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Dossier
#22
RÉSUMÉ > De « Associations féminines à Rennes » à « Voyages à l’étranger pour avorter », voici en 40 mots, un survol de l’histoire du féminisme à Rennes depuis l’activisme de Louise Bodin, la « Bolchévique aux bijoux » aux lendemains de la Grande guerre, jusqu’aux combats de ces dernières années en faveur de l’égalité. Ce dictionnaire a été réalisé pour Place Publique par l’association Histoire du féminisme à Rennes.

     Au sortir de la deuxième guerre mondiale, l’Union féminine civique et sociale (UFCS) d’inspiration catholique, et l’Union des femmes françaises (UFF), proche du Parti Communiste se disputent l’organisation des femmes. Malgré des philosophies divergentes, les deux structures présentent des points communs: rejet de la contraception jusqu’au début des années 1960, grande place faite aux revendications pour les mères et la famille. A Rennes, l’UFF et l’UFCS cohabitent, chacune dans son domaine. Dans les années 1960-1970, l’UFF organise des veillées pour la paix, notamment au Vietnam. Rosa Rubinstein, communiste et juive, préside la section rennaise dès ses débuts, à la Libération, après avoir échappé aux menaces d’être arrêtée et déportée. De son côté, l’UFCS intervient auprès des pouvoirs publics pour obtenir des réformes, des améliorations dans le domaine des régimes matrimoniaux, des prestations familiales, du travail des femmes. Avant d’entamer sa carrière d’élue municipale Anne Cogné y a été très investie. 
     À partir de 1979, ces associations sont à l’origine du Centre rennais d’information des femmes (CRIF), ancêtre de l’actuel Centre d’information des femmes et des familles, CIDFF (voir associations féministes).

     La ville de Rennes compte de nombreuses associations féministes, c’est-à-dire engagées pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Chacune de ses associations a son histoire, son fonctionnement et son périmètre d’action: l’accueil, comme le Planning familial d’Ille-et-Vilaine ou le Centre d’information des droits des femmes et des familles, héritier du CRIF, l’échange, comme Femmes Entre Elles, association lesbienne, la lutte pour l’égalité, comme Mix-Cité Rennes, association mixte, qui agit sur la place publique ou Questions d’égalité qui propose des conférences. Quant aux Faiseuses d’art, elles promeuvent la création artistique des femmes et des lesbiennes. Rennes compte aussi des groupes féministes qui fonctionnent en non-mixité.
     La participation de nombreuses associations aux événements du temps fort proposé par la Ville autour de la journée du 8mars est un indicateur intéressant de la vitalité féministe rennaise.

     En raison de l’interdiction en vigueur depuis 1810, de la répression et des tabous, il est très difficile de connaître les chiffres de l’avortement avant la loi Veil : en Bretagne au début des années 1970, le nombre d’avortements clandestins s’élèverait entre 20 000 et 40 000 par an et le nombre de femmes mourant suite à un avortement entre 20 et 40. À Rennes, la peintre Clotilde Vautier est l’une d’entre elles.
      Si la loi Veil a pu être votée en décembre 1974, c’est aussi grâce à la lutte menée depuis le début des années 1970. À Rennes, Choisir-Rennes et le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) jouent un grand rôle, en organisant par exemple la diffusion du documentaire Histoires d’A le 17 avril 1974 à la salle de la Cité.
     Les associations féministes restent vigilantes sur ce droit sans cesse remis en cause par le manque de moyens et l’influence des lobbyings anti-avortement nationaux et internationaux.
     Louise Berthaut est née à Paris le 23 mai 1877. Après des études de lettres, elle épouse le docteur Eugène Bodin, professeur à l’école de médecine de Rennes. Elle se consacre à son foyer, élève ses trois enfants et vit en épouse de notable. En 1912, elle commence à écrire pour les Nouvelles rennaises des articles où s’expriment ses convictions féministes et où elle prend position pour les lycées de filles, les suffragettes, et contre la prostitution. Elle préside le groupe d’Ille-et-Vilaine de l’Union pour le suffrage des femmes et publie en 1914 son premier livre Les Petites Provinciales. Pendant la guerre, elle milite à la section française du Comité international des femmes et écrit dans La France, dans Les Hommes du jour (ces articles repris dans son livre Les Quatre princesses errantes sont un témoignage essentiel sur la vie des femmes en province pendant la guerre). En 1917, elle devient rédactrice de l’hebdomadaire La Voix des femmes auquel collaborent des pacifistes d’extrême gauche. Pour Louise Bodin, socialisme, suffragisme et pacifisme sont liés au féminisme. En 1919, elle écrit dans La Forge: « les femmes se révoltent contre l’esclavage et les souffrances qui leur ont été infligées depuis que le monde est monde. Elles veulent l’indépendance, elles veulent la liberté autant qu’il est possible ici-bas, d’être indépendant et libre. Elle accueille avec enthousiasme la révolution russe et lance des appels pour une union des travailleurs contre « la conjuration capitaliste ». Elle se multiplie en conférences, débats et articles sur la syphilis, pour l’adoption des enfants orphelins de guerre, et elle milite à la section du Parti socialiste d’Ille-et-Vilaine. En 1920, elle est élue à la commission administrative de L’Humanité, elle sera une des rares journalistes à écrire un article de protestation après le vote de la loi du 23 juillet contre la contraception et l’avortement: « c’est la femme de l’ouvrier, la femme du peuple qu’on veut atteindre. Elle restera dans l’ignorance et dans l’impossibilité de limiter le nombre de ses enfants […] Qu’importe, elle aura des gosses. […] Elle y crèvera, mais elle aura des gosses! »Dès octobre 1920, elle adhère à la IIIe Internationale puis est élue secrétaire de la fédération communiste d’Ille-et-Vilaine. Elle quitte alors La Voix des femmes, collabore à L’Humanité et est élue au Comité directeur du Parti communiste français. Épuisée par des luttes incessantes, incomprise par la bonne société rennaise qui l’appelle « la Bolchevique aux bijoux », atteinte d’un cancer, elle renonce peu à peu à toute activité. Elle rompt avec le Parti et proclame son adhésion aux thèses trotskistes. Elle meurt le 3 février 1929. La nécrologie que lui consacra La Voix des femmes salue en elle « l’ardente militante du féminisme et de toutes les causes sociales nécessaires au progrès humain » (Colette Cosnier).

     La CFDT se distingue par une prise en compte ancienne de la question des femmes, et pas seulement des mères, qui travaillent. La présence de Jeannette Laot, une Bretonne originaire de Landerneau dans les instances dirigeantes du syndicat y fut pour beaucoup. Grâce à son action en interne, la CFDT a été le premier syndicat à entrer dans le combat pour la libéralisation de la contraception et de l’avortement en se déclarant en 1972 pour « une procréation volontaire et consciente ». Les commissions femmes fleurissent partout en France. Celle de Rennes, créée en 1974, a réalisé un important travail autour des inégalités subies par les femmes au travail et dans l’ensemble de la société (travail avec le Planning familial, sur le thème des crèches, des conditions de travail dans la grande distribution…). En 1979 la CFDT a fait partie des membres du CRAC, Collectif rennais pour l’avortement et la contraception.

     Dans les manifestations, les rassemblements, les meetings, les militantes féministes aiment chanter, souvent en détournant des chansons célèbres. Ainsi à Rennes le 6 octobre 1979, lors de la manifestation pour la reconduction de la loi Veil, on a pu entendre sur l’air de Malbrough s’en va-t-en guerre, une chanson du 18e siècle « Les femmes s’en vont en lutte / c’est fini le temps des cuisinières / les femmes s’en vont en lutte / Contre leur oppression, contre leur oppression! ». Souvent entonnée dans les défilés du 1er mai à Rennes la chanson « Oui papa, oui patron, oui chéri y en a marre » a traversé les époques, de même que l’Hymne des femmes, chanté depuis 1971, sur la mélodie du Chant des marais, écrit en 1933 par des déportés du camp de concentration de Börgermoor en Basse-Saxe: « Nous qui sommes sans passé, les femmes/ Nous qui n’avons pas d’histoire/ Depuis la nuit des temps, les femmes/ Nous sommes le continent noir ». La transmission de la culture féministe passe aussi par les chansons.

     S’il existe de nombreux titres de revues féministes en France pendant les années 1970, on ne trouve pas trace de presse féministe rennaise. Par contre, de 1977 à 1979, 9 numéros du Chapeau Rond Rouge, journal rennais de contre-information ont été publiés. Il s’agit d’un journal militant mais indépendant qui se veut le reflet des combats et des réflexions sociales de l’époque, ainsi que de la vie culturelle alternative rennaise.
     Le féminisme rennais y trouve donc un espace pour s’exprimer : articles sur l’action des groupes femmes, annonces, articles du groupe des lesbiennes, mais aussi réflexions des contributrices sur leur place dans l’équipe du journal… en effet elles ne veulent pas être reléguées au rôle traditionnel de dactylos !

     Manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté dans le nouvel Observateur, création de l’association Choisir par Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir et Christiane Rochefort, procès de Bobigny fin 1972… C’est dans ce contexte qu’un petit groupe de rennais.e.s reprend le sigle de Choisir et installe sa permanence au 13 rue St Michel. Formés à la méthode Karman par les militant.e.s de Grenoble, ils aident des femmes souhaitant avorter sur place ou en organisant des voyages en Angleterre ou en Hollande ce qui va les amener à la rupture avec Gisèle Halimi qui préfère la voie légale et médiatique.
     Leur but: mettre l’État devant ses responsabilités en faisant savoir par des tracts, des meetings, des manifestations que des avortements illégaux sont pratiqués. Avant de s’éteindre tout à fait début 1974, Choisir-Rennes travaille quelques mois avec le groupe rennais du MLAC sur quelques actions publiques, toujours pour revendiquer la libéralisation de l’avortement.

     Originaire du Finistère, Anne Cogné arrive à l’université de sciences de Rennes en 1948. Après 1968, elle commence à militer dans une des associations féminines de Rennes, l’Union féminine civique et sociale (UFCS). Elle y travaille en particulier sur la question de la consommation.
     Les réflexions qu’apporte l’année 1975, décrétée année de la femme par l’Onu, sont l’occasion de faire émerger l’idée d’un lieu d’accueil et d’écoute pour les femmes. Le CRIF, Centre rennais d’information des femmes, ouvre finalement en 1979. Anne Cogné en devient la présidente en 1981. Remarquée par la municipalité socialiste, elle est élue conseillère municipale en 1983 et obtient une délégation à la consommation. Réélue en 1989, elle ne se représente pas en 1995 mais négocie auprès d’Edmond Hervé la création d’une délégation aux droits des femmes, poste occupé tout d’abord par Maria Vadillo, puis par Jocelyne Bougeard. Par son action, tant associative qu’institutionnelle, Anne Cogné a été et demeure une grande figure du féminisme rennais.

     Colette Cosnier est née en 1936 à la Flèche, en Sarthe. Après des études à la Faculté des Lettres de Rennes, elle enseigne à l’institut d’études théâtrales de Paris-3. En 1973, elle est nommée à l’université de Rennes-2 en littérature comparée. Elle profite de la liberté que lui offre cette matière pour proposer un programme Littérature au féminin ne comportant que des textes d’écrivaines : Simone de Beauvoir, Colette, Virginia Woolf, Anaïs Nin, etc., programme qu’elle intitulera vite Féminisme et littérature, et qu’elle développera pendant près de trente ans. Ses collègues ironisent : « Il faudrait quand-même faire cours sur de grands auteurs! » Elle innove en faisant se rencontrer deux générations dans un cours intitulé Littérature et l’histoire des femmes en 1984. Dans les années 1980, elle fait partie de la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métier présidée par Benoîte Groult et de la Commission sur le sexisme dans les manuels scolaires de la ville de Rennes. Elle enseigne à Rennes-2 jusqu’en 1994 puis à l’université du Maine jusqu’à son départ à la retraite au début des années 2000.
     Parallèlement à son métier d’enseignante, elle écrit une pièce de théâtre féministe, Marion du Faouët, qui lui vaudra ce commentaire: « La bonne femme qui a écrit ça, ça lui ferait grand bien d’être violée! ». Elle publie aussi des romans, des biographies de femmes du 19e siècle (Louise Bodin, Marie Pape-Carpantier), et des essais (Le Silence des filles).

CRAC (Collectif rennais pour l’avortement et la contraception)

     La loi Veil légalisant l’avortement a été promulguée en janvier 1975, pour une durée de 5 ans seulement : la question de l’interruption volontaire de grossesse opère un retour à l’agenda politique et militant en 1979. À Rennes, le Collectif rennais pour l’avortement et la contraception, CRAC, regroupe aussi bien des structures féministes comme le Planning familial d’Ille-et-Vilaine, les groupes femmes de Rennes que des associations, des partis politiques ou des syndicats.
     À Paris, le 6 octobre 1979, 50 000 femmes manifestent pour le vote définitif de la loi Veil. À Rennes, le même jour, le CRAC a aussi appelé à la mobilisation, en organisant également une manifestation et un événement public au pavillon des Lices (Halles Martenot), « les 6 heures pour la contraception et l’interruption volontaire de grossesse », ponctuées d’un débat et d’un concert. Ces mobilisations, nationales et locales, ont abouti à une victoire pour les militant.e.s du droit à l’avortement et pour les femmes : la loi Veil a été définitivement adoptée le 20 décembre 1979.

     Dans les années 1970, parmi les nombreuses questions que soulèvent les féministes, on voit apparaître celle de « l’élevage », de l’éducation et de la garde des enfants ou encore la répartition des tâches domestiques. Les féministes veilleront à imposer dans les rassemblements politiques l’organisation de crèches tenues par des hommes. Parmi leurs revendications, on trouve l’augmentation du nombre de crèches, mode de garde collectif, pour permettre notamment aux femmes de garder une activité salariée après la naissance d’enfants.
     Dans la deuxième moitié des années 1970, d’anciennes militantes des groupes femmes mettent sur pied, souvent avec leurs conjoints, des crèches collectives comme Ty Bugale, Poupenn ou les Fruits de la passion qui existent encore aujourd’hui. Cette revendication du développement des modes de garde collectifs pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes est toujours portée par les associations féministes aujourd’hui et par le collectif « Pas de bébé à la consigne » créé en 2009.

CRIF (Centre rennais d’information des femmes)

     La fin des années 1970 marque un tournant pour le féminisme en France, le mouvement change de forme. À Rennes cette transformation est très précoce, notamment en raison de l’arrivée d’une équipe socialiste à la mairie aux élections municipales de 1977: Edmond Hervé succède à Henri Fréville. Il se passe alors à Rennes ce qui s’est passé ensuite au niveau national avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981: le féminisme s’institutionnalise peu à peu. Les associations féminines des années 1960, l’Union féminine civique et sociale et l’Union des femmes françaises, s’unissent avec l’association des femmes chefs de famille pour monter le CRIF, centre rennais d’information des femmes, ancêtre de l’actuel centre d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF). En 1979, elles bataillent avec la municipalité de Rennes pour obtenir un local qui leur avait été promis au sein de la maison du champ de mars. Faute d’en obFrantenir les clés elles finissent par occuper le local. La mairie cède, le CRIF peut alors ouvrir et tenir des permanences d’accueil pour les femmes assurées par des bénévoles et des professionnelles salariées qui peuvent apporter une aide dans les domaines juridique, professionnel, économique, social et familial.

     « La femme naît libre et demeure égale en droits à l’homme », c’est ce qu’a écrit Olympe de Gouges dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791. Il s’agit là non pas d’une chose allant de soi, mais bien d’une revendication car la Révolution est loin d’avoir amélioré la situation des femmes, écartées des sphères politiques et de la vie publique. L’égalité des droits est le fil conducteur du féminisme: égal accès à l’éducation, à la citoyenneté (suffrage et éligibilité), au travail. Grâce aux mobilisations des différentes vagues du féminisme, en France, les femmes jouissent de cette égalité des droits… en théorie, car dans la pratique, les entraves sont nombreuses. Les discours entretenus par les politiques, par les intellectuel.le.s, par les journalistes, au sujet d’une République française égalitaire et érigée comme modèle à suivre par d’autres pays masquent la réalité des faits, pourtant chiffrés.
     En Ille-et-Vilaine, on compte une sénatrice sur quatre sièges et trois députées sur huit sièges. Lors des dernières élections cantonales, on a pu vérifier que le féminin de candidat était souvent… suppléante! Sur 53 sièges au Conseil général d’Ille-et-Vilaine, on compte en effet seulement 11 femmes.
     En Bretagne comme partout en France, les femmes, bien que meilleures élèves et plus diplômées que les garçons, gagnent en moyenne en 2009 1731 euros par mois contre 2308 euros pour les hommes. Il faudrait que les femmes travaillent en moyenne un trimestre supplémentaire pour percevoir le même salaire annuel que les hommes.
     Les raisons ? C’est toujours aux femmes qu’incombent les charges familiales. Leur taux d’activité diminue avec l’arrivée des enfants: 53,9 % des femmes avec deux enfants dont un au moins de moins de 3 ans travaillent, contre 92,3 % pour les hommes. Par ailleurs, la population féminine se cantonne à certains secteurs. En Bretagne, les femmes occupent 95,1 % des emplois du secteur santé, social (infirmières, assistantes sociales…). En 2010, même s’il a légèrement augmenté, le temps domestique quotidien équivalait pour les femmes à 3h52 et à 2h24 pour les hommes. Pour certaines féministes, cette différence d’investissement dans les tâches domestiques et d’éducation aux enfants est la base de l’exploitation des femmes par les hommes, elle entrave leur autonomie et leur accès à une égalité réelle.

     Le féminisme est un mouvement social structuré en groupes et en associations qui organisent des actions (manifestations de rue, débats publics, congrès, assemblées générales) afin de faire avancer des revendications visant à défendre les droits des femmes et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. D’une époque à l’autre, d’une tendance à l’autre, d’une association à l’autre le féminisme a connu des stratégies et des revendications différentes, parfois contraires et opposées.
     Les historien.ne.s du féminisme distinguent plusieurs époques, dénommées « vagues ». Le féminisme de la première moitié du 20e siècle s’est surtout mobilisé pour l’accès des femmes au droit de vote. Celui de la deuxième vague, qui a émergé dans les années 1960, a quant à lui insisté sur la nécessité pour les femmes de disposer de leur corps (contraception, avortement, lutte contre les violences physiques et sexuelles). Certain.e.s parlent d’une troisième vague pour désigner le féminisme d’aujourd’hui, un féminisme qui prend en compte l’ensemble des rapports de domination basés sur le sexe, la classe, la race, le genre, les pratiques sexuelles et leurs articulations pour faire ses analyses, alimentées par la théorie queer qui cherche à redéfinir la question de genre et à dépasser l’enfermement dans des catégories (homme/femme, homo/hétéro).
     Le féminisme est traversé par des divergences autour par exemple de la question de la prostitution ou du port du voile.
     À côté des groupes et des associations qui agissent de manière indépendante, un féminisme institutionnel s’est mis en place en France à partir des années 1960, sous différentes appellations successives pour ce qui est de l’État : condition féminine, droits de la femme et aujourd’hui droits des femmes. Pour la Bretagne, l’actuelle déléguée aux droits des femmes et à l’égalité est Françoise Kieffer. Les collectivités territoriales ne sont pas en reste: au Conseil régional de Bretagne l’élue Gaëlle Abily est chargée des droits des femmes et de l’innovation sociale; à la Ville de Rennes l’élue Jocelyne Bougeard est déléguée aux temps de la ville, aux droits des femmes, à l’égalité des droits et à la laïcité. Ces deux institutions ont par ailleurs signé en 2006 la charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale, de même que trois autres communes d’Ille-et-Vilaine: Cesson-Sévigné, Chevaigné et Corps-Nuds. Loin d’être monolithique, le féminisme d’aujourd’hui est bel et bien pluriel.

     Après les pertes de la première guerre mondiale, la France se lance dans une grande politique nataliste. C’est ainsi qu’en 1920, année au cours de laquelle est votée une loi qui renforce l’interdiction de l’avortement et de la contraception, est instaurée une médaille de la famille ainsi que la fête des Mères de familles nombreuses que le régime de Vichy inscrit au calendrier officiel en 1941 pour toutes les mères.
     Les mères sont donc régulièrement accueillies à la mairie de Rennes pour recevoir leur médaille qui récompense leur dévouement et leur contribution à la richesse de la nation. Cette valorisation des mères et de la maternité va être combattue par les féministes dans les années 1970. En effet celles ci dénoncent le travail gratuit des femmes, leur double journée de travail, l’emprise de la société sur leur fécondité… À Rennes, chaque année, au moment de la fête des mères, sur le marché des Lices, les groupes femmes distribuent des tracts et font de l’agitation avec humour au grand dam des passants qui ne comprennent pas que l’on s’attaque à une fête aussi noble. Ces dernières années des associations féministes rennaises ont repris le flambeau de la contestation, avec le slogan « Fête des mères, défaite des femmes. » en donnant à voir une autre vision que celle du commerce et de la publicité qui proposent appareils ménagers, produits de beauté ou bijoux.

     en 1982 à l’initiative du ministère de la Culture, en partenariat avec les Régions, les vingt-trois Fonds régionaux d’art contemporain « constituent un outil original et essentiel de soutien à la création, d’aménagement culturel du territoire et de sensibilisation du public, notamment par la mobilité des collections qui les caractérise ». Dirigé par une femme, Catherine Elkar, le Frac Bretagne est installé depuis juillet 2012 dans un ensemble architectural conçu par Odile Decq.
     Si heureusement le genre ne constitue pas une entrée pour les 543 auteurs des 4 000 oeuvres qui constituent les collections, fort est de constater que les femmes restent largement minoritaires : 113 femmes pour 430 hommes (80 %). Autre remarque qui confirme la difficulté des femmes à s’imposer dans les deux décennies 80 et 90: la moitié a fait son entrée dans les collections en une seule décennie de 2000 à 2010. Les artistes représentées ont pour principaux medium la photographie, près d’une trentaine, et la peinture, une vingtaine. Viennent ensuite la sculpture, la vidéo, les installations, la gravure… La collection la plus importante est celle de Vera Molnar (1924-) dotée d’une trentaine de sérigraphies. Aurélie Nemours (1910-2005) est aussi en bonne place avec 17 sérigraphies.
     Quelque 10 % des artistes travaillent ou ont travaillé à Rennes. Citons Maya Memin, Angélique Lecaille-Guilbert, Muriel Bordier, Dominique Hézard, Sylviane Perret, Isabelle Rabarot, Yola Kotlarek, Claire Lucas et Anne Julie C. Fortier. (Christine Barbedet)

     Le concept de genre, gender en anglais, dont la connaissance et l’utilisation sont de plus en plus étendues, s’est invité dans le débat public à la rentrée scolaire 2011. En effet, dans le sillage de Christine Boutin, 80 députés avaient demandé le retrait de la question du genre des manuels de sciences de la vie et de la terre à destination de classes de premières. Enseignant.e.s, universitaires, féministes étaient alors montées au créneau pour réaffirmer la scientificité du genre. D’après Florence Rochefort, chercheuse au Cnrs, le genre « stipule que les catégories de sexe, de féminin et de masculin sont des constructions sociales ». La formule de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe (1949) le disait déjà: « On ne naît pas femme, on le devient. ». Le concept de genre aide à déconstruire des idées reçues sur la formation des identités sexuelles. À l’occasion de l’exposition « Homme, femme: testez vos différences » présentée à l’Espace des sciences des Champs Libres en 2012, la neurobiologiste Catherine Vidal était d’ailleurs venue expliquer que le cerveau n’a pas de sexe. Et la différence des corps? Les travaux de la chercheuse Priscille Touraille tendent à montrer que les différences de stature entre hommes et femmes sont le produit de l’histoire de l’espèce humaine. Les performances de l’athlète Caster Semenya interrogent par ailleurs la pertinence de conserver les catégories « hommes » et « femmes » dans les compétitions sportives… et dans la société: il n’y aurait pas deux sexes, mais bien plutôt un continuum, allant du plus masculin au plus féminin, du plus XY au plus XX, en passant par des nuances. Aujourd’hui on s’accorde pour dire que les races n’existent pas… peut-être le dira-t-on bientôt des sexes.
     Que le concept dérange, inquiète, fasse polémique ou soit considéré comme un outil indispensable au combat pour l’égalité, il est entré à l’université, où les études de genre se développent peu à peu. À l’université de Rennes 2, depuis 2012, un diplôme interuniversitaire numérique intitulé « Études sur le genre » a été mis en place sous la direction d’Annie Junter.

     Un numéro spécial de la revue Partisan intitulé « Libération des femmes : années zéro » annonce en 1970 que des femmes en France se mettent en mouvement : « Le phénomène n’est pas limité aux États-Unis. Partout en Europe occidentale simultanément depuis plus de deux ans, en Angleterre, en Hollande, en Suède et au Danemark, en Allemagne, en France, maintenant en Italie, des groupes de femmes se sont spontanément formés pour réfléchir aux moyens de lutter contre leur oppression. » Des groupes émergent à Paris. La non-mixité y est la règle. Groupes de parole au départ, ils offrent un nouvel espace aux femmes pour dénoncer leur domination dans la société, faire émerger la prise de conscience de leur statut, révéler leurs emprisonnements, leurs handicaps, leurs souffrances. À Rennes, les premiers groupes, qu’on appelle groupes femmes, se créent à partir de 1973. Sur les murs du lycée Joliot-Curie, on peut lire: « Les pétroleuses ont mis le feu au lycée! »: en effet des filles de terminale se battent pour pouvoir sortir du lycée le midi et créent dans la foulée un groupe femmes qui durera un an. La même année, à l’université de Rennes 2, cette fois c’est la lutte pour la mixité dans les cités universitaires qui donne le jour au groupe femmes Villejean. C’est un espace de parole que nulle part ailleurs les militantes ne trouvent : ni dans les partis, ni dans les syndicats, ni dans les associations. On y parle de la sexualité, du corps…
     Actions contre la fête des mères, symbole de l’oppression des femmes dans la sphère familiale, chahut, expositions, articles dans le Chapeau Rond Rouge, affiches, tracts : elles agissent aussi, souvent avec humour. Leurs revendications sont nombreuses : elles se battent pour l’accès libre et gratuit à la contraception et à l’avortement, pour le partage des tâches ménagères, contre les violences faites aux femmes, pour que le viol soit reconnu comme crime, pour plus de crèches… En 1976-1977, elles réfléchissent à la maternité et à la naissance. Un autre groupe, le groupe de la Paillette - ou groupe Centre -, se réunit à la MJC de la Paillette au moins depuis 1976. Lieu de débats, réunions, agitation, groupe de parole, il trouvera son prolongement avec le bar de la Marg’elle au tout début des années 1980. D’autres groupes se sont créés comme des groupes de lesbiennes en 1978 et 1979, un groupe sur la faculté de droit, et peut-être d’autres encore, restés dans l’ombre: leur caractère mouvant, informel fait qu’ils ont laissé peu de traces derrière eux. La plupart de ces groupes ont participé à la préparation et au déroulement de la manifestation rennaise du 6 octobre 1979 pour la reconduction de la loi Veil. Cette forme de regroupement qu’ont été les groupes femmes a persisté à Rennes jusqu’à aujourd’hui, à travers l’existence de groupes féministes non-mixtes nombreux et actifs.

     L’année 1973 voit la montée en puissance de la mobilisation pour la libéralisation de l’avortement. Le MLAC, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception est créé à Paris au printemps. Partout en France des groupes militants aident des femmes à avorter soit en Angleterre ou en Hollande, soit sur place grâce à la pratique de la méthode Karman. C’est dans ce contexte que le Groupe Information Santé, un collectif qui réfléchit à la réappropriation du corps vis-à-vis du pouvoir médical et qui a publié début 1973 un ouvrage intitulé « Oui, nous avortons », demande à ses militant.e.s, cinéastes, Charles Belmont et Marielle Issartel, de réaliser un film.
     « Histoires d’A » a pour but d’informer sur l’avortement et de populariser les luttes pour sa libération en faisant le lien avec l’oppression des femmes et la lutte des classes. Fin novembre 1973, le ministre des Affaires culturelles, Maurice Druon, s’oppose à ce que le film reçoive un visa d’exploitation. Cette interdiction va au contraire donner une immense visibilité au film, qui est projeté clandestinement pendant un an grâce aux réseaux du Planning familial et du MLAC partout en France. À travers ces multiples diffusions dans les quartiers, dans les usines et les entreprises, souvent dans des conditions difficiles, c’est le combat pour la libéralisation de l’avortement qui gagne. D’après ses auteurs, le film aurait été vu par 350000 spectateurs en France.
     Grâce au travail du MLAC local, les Rennais.es ont eu l’occasion de participer à ce grand mouvement de désobéissance civile. En effet, le film est projeté salle de la Cité le 17 avril 1974, devant 1000 personnes. La police laisse la projection se dérouler et les bobines s’échapper après la projection, cachées dans une 2 CV! En effet, au printemps 1974, le rapport de forces semble gagné par les partisans de l’avortement libre et gratuit, pour lesquels le documentaire « Histoires d’A » a été un formidable outil de lutte.

     L’origine du 8 mars, Journée internationale des femmes, est entourée de légendes : grève de couturières new-yorkaises, décret de l’Onu, initiative de Clara Zetkin, lors de la conférence des femmes socialistes de Copenhague de 1910? Pour l’historienne Françoise Picq, « Ce qui compte dans un mythe d’origine, c’est sa signification. » La jpournée du 8 mars a le mérite de rendre visible les femmes et est « à travers le monde un signe de ralliement pour les femmes en lutte pour leur libération. »
     À Rennes, on trouve trace de cette commémoration dès 1978 par les groupes femmes de Rennes à la MJC La Paillette. En 1982, le « MLF » comme l’écrit Ouest- France fait circuler une pétition pour faire du 8 mars « un jour férié, chômé et payé pour toutes les femmes »!
     Quand les groupes femmes disparaissent et que le féminisme rennais s’institutionnalise, c’est le CRIF, Centre rennais d’information des femmes qui prend le relais et qui, par exemple, en mars 1985, invite des associations dans ses locaux pour marquer la journée. Aujourd’hui, le programme des événements autour du 8 mars, porté par la Ville de Rennes, s’étale sur un mois. Un forum des femmes, organisé en partenariat avec le Cidff a lieu chaque année, montrant la diversité et le dynamisme des associations féministes rennaises.

     Annie Junter est née en 1952 dans le nord de la Bretagne. Fille d’un marin et d’une couturière, excellente élève, elle fait des études de droits à l’université de Brest et devient docteure d’État en droit privé. Titulaire de la chaire d’études sur l’égalité de l’Université Rennes 2 depuis 1985, ses recherches portent sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le secteur privé et public. Elle dirige depuis 2012 un diplôme inter-universitaire d’études sur le genre à l’université de Rennes 2.

     La méthode Karman est une méthode d’avortement qui doit son nom à son découvreur, Harvey Karman, un psychologue américain. Sa simplicité technique et son faible coût font qu’elle peut très facilement être pratiquée, y compris par des personnes qui ne sont pas des professionnels de la santé, d’autant plus qu’elle ne nécessite aucune anesthésie. Il s’agit d’introduire un petit tuyau en plastique qu’on nomme aussi canule de Karman dans le col de l’utérus, et ensuite d’aspirer avec une seringue. Elle est introduite en France notamment par le biais d’un groupe de militant.e.s grenoblois.e.s qui en mars 1972 se rend en Angleterre pour s’informer puis la diffuser partout en France. Fin 1972 une délégation du groupe Choisir-Rennes vient à Grenoble pour s’y former. Dès le début de l’année 1973 les avortements commencent à être pratiqués à Rennes avec la méthode Karman.
     C’est cette technique, clandestine, révolutionnaire, véritable levier des luttes pour le droit des femmes à disposer de leur corps, qui a été transmise dans le centre d’Interruption volontaire de grossesse de l’Hôtel Dieu au Pavillon Bernard à partir d’avril 1975 comme partout en France et qui est une méthode encore utilisée aujourd’hui.

     Dans les mouvements de libération les lesbiennes ont du mal à faire entendre leur voix : au sein des groupes homosexuels l’oppression spécifique qu’elles subissent en tant que femmes n’est pas toujours reconnue, tandis que le mouvement féministe a du mal à prendre en compte dans ses pratiques et ses revendications la question de la lesbophobie.
     À Rennes, les lesbiennes qui se sont mobilisées pour défendre leurs droits ont été confrontées à cette double difficulté. Dans le premier numéro du Chapeau Rond Rouge d’octobre-novembre 1977, un militant du Groupe de Libération Homosexuelle, à la question « Y a-t-il des femmes au GLH? » répond: « Il y a une fille qui a persévéré (sic!) pendant très longtemps mais il y a peu de filles à prendre contact avec le GLH. Une fille perdue au milieu de quinzevingt bonhommes n’est pas forcément à l’aise, d’autant plus que les pédés ne sont pas forcément à l’abri du phallocratisme. ». Quant aux combats qui animent le plus les groupes femmes, ce sont la contraception, l’avortement, la sexualité dans une logique hétérosexuelle.
     En 1978, suite à la semaine homosexuelle organisée à la MJC La Paillette par le GLH, un groupe de lesbiennes se crée. Elles se réunissent à la librairieLe Monde en marche, rue Vasselot. Elles s’expriment l’été 1978 dans un article intitulé « Ce goudou que j’ai de vous » dans le Chapeau Rond Rouge. Un deuxième groupe se met en place en 1979, suite à l’organisation, toujours à la MJC de la Paillette, du premier festival national homosexuel intitulé « Autres paroles d’un autre désir ».
     C’est sans doute de l’existence de ces deux groupes que découle la création de la première association rennaise de lesbiennes en 1982. Basée sur la non-mixité, Femmes entre elles existe encore aujourd’hui, elle a toujours vocation à accueillir les lesbiennes de Rennes et des environs. Créée peu après, l’association Cité d’Elles, devenue ensuite A Tire d’Elles était également non-mixte, mais ouverte aux hétérosexuelles. En 1994 Femmes entre elles a été très active dans l’organisation de la première Lesbian and gay pride de Rennes, également une des premières en France en dehors de Paris, imposant au passage la mention des lesbiennes dans un événement dont le nom est souvent réduit à « Gay pride ».
     A la fin des années 1990 et au début des années 2000 s’opère un certain retour à la mixité initiale des années 1970: Rennes voit apparaitre ses premières associations « LGBT » (lesbiennes, gays, bi.e.s et trans) mixtes dans lesquelles les lesbiennes s’investissent inégalement, selon les époques : Maman j’en suis, Commune Vision, Centre Gay Lesbien Bi et Trans. Dans les années 2000 certaines montent des associations non pas explicitement destinées aux homosexuelles, mais dans lesquelles la dimension politique lesbienne est importante. Ces associations sont non-mixtes: les Bâtisseuses ont pour objet de créer du lien social et culturel entre les femmes/lesbiennes, les Chattes Hurlantes organisent des concerts qui mettent à l’honneur des musiciennes femmes et lesbiennes.
     Le débat sur la prise en compte des lesbiennes dans les groupes et associations féministes reste lui toujours d’actualité!

     À une époque où la diffusion des idées politiques ne passe pas par internet, les librairies jouent un rôle essentiel dans les années 1970 et avec elles, la presse spécialisée. Le(s) féminisme(s) s’exprime(nt) à travers des journaux et des revues comme le Torchon brûle, Histoires d’elles, les Cahiers du féminisme. Les Éditions des femmes créées en 1973 publient quant à elles des ouvrages d’auteures féministes, comme par exemple Femme, race et classe de la militante américaine Angela Davis.
     À Rennes, deux librairies se font les relais de cette presse et offrent un lieu de rencontre, d’échange: « La dialectique sans peine », située rue Leperdit et surtout « Le Monde en Marche », au 37 rue Vasselot. La jeunesse rennaise politisée s’y rassemble car l’adresse sert de dépôt pour les tracts et les affiches mais aussi de boîte aux lettres ou de lieu de réunion pour de nombreuses associations (le groupe femmes Villejean, le Groupe de Libération Homosexuelle, le groupe des lesbiennes). En avril 1978, un débat y est organisé sur la presse féministe. Aujourd’hui, ces deux librairies ont disparu mais d’autres ont pris la relève, comme « Planète Io » qui offre un large choix de publications, notamment féministes et dont les libraires organisent régulièrement des débats.

     Le centre Alma et son hypermarché Mammouth (aujourd’hui Carrefour) est le premier à ouvrir en Bretagne en 1971. Le 1er septembre 1975 commence une grande grève du personnel qui compte alors 70 % de femmes qui réclament une augmentation de salaire, une amélioration des conditions de travail et la stabilité de l’emploi. C’est l’occupation, près des murs de chariots, on lit sur les panneaux : « Mammouth écrase les femmes » qui répond au fameux « Mammouth écrase les prix ». Dans l’entreprise, la conscience féministe est développée: grâce à un rapprochement du syndicat CFDT, le Planning Familial intervient à partir de 1974 sur le temps de travail, un taxi collectif raccompagne les femmes après 22 heures. Mais les conditions de travail restent difficiles. La grève, très soutenue et bien relayée par la presse, dure 3 semaines. Comme à la SPLI deux ans plus tard, les femmes rencontrent des obstacles pour mener la grève qui aboutit cependant à une victoire.
     D’après une étude d’août 2012 de l’observatoire Evrest 91,7 % des « caissiers » interrogés sont des femmes. Cette profession est plus que les autres exposée au temps partiel (57,4 %), aux horaires irréguliers (64,5 %) et aux coupures de plus de 2 heures dans la journée (25,9 %).

     Dans la deuxième moitié des années 70 au sein du groupe femmes de la Paillette germe l’idée de créer à Rennes une maison des femmes qui serait un lieu d’accueil militant. Le projet, ambitieux et compliqué à mettre en oeuvre, se transforme en bar féministe. Il est porté par l’association L’Insoumise, créée le 31 janvier 1980 sous l’impulsion de huit copines, féministes, fréquentant de près ou de loin la MJC la Paillette. Le bar associatif La Marg’elle, bistrot de femmes, ouvre au printemps de la même année au 9 rue de Saint Malo. Il s’agit à la fois de permettre aux femmes de trouver un lieu convivial, où elles osent sortir, lieu d’échanges, de discussion, et d’expression et de créer à Rennes – qui n’a pas de café-théâtre – une petite scène qui va produire des artistes, féministes ou non.
     Le mardi soir, le bar est réservé aux femmes mais les autres jours, il se remplit, surtout au début, de l’ancienne clientèle du bistrot, mais aussi d’objecteurs de conscience, d’habitué.e.s de la MJC de la Paillette, de l’équipe de la radio libre Radio Vilaine qui émet à partir de 1981 parmi lesquels on retrouve des anciens de l’équipe du Chapeau Rond Rouge… Bientôt, la Marg’elle devient un lieu en vogue pour une partie de la jeunesse rennaise.
Le bar est resté ouvert un an. Ce bistrot de femmes a marqué les esprits car quand on interroge ceux qui l’ont fréquenté, ils ont le sentiment qu’il a existé pendant des années !

     Avoir des enfants ou pas? La question de la maternité est pleine d’enjeux pour les féministes, à titre collectif et individuel. Devenir mère, n’est-ce-pas s’exposer à un retour au foyer et à l’éloignement de l’emploi ? N’est-cepas endosser un rôle traditionnel des femmes alors qu’on milite pour l’accès des femmes au travail, à la politique? Le combat pour la libéralisation de l’avortement et de la contraception cher aux féministes aura au moins permis à toutes les femmes l’accès à une meilleure maîtrise de leur fécondité.
     L’accouchement est également un terrain de lutte pour les féministes qui se battent contre le pouvoir des médecins et le droit des femmes à disposer de leur corps. Elles s’emparent des réflexions autour de l’accouchement sans douleur et de l’accouchement sans violences développées dans années 1950 et 1960 y compris à Rennes. Le 10 juin 1977 Ouest-France titre: « Le groupe femmes de Villejean s’inquiète du fonctionnement de la maternité de l’Hôtel Dieu ».
     Aujourd’hui en France, contrairement à l’Allemagne, on accouche difficilement en dehors des hôpitaux. Pourtant des projets expérimentaux où l’accouchement serait moins médicalisé émergent comme celui d’une maison de naissance à Rennes porté depuis 2006 par l’association MAISoùnaitON, mais ils peinent à se concrétiser sous le poids de cahiers des charges drastiques d’hygiène et sécurité. Quant aux maternités, elles connaissent ces dernières années de nombreuses fermetures ou menaces de fermetures qui suscitent parfois de grandes mobilisations comme à la maternité de Carhaix (Finistère) en 2008 ou des Lilas en 2011.

      D’abord appelée MJC Centre en raison de sa localisation rue de Redon, non loin du centre-ville, la MJC La Paillette prend son nom à partir de janvier 1976 quand elle déménage dans la rue la Paillette près du Mail.
     À partir de 1974, son directeur va marquer la MJC en en faisant un lieu novateur, voire subversif, autogéré, un lieu de bouillonnement culturel, artistique et intellectuel. La MJC est qualifiée par ses – nombreux - détracteurs d’ « auberge espagnole ». En effet, on y croise à côté de petit. e.s judokas, des républicains espagnols en exil, les rédactrices et rédacteurs du journal de contre-information le Chapeau Rond Rouge, une radio libre, des objecteurs de conscience, des écologistes, des groupes de musique dont le Marquis de Sade, les fondateurs des Transmusicales, des militant.e.s politiques d’extrême gauche, le groupe Bretagne-Occitanie, le Groupe de Libération Homosexuelle (GLH)… L’atelier de sérigraphie où l’on peut imprimer ses affiches et le bar font de la Paillette un lieu de rendez-vous, de brassage culturel et politique, de rencontre, d’échanges. En 1978, la MJC accueille une semaine homosexuelle qui se termine par un « bal des paillettes ». Quand en 1979, le GLH veut reconduire l’événement et lui donner encore plus d’ampleur, préfecture, direction départementale de la jeunesse et des sports, associations familiales s’opposent à leur action. Le ministre de la justice lui-même menace de retirer l’agrément de la MJC. Malgré tous ces obstacles, le festival aura lieu.
     C’est très naturellement que les mouvements de femmes investissent cet espace de contestation, qui devient aussi un lieu de réunion et d’événements féministes. Le groupe femmes appelé Centre ou La Paillette créé vers le milieu des années 1970 s’y réunit et y propose des débats, y fête le 8 mars. Aujourd’hui encore, alors qu’elle a déménagé rue du Pré de Bris, la MJC la Paillette abrite toujours des associations féministes.

MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception)

     Avec sa très célèbre affiche montrant un bébé rieur disant « C’est tout de même plus chouette de vivre quand on est désiré », le MLAC, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception a imprimé sa marque dans la mémoire collective. Créé en 1973 à Paris en pleine bataille pour la libéralisation de l’avortement il voit fleurir des groupes locaux qui doivent accepter sa charte fondatrice.
     Le MLAC-Rennes est créé au début de l’année 1974. Il travaillle brièvement avec le groupe Choisir-Rennes. Des militant.e.s du MLAC ont assisté à quelques réalisations d’avortements illégaux à Rennes, et ont été formés par les « techniciens » de l’équipe de Choisir à la méthode Karman mais ont en fait peu pratiqué: refusant d’être un service social parallèle et d’assumer ce service à la place de l’État, l’ensemble du MLAC a peu à peu arrêté les avortements sur place et l’aide à l’organisation de voyages.
     Chaque semaine, le MLAC-Rennes tenait des permanences d’information, dans le centre-ville, à Villejean, et à Maurepas. Le groupe a en outre organisé la projection d’Histoires d’A le 17 avril 1974 et utilisé le théâtre comme moyen de diffusion de ses idées, en jouant une saynète sur les marchés. Il semble s’être dissous à la fin de l’année 1974, au moment des débats sur la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse.

     Des groupes femmes des années 1970 jusqu’aux différents collectifs qui existent aujourd’hui, la non-mixité, c’est-à-dire le choix de se retrouver entre femmes, a toujours été très présente dans le féminisme rennais. Fonctionnement utilisé en permanence ou ponctuellement selon les groupes, la non-mixité revendiquée des féministes a de multiples dimensions. Elle est tout d’abord un formidable moyen de subversion puisqu’elle est une réponse à la non-mixité subie ou à la faible mixité d’espaces traditionnellement masculins, dont les femmes sont exclues .
     La non-mixité pose également le principe d’une libération des femmes par les femmes elles-mêmes, sans les oppresseurs.
     Aujourd’hui, la non-mixité fait toujours ses preuves en tant qu’outil de lutte contre l’oppression… mais sa définition demande de plus en plus souvent à être explicitée. En effet, développement de la théorie du genre oblige, il n’est plus possible de se contenter de baser la non-mixité sur l’appartenance au sexe féminin attribué à la naissance. Les contours actuels dépassent une conception binaire hommes/femmes de la société. Désormais la non-mixité se base sur le vécu du sexisme, une expérience commune à toutes les femmes, celles assignées femmes à la naissance, celles qui ont été socialisées comme des femmes mais ne le sont pas restées, celles qui n’ont pas été assignées femmes à la naissance mais le sont devenues.
     La question de la non-mixité interroge la place des hommes dans le féminisme: un homme peut-il se dire féministe? A t-il sa place dans une association féministe? Le pari est en tout cas relevé par un nombre de plus en plus important d’associations et de groupes, dont les militant. e.s pensent qu’hommes et femmes doivent avancer ensemble vers l’égalité.

     Si à Rennes le secteur privé applique la loi Veil dès sa promulgation le 17 janvier 1975, dans le service public, début 1975, c’est « l’impasse », comme le titre le journal Ouest-France du 25 février de la même année. En effet, l’hostilité des chefs de service de l’Hôtel Dieu retarde l’application de la loi, les réunions de mise en place du centre d’IVG sont houleuses.
     Ce sont des militant.e.s du Planning familial d’Ille-et-Vilaine, associés à quelques médecins hospitaliers (neuropsychiatres et néphrologues) et à quelques généralistes rennais qui, grâce à leur engagement, ont permis aux premières interruptions volontaires de grossesse de se dérouler, dans un bâtiment désaffecté.
     Des locaux vétustes, isolés, un mépris total de la hiérarchie, au Pavillon Bernard, tout semble en effet reposer sur l’équipe. Elle est constituée de plus d’une dizaine de médecins vacataires, payés à l’acte, dont la motivation première est militante. On y trouve aussi une conseillère conjugale du Planning familial, qui vient s’entretenir avec chaque femme le jour de l’IVG (avant et après), deux infirmières et une aide-soignante nommées par l’hôpital qui assurent les soins post-IVG et une secrétaire, qui est tout à la fois hôtesse d’accueil, d’archiviste et de comptable.
     Le centre d’IVG du Pavillon Bernard ne connaîtra aucune amélioration jusqu’à la création d’un nouveau centre d’orthogénie à l’Hôtel-Dieu en novembre 1982. Aujourd’hui le centre d’IVG a quitté l’hôtel Dieu pour s’installer à l’hôpital sud. Le Planning familial y assure toujours l’accompagnement des femmes.

     Créée en 1956 dans la quasi-clandestinité, l’association Maternité heureuse a pour objet l’information, alors interdite, des couples et des femmes sur le contrôle des naissances, sous couvert d’assurer l’équilibre psychologique du couple et de promouvoir la santé des femmes. En 1960 l’association prend le nom de Mouvement français pour le Planning familial, et elle commence à essaimer sur l’ensemble du territoire français. C’est en juin 1965 qu’est mise en place l’association départementale d’Ille-et-Vilaine. Dans le contexte rennais marqué par la forte influence de l’Église catholique c’est une personne au profil atypique qui porte cette création: il s’agit d’André Cahn (1927-2003), ingénieur à EDF, originaire de Paris, libre-penseur et membre de la SFIO, Section Française de l’Internationale Ouvrière. Comme il exerce également des responsabilités importantes au syndicat Force Ouvrière, c’est dans les locaux de cette organisation que se tiennent à Rennes les permanences du Planning familial, d’abord boulevard Magenta, puis rue Thiers. Les militant.e.s accueillent et informent les femmes et les hommes sur la contraception, légalisée en France depuis la loi Neuwirth de 1967 et font également un important travail d’éducation à la sexualité, en lien avec des enseignant.e.s de l’École nationale de la santé publique, implantée à Rennes depuis 1962. En dehors des locaux de l’association les militant.e.s donnent des informations relatives aux possibilités d’avorter, alors même que l’avortement est considéré comme un crime.
     La loi Veil autorisant l’interruption volontaire de grossesse est promulguée en 1975. Un service ouvre en avril de la même année à l’Hôtel-Dieu à Rennes : les conseillères du Planning familial d’Ille-et-Vilaine y accompagnent les femmes qui souhaitent avorter. Aujourd’hui c’est toujours une des missions spécifiques de l’association, chaque jour des salarié.e.s travaillent dans le service d’orthogénie de l’hôpital sud.
     En 1976, le Planning familial d’Ille-et-Vilaine emménage 9 place de Bretagne, et devient la même année centre de planification et d’éducation familiale. Depuis lors des médecins proposent des consultations médicales sur des questions de contraception, et de santé affective et sexuelle en général. Désormais installé 11, boulevard du Maréchal de Lattre de Tassigny le Planning familial accueille tous les publics, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, hétérosexel.le.s et personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi.e.s, trans), valides ou en situation de handicap qui souhaitent s’informer, rencontrer un.e conseiller.e conjugale, un.e médecin ou un.e psychologue. Un des axes forts de l’association est le travail proposé autour des violences, notamment sexuelles, tant auprès des victimes que des auteurs. Chaque année les conseillères et les psychologues font de nombreuses interventions dans les établissements scolaires du département, misant sur la prévention et le dialogue avec les jeunes pour une meilleure information. Le Planning familial est également un acteur de la lutte contre le SIDA et les IST (Infections sexuellement transmissibles). Un centre de planification du Planning familial existe également à Saint-Malo au 46 boulevard de la République.
     Résolument engagé pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Planning familial d’Ille-et-Vilaine est une des associations féministes de Rennes et du département d’Ille-et-Vilaine. À ce titre, l’association participe à la journée internationale des femmes du 8 mars ainsi qu’à la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre.

     Le féminisme de la première vague s’est surtout mobilisé pour l’accès plein et entier des femmes à la citoyenneté, c’est-à-dire l’éligibilité et le droit de vote, car depuis sa restauration en 1848 le suffrage universel a été seulement masculin. La rennaise Louise Bodin a été une des figures de ce combat. Les Françaises sont parmi les dernières européennes à avoir obtenu le droit de vote en 1944. C’est seulement alors que le suffrage est devenu universel. Le féminisme de la première vague s’est surtout mobilisé pour l’accès plein et entier des femmes à la citoyenneté, c’est-à-dire l’éligibilité et le droit de vote, car depuis sa restauration en 1848 le suffrage universel a été seulement masculin. La rennaise Louise Bodin a été une des figures de ce combat. Les Françaises sont parmi les dernières européennes à avoir obtenu le droit de vote en 1944. C’est seulement alors que le suffrage est devenu universel.
     Conscientes que cette égalité des droits était entravée par les difficultés rencontrées par les femmes par rapport aux grossesses non désirées, les féministes de la deuxième vague ont, à partir de la fin des années 1960, axé leurs revendications sur la liberté des femmes à disposer de leur corps.
     Après avoir lutté notamment pour la libéralisation de la contraception et de l’avortement elles ont mis l’accent, à partir de la fin des années 1970, sur la lutte contre les violences, conjugales et sexuelles, faites aux femmes comme le feront les rennaises en créant des groupes locaux d’organisations nationales : Choisir, MLAC, SOS femmes battues.
     L’égalité professionnelle est une revendication qui a traversé les époques. Malgré les lois successives qui ont tenté de la mettre en place, celle-ci est loin d’être acquise aujourd’hui en France, de même que l’égalité civique (nombreux contournements de la loi sur la parité par les partis politiques). Quant aux droits des femmes à disposer de leur corps ils sont sans cesse remis en cause, par différents groupes, religieux ou d’extrême-droite, ou tout simplement par le manque de moyens mis à disposition par l’État en matière d’éducation à la sexualité à l’école ou dans les services IVG des hôpitaux. Beaucoup de revendications féministes ont encore de beaux jours devant elles!

     De Grenoble à Paris en passant par Rennes, le féminisme a mené de multiples actions et organisé de nombreuses manifestations, servies par des slogans dont certains sont entrés dans l’histoire. Jeux de mots, traits d’humour, provocation, mots d’ordres, les féministes débordent d’imagination pour trouver des slogans, scandés, écrits sur des pancartes ou sur des murs :
Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette, Il y a plus inconnu que le soldat : sa femme !, Un homme sur deux est une femme, C’est quand même plus chouette quand on est désiré, Ras le viol, Ne me libère pas je m’en charge! Quand les femmes s’aiment, les hommes ne récoltent pas! En 2011 est paru aux éditions iXe l’ouvrage « 40 Ans de slogans féministes 1970/2010 ». Ecrit par Corinne App, Anne-Marie Faure-Fraisse, Béatrice Fraenkel et Lydie Rauzier ce livre immortalise 600 slogans du patrimoine féministe.
     La SPLI, Société Parisienne de Lingerie Indémaillable a été créée avant la Première Guerre Mondiale. Elle s’installe à Rennes en 1967. La main d’oeuvre y est essentiellement féminine et fabrique des maillots de bain. Face à la menace de licenciement de l’ensemble du personnel, soit 1500 personnes au total, les ouvrières vont tenter de sauvegarder les emplois. Elles occupent l’usine à partir de juin 1978.
     Très vite, les soutiens, syndicaux et militants, se manifestent et participent à l’organisation d’actions : manifestations, blocage de rocade, galas de soutien, fest-noz. Deux fois l’usine est évacuée par les forces de police puis occupée à nouveau.
     En tant que femmes en lutte, en plus du combat contre la direction, les ouvrières doivent se battre au sein de leur famille : malgré l’organisation de garderies, la charge des enfants pose problème, notamment pour une occupation de nuit. Comme si cela ne suffisait pas, elles sont en conflit avec leur direction syndicale. Au final, cette occupation, qui aura duré trois mois et demi, a été rude et n’a pas abouti. Seules 100 employées seront réembauchées par la nouvelle enseigne Huit - aujourd’hui Eveden Huit - qui compte un peu moins d’une centaine de salarié.e.s. Le siège social de l’entreprise est toujours situé rue du Bignon.

     Dès la première vague du féminisme et même avant, le théâtre est une forme d’expression privilégiée des féministes comme par exemple Olympe de Gouges ou encore les suffragistes anglaises ou françaises.
     Le féminisme rennais de la deuxième vague monte aussi sur scène: saynètes de la commission femmes CFDT sur les conditions de travail dans le commerce, actions du MLAC… En avril 1979, on joue la pièce « Marion du Faouët » de Colette Cosnier.
     Aujourd’hui encore, Rennes compte des talents féministes comme la comédienne et metteure en scène Lilette Ferré ou encore Marine Bachelot, auteure et metteure en scène de la compagnie Lumière d’août qui a lancé un cycle de créations théâtrales intitulé « Féministes ? ».
     Le féminisme s’empare aussi d’une forme de théâtre originale, inventée par Augusto Boal, pour lutter contre les dominations: le « théâtre de l’opprimé » ou « théâtre forum », représenté au début des années 2000 par la troupe Pourquoi pas ?, théâtre-forum contre l’homophobie, et depuis 2008, par ACTOR, association et compagnie de théâtre de l’opprimé rennais.

     Une des réussites des mouvements féministes des années 1970 a été de faire entrer les études sur les femmes à l’université. Appelé aujourd’hui études de genre, de l’anglais « gender studies » ce champ de recherche rencontre des résistances et souffre toujours d’avoir à justifier et sa légitimité, et son objectivité. Pour avancer, les chercheur. se.s se regroupent, par exemple au sein de la Fédération de recherche sur le genre intitulée RING, dont les objectifs sont la coordination des pôles d’enseignement et des équipes de recherche et la diffusion des études sur le genre. Par ailleurs, un atelier Bretagne de l’association EFiGiES a été mis en place en 2012, dans le but de rassembler les jeunes chercheur.se.s en études féministes, genre et sexualités afin de créer de la solidarité et de lutter ensemble contre l’isolement et la précarité.
    À Rennes, les universitaires Colette Cosnier et Annie Junter ont été des pionnières des études de genre dans les années 1970 et 1980, et dans leur sillage de nombreux cours de littérature, de sociologie et d’histoire ont été proposé. e.s aux étudiant.e.s. Le campus numérique de Bretagne propose depuis la rentrée 2012 un diplôme interuniversitaire d’études sur le genre.
     Les Presses Universitaires de Rennes ont ouvert en 2006 une collection, « Archives du féminisme », dirigée par l’historienne Christine Bard. Cette collection vise à diffuser les recherches portant sur les mouvements d’émancipation des femmes.

     Clotilde Vautier est née le 17 septembre 1939 à Cherbourg (50). Arrivée à Rennes en 1959 elle poursuit des études aux Beaux-Arts et y rencontre deux frères, fils de Républicains espagnols réfugiés à Rennes, Mariano et Antonio Otero. Elle épouse ce dernier en 1962. Une fois leur diplôme national obtenu, ils créent ensemble « l’Atelier des Trois ». Clotilde Vautier gagne plusieurs prix et concours, et alors que sa carrière est en plein envol, elle décède à Rennes le 10 mars 1968, des suites d’un avortement clandestin. À l’époque, les véritables raisons de son décès sont cachées. Sa fille Mariana Otero revient sur les circonstances du décès de sa mère dans le documentaire « Histoire d’un secret » qu’elle réalise en 2003. Antonio Otero explique ceci dans Paroles d’Avortées, quand l’avortement était clandestin, de Xavière Gauthier (Ed. De la Martinière, Paris, 2004, p. 273 à 282): « Je disais à tous qu’elle était morte d’une appendicite qui avait été prise trop tard, du fait qu’elle était en train de préparer une exposition. (…) La première critique, qui est parue dans le journal le lundi 11 [mars 1968], annonçait à la fois son vernissage et son décès. » Son histoire est emblématique du drame vécu par des milliers de femmes en France avant la loi Veil de 1975.
     Aujourd’hui il existe une rue Clotilde Vautier à Rennes, et le collège de Maurepas porte son nom.

     Contrairement à la situation française, avant 1975, en Angleterre et aux Pays-Bas, l’avortement est légal et constitue même une importante source de bénéfices pour les cliniques qui le pratiquent. Des départs de France sont organisés dès la fin des années 60 grâce à un réseau national. Des cars partent de Rennes et des avions de l’aéroport de Pleurtuit. Des militant. e.s du Planning familial d’Ille-et-Vilaine donnent, de manière non-officielle, des adresses puis, à partir de fin 1972, les femmes peuvent s’adresser au groupe Choisir- Rennes. Après 1975 et l’adoption de la loi Veil, les départs à l’étranger depuis Rennes continuent car l’application de la législation y est tardive et partielle, notamment faute d’anesthésiste.
     Aujourd’hui les femmes souhaitant avorter au-delà du délai légal de 12 semaines continuent de se rendre à l’étranger.