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Dossier
#39
À Saint-Malo, le quartier de la gare n’a pas achevé sa mutation
RÉSUMÉ > Chantier emblématique de la cité corsaire, le quartier de la gare de Saint-Malo a subi de profondes mutations ces dix dernières années : nouvelle gare TGV inaugurée en 2005, création d’un pôle culturel en 2014, renouvellement urbain… Envisagé au départ comme le nouveau « forum » de la ville, le quartier n’a pas encore complètement trouvé sa vitesse de croisière. Il peine notamment à se connecter facilement aux autres pôles de la ville, notamment intramuros. Retour sur les enseignements de cette transformation qui n’est pas sans rappeler, à une bien moindre échelle évidemment, celle d’EuroRennes.

     La décoration aux couleurs acidulées tranche avec le crachin qui enrobe la ville, de l’autre côté des baies vitrées. Odeur de café, bureaux immaculés, la Cambuzz s’éveille doucement en ce mardi matin. Ouvert depuis janvier, l’espace de coworking lancé par Digital SaintMalo, une association d’entrepreneurs du Web, s’est installé au rez-de-chaussée de la Grande Passerelle, le pôle culturel flambant neuf de Saint-Malo. La Cambuzz ? Un lieu dédié aux travailleurs nomades et aux nouveaux usages du monde numérique. La vitrine idéale, en résumé, pour un quartier en pleine modernisation comme celui de la gare. « On cherchait à s’implanter dans le quartier. On nous a présenté cet espace et vu la qualité du lieu, on a accepté », raconte Benoît Saint-Mleux, secrétaire de la Cambuzz. « Nous voulions être proches de la gare pour être accessibles aux personnes de passage mais aussi profiter de la nouvelle image du quartier. Une nouvelle facette de la ville se jouait là et on voulait y être », explique l’entrepreneur. Le choix d’implanter cet emblème de la modernité au cœur du pôle culturel ne s’est pourtant pas fait sans remous au sein de la municipalité. « Je suis très fier de ne pas avoir renoncé à cette idée », assure aujourd’hui Claude Renoult, le maire de la ville. Si l’open space n’accueille pour l’instant que trois à quatre travailleurs itinérants en moyenne chaque jour, ses ateliers dédiés au monde numérique attirent davantage. Le lieu se veut surtout un point de ralliement pour les acteurs du Web. « Une start-up de La Gacilly est venue à Saint-Malo l’autre jour pour des rendez-vous professionnels. Ils ont passé l’après-midi ici avant de reprendre le train », illustre par exemple Pierre Allée, l’animateur.  

Du quartier délaissé au phénomène de nouveauté

     Surplombant la Cambuzz de ses hautes parois vitrées, la Grande Passerelle a su, en un an, séduire les Malouins, même si certains toussent encore à l’évocation des 37 millions d’euros investis dans le pôle culturel. Sa médiathèque compte ainsi 12 000 abonnés, ses trois salles de cinéma apportent un début de vie nocturne au quartier. Il participe, sans conteste, à l’objectif de montée en gamme de ce secteur urbain passé, depuis cette opération de renouvellement, du statut peu envié de zone négligée à celui de quartier moderne. « Il y avait besoin d’un coup de jouvence, c’est sûr », résume avec ses mots une habitante croisée au détour de la rue Bouvier. Nouveauté, modernité : des images positives qui ont participé à convaincre les investisseurs. Comme Giboire, par exemple, sélectionné en 2006 pour l’îlot qui abrite aujourd’hui l’hôtel Best Western. Le souhait de « s’associer à cette image de nouveauté dans la ville » a été l’une des motivations du promoteur, témoigne Hervé Briou, en charge du montage de l’opération immobilière. « Le renouvellement de ce quartier était séduisant. Tous les documents présentés ont attiré les promoteurs, qui étaient nombreux à répondre à l’appel », se rappelle-t-il. « Ce geste à l’échelle d’un quartier, c’était innovant pour Saint-Malo. Maintenant qu’on voit le résultat, on se dit qu’on a eu raison et les élus aussi », estime-t-il. Même son de cloche du côté des notaires. « L’immobilier de résidence principale fonctionne bien sur ce quartier. Il y a la séduction de bâtiments de bonne qualité et d’une situation géographique attractive. On a déjà eu quelques reventes, qui se sont bien passées. Il y a une belle mixité sociale grâce aux accessions aidées à la propriété », détaille Me Alain Gautron, le président de la chambre des notaires d’Ille-et-Vilaine. Il rappelle cependant que le quartier de la gare s’inscrit dans une réalité plus large. « On n’a jamais construit autant de neuf sur Saint-Malo que ces six dernières années. Les programmes d’accession à la propriété, notamment, sont non seulement nombreux mais aussi bien répartis sur l’ensemble du territoire », précise le notaire.  

     Donner une âme au quartier, en revanche, c’est une autre affaire. Claudie, habitante de Rothéneuf rencontrée à la papeterie de la rue Bouvier, résume bien le sentiment de nombre de Malouins. « Je ne viens pas ici plus qu’avant. Pour faire du shopping, je préfère intra-muros. Ce quartier n’est pas entré dans ma tête », explique cette retraitée. Bertrand Verdier, le gérant de la boutique, acquiesce. « Ce quartier n’est pas encore connu des Malouins, il faudra encore au moins deux ans avant d'avoir une hausse de fréquentation », pronostique-t-il. Sa clientèle ? « Surtout des gens de passage, des touristes, des Parisiens… ». C’est un fait, le commerce fonctionne mal autour de la Grande Passerelle. Dans les cellules commerciales, le turn-over est important. Si la rue Nicolas Bouvier s’en sort, la rue Théodore Monod, elle, fait grise mine : près de la moitié de ses boutiques était ainsi à louer fin 2015. Le loyer des cellules s’en ressent : 16 ou 20 euros mensuels hors taxes sur l’axe nord, tandis que l’une des cellules à louer côté sud tombe à 12 euros. L’exception ? Les restaurants et les snacks, où se bousculent les salariés et les lycéens à l’heure du déjeuner. Face à ces difficultés, les commerçants réclament davantage d’animations. « La braderie organisée par le comité de quartier a bien fonctionné. Quand vous voyez l’esplanade devant la grande passerelle, ça ne demande qu’à vivre ! », interpelle Manuel Arthuis, gérant de la boutique de vêtements installée depuis trois ans face au pôle culturel. Même s’il note que le manque de cohésion entre les commerçants du quartier ne facilite pas son développement. Sur cette question, le maire est clair. « Nous sommes là pour aider les commerçants, pas pour faire à leur place. Des activités, sur cette esplanade, il y en a. C’est à eux, aussi, de faire des animations », estime Claude Renoult.  

     « La gare n’avait jamais été un quartier vraiment central, on est toujours confronté au « tripode » malouin – Saint-Servan, Paramé, Intra-muros – qui reste très ancré dans les têtes. Il faut donner une âme à ce quartier », admet le maire. Sa méthode ? Développer des activités commerciales, culturelles et tertiaires. « Il y a un certain nombre de sièges de petites entreprises ou de professions libérales qui se sont installés dans plusieurs immeubles, notamment face au lycée des Rimains. Mais il n’y a pas assez de place. Donc on va poursuivre », annonce-t-il. Deux secteurs seront en chantier dans les prochaines années. Du côté du lycée des Rimains, tout d’abord, la ville négocie avec la SNCF pour récupérer les délaissés ferroviaires proches de l’avenue Aristide Briand afin d’y construire de nouveaux bâtiments mêlant résidentiel et tertiaire. De l’autre côté de la gare, le secteur des Provinces va être « relooké », selon l’expression de l’élu, et diversifié afin de « redonner la possibilité à des activités tertiaires de s’installer en rez-de-chaussée ou dans les premiers niveaux ». Quant aux rails qui longent la ruelle du Four-à-Tabac, ils pourraient devenir une rue à l’avenir afin de lier la gare au boulevard des Talards.  

L’impossible connexion avec intra-muros ?

     Revers de la médaille : si la gare, la Grande Passerelle et leurs abords affichent leur modernité, le fossé avec les axes plus anciens n’en apparaît que plus cruel. « La gare est sympa, la médiathèque est magnifique. Ce ne serait pas un luxe de refaire le boulevard des Talards », remarque ainsi Ulrich Mézière, le patron du Bistrot Vintage, installé depuis mars en face du pôle culturel. Fraîchement arrivé de Mayenne, il pointe sans le savoir le casse-tête de la mairie. Celle-ci négocie depuis un an avec l’État pour récupérer la propriété de cette route nationale. Mais « en tant que maire, je ne peux pas accepter le transfert d’une voie dans cet état-là », estime Claude Renoult, « la règle c’est que l’État met en ordre et transfère ensuite ». Un point de vue que ce dernier, forcément, ne partage pas. Le dossier est donc au point mort pour l’instant. Reste le second point d’achoppement : la liaison vers intra-muros. Entre la gare et le célèbre quartier historique se dresse le port de commerce. L’avenue Louis Martin, qui le traverse, est l’axe le plus direct entre les deux pôles. Mais peu engageante pour les piétons, pas traversée par les bus, elle est sous-exploitée. Une situation qui ne devrait pas changer. « On peut travailler sur cet axe pour le rendre plus agréable », concède le maire, « mais l’activité commerciale du port, j’y tiens. Il faut que Saint-Malo reste un port actif ». D’autant plus que cette zone portuaire, propriété de la chambre de commerce, échappe aux compétences de la commune... Si proches et si lointains, le moderne quartier de la gare et l’historique intra-muros risquent encore de se toiser longtemps, de part et d’autre des grues et des entrepôts.