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Dossier
#39
Réflexions architecturales autour d’un centre de semi-liberté
RÉSUMÉ > Baptisé Phoenix, le projet de fin d’études des jeunes architectes Camille Bracciani et Lisa Morvan, de l’ENSAB (École nationale supérieure d’architecture de Bretagne) à Rennes, consistait à imaginer un centre de semi-liberté à la jonction de la prison des femmes et du parvis sud de la gare de Rennes. Lauréat du prix Jeunes Talents en Architecture de la ville de Rennes 2015, ce projet fictif très abouti offre une réflexion intéressante sur les différents usages du quartier de la gare. Y compris avec la prison qui la jouxte.

     Arrivées en cinquième année à l’École d’Architecture de Bretagne, la question du choix d’un sujet de diplôme s’est rapidement posée. Étant convaincues que l’architecture doit en premier lieu servir, porter et impacter la condition humaine, il semblait tout à fait pertinent de s’engager dans un sujet porteur de valeurs fortes. Ce choix s’est ainsi tourné vers la conception d’un centre de semi-liberté, une thématique d’actualité permettant d’exprimer un point de vue politique, sociétal et humain.

     La semi-liberté est un aménagement de peine qui permet au détenu de bénéficier d’un régime particulier de détention lui accordant de quitter l’établissement pénitentiaire la journée afin d’exercer une activité professionnelle. Contrairement à certains modèles étrangers, aujourd’hui en France, la question de la réinsertion n’a pas réellement de cadre physique défini, ni d’architecture appropriée. En effet, on compte à l’heure actuelle seulement 11 centres de semi-liberté. À titre d’exemple, la prison des femmes de Rennes qui accueille 298 prisonnières ne propose que 4 places pour la réinsertion.  

     Deux logiques sont mises en avant dans la conception de ces centres de semi-liberté. La première, qui en représente la grande majorité, consiste en la réhabilitation de bâtiments existants de type logements. Mais ces opérations sont souvent inadaptées et complètement noyées dans le tissu urbain. L’autre logique vise à traiter la question de la réinsertion au sein même des maisons d’arrêts. Le nombre de places est souvent insignifiant et surtout, les individus concernés suivent le procédé actuel qui est de déplacer les prisons ou les maisons d’arrêts en périphérie de la ville. Le terme de réinsertion est alors à lui-même remis en question.

     En France, la question de la réinsertion et les échecs qui lui sont directement liés comme celui de la récidive sont au centre de débats depuis des années et tendent à dire qu’il y a réellement une démarche nouvelle à trouver, un processus à inventer.  

Un sas entre l’enfermement et la liberté

     D’un point de vue personnel, il est évident que le centre de semi-liberté apparaît comme un sas entre deux conditions extrêmes : l’enfermement et la liberté. Ainsi, au vu des précédents constats, il semblait important d’établir des conditions préalables à ce programme.

     La première était que pour traiter d’un tel sujet, il apparaissait comme évident de s’implanter dans un tissu urbain existant plutôt dense puisqu’il s’agit évidemment de se réinsérer dans la vie active et donc dans l’urbanité. La deuxième condition préalable consistait à prendre le contre-pied des opérations de réhabilitation actuelles, c’est-à-dire de concevoir un bâtiment indépendant qu’il ne faut pas banaliser puisqu’il fait partie d’un univers carcéral et qu’en outre il s’agit bel et bien d’un bâtiment thérapeutique. Enfin, il paraissait évident que le bâtiment soit doté d’une présence physique particulière mais qu’il ne s’établisse pas comme une architecture signal. Il semble que ce type de dispositif corresponde à la recherche d’un équilibre entre visibilité et dissimulation.

      Suite à ces intentions préalables, plusieurs questionnements sont alors survenus : comment insérer ce type de programme dans la ville ? Comment retranscrire les couples dialectiques que soulève la question de la réinsertion : l’enfermement et la liberté, l’intégration et la dissimulation, l’autonomie et la contrainte ? Quelles proportions donner aux uns et aux autres ? Quel ajustement, quel équilibre ?  

     La question du choix du site est alors arrivée ; elle devait répondre à la fois aux intentions préalables mais aussi au fait que le centre de semi-liberté devienne l’une des étapes du processus vers une certaine liberté. Il est donc apparu comme essentiel que ce type de dispositif soit en lien direct avec l’univers carcéral. Les attentions se sont alors portées sur une parcelle située à l’angle de la rue de l’Alma et de la rue Paul Féval. D’une superficie de 5 700 m², elle prend place aux abords directs de la prison des femmes. En effet, le projet vient s’étendre sur une zone de parking peu utilisée de l’administration du centre pénitentiaire, tout en exploitant un fragment de parcelle déjà libre bordé par la rue de l’Alma.

     Cette zone active se trouve dans un quartier qui va connaître de grandes mutations car il est au cœur du projet de la ZAC EuroRennes qui s’étendra sur 58 hectares et aura pour enjeu principal la diffusion du centre-ville vers le sud. Plus précisément, il s’agit de restructurer la gare et surtout de requalifier les abords ferroviaires. Le futur îlot Paul Féval est sans aucun doute celui qui engendre les mutations les plus importantes à l’échelle de la parcelle du projet puisqu’il le jouxte. Entre la rue de l’Alma, la rue Paul Féval et la rue de Châtillon, l’îlot prévoit la construction de 22 000 m² de surface bâtie avec une hauteur maximale fixée à 35 mètres.  

     Comprenant bien que le centre de semi-liberté s’inscrit entre deux projets signifiants : EuroRennes et la prison des femmes, il était nécessaire de clarifier cette notion de sas entre enfermement et liberté.

     Par sa présence dans la ville, la prison des femmes soulève les notions d’ancrage, de prestance et de persistance tandis que le centre de semi-liberté apparaît comme une continuité physique et morale de cette dernière. Le projet vient donc s’adosser symboliquement à l’enceinte du centre pénitentiaire comme une sorte de « rappel à l’ordre » pour finalement s’ouvrir vers la ville et le projet EuroRennes.

     À l’échelle de la parcelle, la posture d’implantation se développe de la manière suivante :

  • D’abord, la condition première des individus concernés par le centre de semi-liberté, à savoir l’enfermement, a permis de retranscrire symboliquement une enceinte, un front bâti.
  • Puis, a été adjoint à cet enfermement un certain degré de liberté. Il s’agissait de créer des porosités vers la ville, de s’ouvrir vers l’extérieur puisque c’est un des buts à atteindre à travers un tel programme. Cette ouverture se matérialise par la volonté de rendre l’îlot traversant, désormais intégré et connecté avec l’environnement extérieur et suivant, par ailleurs, les cheminements imaginés dans le projet EuroRennes.
  • Ensuite, pour rompre l’idée d’une perspective unique, la grande traverse de l’îlot est brisée à ses deux extrémités.
  • L’intention suivante était de créer une intériorité pour éviter un dialogue trop frontal entre les entités de l’îlot et aussi avoir une porosité de plus en plus diffuse au fur et à mesure de la progression dans celui-ci. Le bâtiment au sud de la parcelle bénéficie désormais de points de fuite directs vers la ville.
  • Enfin, le choix de la répartition programmatique a permis de déterminer l’emplacement du centre de semi-liberté d’une capacité de 50 cellules mixtes, naturellement en fond de parcelle proche de la prison, et celui d’une entité publique en lien direct avec la ville. La présence et l’implantation de cette dernière donnent réponse aux intentions préalables soulevant les notions d’intégration et de dissimulation. Le bâtiment public vient dissimuler le centre de semi-liberté tout en l’intégrant dans la ville grâce à ses programmes (bibliothèques, coin des orateurs, pépinières d’entreprises et café). La prise en compte de cette idée d’inté- gration et de dissimulation a permis de déterminer et d’ajuster les proportions des deux entités entre elles et dans la ville. Au regard de la typologie résidentielle environnante, le gabarit maximal a été fixé à 10 mètres. Puis, pour donner une certaine prestance au centre de semi-liberté, un ajustement en retrait est appliqué en façades et en toiture de l’entité publique.

     Après avoir fait émerger les deux entités de l’îlot, des questions se sont posées sur leur relation à la ville et entre elles. Comment les percevoir ? Comment les ressentir, les parcourir, les traverser ? Ces questions s’attachent essentiellement à la perception sensible de l’architecture et pour cela il était important de s’appuyer sur un vocabulaire précis. D’abord, c’est le terme d’austérité qui a été retenu pour qualifier le centre de semi-liberté et plus précisément une austérité puissante, impassible et silencieuse. Pour la partie publique, c’est logiquement le mot publicité qui a été mis en avant. Ici, une publicité profuse, hétéroclite et effervescente. Ces qualificatifs ont permis l’élaboration d’atmosphères et de partis pris architecturaux.

     À partir de là, toute la démarche s’appuie sur la construction d’un scénario ; celui du détenu qui se retrouve dans la ville et qui rentre au centre de réinsertion, jusque dans sa cellule. Le dessin du projet s’applique donc de l’espace public jusque dans une intimité de plus en plus importante.  

     Le travail se concentre autour des séquences clés de ce parcours qui correspondent potentiellement à des étapes psychologiques précises chez l’individu. Parmi ces séquences : la perception du centre et de l’entité publique depuis les constructions EuroRennes, l’entrée du détenu en cœur d’îlot sur la place publique et sa vision des deux bâtiments, les entrées respectives dans ces derniers… Par exemple l’entrée dans la partie publique, directe et centrale, avec une façade vitrée et réfléchissante derrière laquelle sont redistribués les programmes. Différente mais complémentaire, l’entrée dans le centre de semi-liberté a été pensée comme une succession d’éléments bâtis et d’interstices lumineux permettant au détenu un recentrement et une immersion progressive dans le bâtiment. La combinaison et l’articulation des séquences, dans une volonté d’un parcours fluide et fort, mènent au plan du centre de semi-liberté qui fonctionne de la manière suivante : deux branches principales où le degré d’intimité est de plus en plus important en allant vers leur extrémité. À la rencontre de ces dernières, des espaces communs telle qu’une salle de restauration en double hauteur. Sont répartis dans chacune de ces branches un pôle formation avec des salles de cours et un amphithéâtre notamment, un pôle médical avec des salles de consultations et d’expressions. Des appartements de visite pour les familles des détenus sont prévus. Par ailleurs, il existe également une zone administrative.

     Ce plan est alors séquencé par des patios qui donnent une dynamique intérieure au projet, ils apportent lumière et musicalité dans le parcours et jouent avec la perception intérieur/extérieur. Ils évitent également l’effet couloir puisque l’individu vient se glisser entre eux pour accéder à d’autres espaces. En ce qui concerne les cellules, le parti pris a été de les positionner dans les deux niveaux supérieurs. La continuité des patios dans les étages, entre autres, casse la ritualisation et la perspective unique de l’univers carcéral et multiplie les points de vue. Les espaces de circulation sont volontairement généreux car ils n’endossent pas seulement leur fonction de distribution mais sont de réels espaces de vie autour des patios.  

     La cellule arrive comme le point final du scénario. Son travail s’inscrit dans la continuité de la logique du projet architectural, à savoir le recentrement progressif de l’individu sur lui-même. Ainsi, cet espace individuel, dont les dimensions sont volontairement modestes comme pour faire ressortir la fonction essentielle et simple du lieu, propose un espace humide, un espace pour travailler, se reposer et enfin méditer.

     Bien que ce projet reste fictif, il a permis de soulever des problématiques d’actualité. Le dispositif a été pensé et dessiné pour des individus qui vont le vivre mais aussi pour des habitants qui vont l’accueillir et le côtoyer. Le projet porte alors une conviction personnelle forte : en tant qu’architectes, essayer de mettre en place, au travers les projets, des engagements citoyens.