture pour aller acheter sa baguette de pain ou de prendre son vélo. C’est à cela qu’il faudra réfléchir, la collectivité pouvant aider à changer les comportements. Par exemple en aménageant une aire de covoiturage ou une piste cyclable. En favorisant des modes de déplacement doux pour accéder aux services de proximité, aux commerces, au médecin, à l’école. C’est d’abord dans chaque commune que ça se discutera. Ce sera aussi concret que ça. On pourra aussi décider de s’intéresser à des populations plus fragiles. Diversifier son alimentation, par exemple, manger des fruits et des légumes de saison, cultivés sur place et non pas importés par avion, c’est souvent une affaire d’éducation. On peut le faire par plaisir et imaginer toute une série d’actions en direction des cantines. Je crois notre capacité collective à produire des idées nouvelles. Voilà ce qui sera proposé à partir d’octobre.
PLACE PUBLIQUE > L’amélioration du logement, ce sera une autre paire de manches ?
BERNARD POIRIER > Par forcément ! Je ne suis pas très inquiet, même si le logement consomme aujourd’hui en moyenne 220 kilowattheures par mètre carré et par an. Les logements neufs seront construits aux nouvelles normes BBC (Bâtiment basse consommation) qui deviendront obligatoires en 2013 et prévoient une consommation de 50 kWh/m2/an. Pour les logements anciens, distinguons les HLM et le parc privé. Le parc HLM est plutôt bien entretenu et la collectivité peut peser là-dessus. Le parc privé, lui, représente un énorme enjeu qui demandera beaucoup de temps : il est en moyenne aujourd’hui à plus de 200 kWh/m2/an. Mais il existe déjà des incitations financières : l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat est en train de modifier ses modes d’intervention et le prêt à taux zéro est clairement destiné à financer l’amélioration des performances énergétiques du logement ancien. Et tout retard pris aujourd’hui sera à rattraper plus tard à marche forcée.
PLACE PUBLIQUE > Tous ces travaux vont faire augmenter les prix des logements ?
BERNARD POIRIER > La conformité aux normes d’un logement, sa bonne isolation compteront dans sa valeur marchande. Le logement moyennement ou mal isolé verra sa valeur baisser. Ça va réorienter les prix. Je crois que la hausse de la qualité dans le bâtiment va faire baisser les prix du tout-venant. Dans la construction neuve, on a aujourd’hui un logement au même prix qu’hier, mais de bien meilleure qualité. Et il reste quantité de nouveaux procédés et de nouvelles méthodes à mettre en oeuvre. D’ailleurs, pour montrer que c’est faisable, nous avons lancé fin 2008 l’expérience « BBC pour tous en 2012 ». Il s’agit de préparer la généralisation du standard BBC et de concilier cet objectif énergétique avec des objectifs de solidarité et de solvabilité des ménages en produisant des logements BBC à des coûts accessibles à tous. On n’obtiendra peut-être pas les fameux 50 kilowattheures partout. Mais ce sera toujours mieux que si on n’avait rien fait. Par rapport à la consommation ordinaire qui est aujourd’hui de 120, 130 ou 140 kilowattheures/m2/an dans les bâtiments récents, on va faire beaucoup mieux. Sans surcoût !
PLACE PUBLIQUE > Comment est-ce possible ?
BERNARD POIRIER > Ce n’est pas tant un problème technique qu’un problème de méthodes de travail. Aujourd’hui la chaîne de la construction est segmentée. Les contraintes et les surcoûts s’empilent. Visons plutôt la « conception intégrée » : si nous constituons des équipes dès la conception du projet, nous pouvons favoriser la prise en compte des problèmes énergétiques ainsi que la maîtrise des coûts.
PLACE PUBLIQUE > Le bâtiment a encore de beaux jours devant lui !
BERNARD POIRIER > Tous ces travaux d’amélioration des logements, c’est de l’économie locale, de l’emploi local, des fournitures locales, des compétences locales. Ça ne se fera pas en un jour : nous avons quarante ans pour diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre.
PLACE PUBLIQUE > Ne craignez-vous pas que le changement climatique puisse entrer en compétition avec d’autres préoccupations, davantage à court terme ?
BERNARD POIRIER > Quand on montre aux gens qu’ils économisent de l’argent en prenant leur vélo, ils vous suivent volontiers. Et je vois dans les réunions que nous organisons dans les communes beaucoup de jeunes que nous ne touchons pas d’habitude et qui sont très sensibles à ces nouveaux discours. Les jeunes n’ont pas les mêmes clés que nous. Pour eux, la voiture n’est pas tout.
PLACE PUBLIQUE > Le plan climat va-t-il remettre en cause d’autres actions prévues par Rennes Métropole et les communes membres ?
BERNARD POIRIER > C’est sûr que c’est un plan transversal qui touche toutes les autres politiques. Par exemple, on pourra décider de rénover un bâtiment au lieu de construire, ou l’inverse. Mais les modifications seront de l’ordre de l’adaptation et de l’inflexion. On n’avait pas imaginé nos politiques de l’habitat ou des transports sans avoir en tête les nécessités du développement durable.
PLACE PUBLIQUE > Rennes est en avance par rapport à d’autres villes ?
BERNARD POIRIER > Je crois qu’on peut le dire. Trente-trois communes de la métropole ont signé la convention des maires proposée par l’Europe. C’est plus du tiers des communes françaises ! Cela veut dire qu’elles sont prêtes, pour ce qui relève de leurs compétences, à aller plus loin que les engagements de l’État pour prévenir le changement climatique, prêtes à dépasser l’objectif de réduire d’au moins 20 % les émissions de gaz à effet de serre et à entraîner la population derrière elles. Je crois bien que seul un autre territoire en fait autant que nous, c’est Barcelone. Il faut dire que la ville de Rennes avait commencé très tôt. Son premier plan climat date de 2004. Cette fois, nous irons beaucoup plus loin.