Cela fait un peu plus de dix ans que la Faculté des métiers a ouvert ses portes sur le campus de Ker Lann. En retenant l’appellation de « Faculté », les fondateurs de 1999 ont voulu symboliser la volonté que ce lieu soit une référence à la fois dans l’univers de l’enseignement et dans le monde professionnel, avec le souhait de promouvoir une véritable culture des métiers.
En chiffres, cela donne aujourd’hui 3 600 apprentis et stagiaires à Ker Lann mais aussi à Saint Malo et à Fougères; plus 5 000 adultes en formation continue; 64 métiers, 12 filières professionnelles; 115 diplômes et certifications professionnelles. Au-delà de ces données, ce sont quatre idées force que cette Faculté des métiers s’attache à mettre en œuvre.
Partir du choix de la personne, trouver du sens aux études et au contact d’un métier, le président de la Faculté Yves Neveu, insiste sur cette idée: « il est très important que le jeune ait envie de ce type de formation. » Il peut ressentir l’enseignement général comme trop théorique ou trop compétitif, mais il reste important qu’il puisse dire aussi ce qui lui plaît vraiment : l’envie de faire tel métier, l’attrait pour telle l’activité de telle personne de son entourage, le besoin de toucher au concret ou de voir le résultat précis de ce qu’il apprend ou tester une orientation. Le président Neveu ajoute « Des changements de regards de la société et des changements de représentation des familles sont encore nécessaires pour casser l’image d’un choix d’orientation par défaut ou par l’échec du style « il est là parce qu’il n’est pas bon à l’école ». Aujourd’hui, cela ne fait plus sourire d’entendre un ingénieur dire qu’il est en apprentissage. L’alternance devient une voie de professionnalisation appréciée et elle peut être une étape dans un parcours à tous les âges de la vie. » Dans cette affaire le rôle du conseil régional de Bretagne est déterminant puisqu’il assure le financement de 18 400 postes d’apprentis, avec des aides significatives pour la restauration, l’hébergement et le premier équipement.
Colette Babou, la déléguée générale de la Faculté des métiers, estime à 85 % le taux d’insertion professionnelle à la fin des contrats d’alternance. « L’apprenti vit une réelle expérience professionnelle en étant épaulé par un maître d’apprentissage qui transmet sa connaissance du métier et son savoir faire. La plupart du temps, ces formations donnent directement accès à la profession correspondante. » Par son aspect immédiatement opérationnel, l’alternance est un accélérateur pour le rapprochement des demandes et des offres d’emploi. Certes, ce n’est pas la solution miracle pour tous les jeunes, certains peuvant regretter un engagement précoce trop précis. Mais nombre de familles et de jeunes sont sensibles au fait que les études générales longues peuvent provoquer de graves déceptions à l’arrivée sur le marché de l’emploi. Il n’y a pas de voie unique toute tracée et l’éventail des recherches sur l’orientation semble de plus en plus ouvert.
Construire une pédagogie intégrant le double apport du centre de formation et de l’entreprise, tel est le voeu de Ker Lann. En alternance, on apprend en étant confronté à des situations réelles pratiques, et aussi en prenant du recul par rapport à ce qui est fait et vécu à la Faculté des métiers. À cet égard, la démarche d’individualisation des apprentissages et des parcours de formation est largement pratiquée. En revanche, selon les apprentis rencontrés, la déconnexion reste encore trop forte entre le contenu de la formation générale reçue au centre de formation et les tâches à accomplir en entreprises. Leur souhait serait que les enseignants libèrent davantage de temps pour se déplacer dans l’entreprise où travaille le jeune.
En contrat d’alternance, la personne est salariée et bénéficie d’une rémunération qui varie selon l’âge et selon la progression dans le cycle de formation; elle bénéficie également de congés payés, de droits à la sécurité sociale et à la retraite. Il est possible de préparer en alternance un Cap, un bac pro, un Bts, une licence ou un master, mais également tous les titres inscrits au Répertoire national des certifications professionnelles (Rncp).
L’objectif est que tout le monde y trouve son compte: l’apprenti participe à la valeur ajoutée de l’entreprise tout en recevant une formation concrète. L’équilibre n’est pas toujours facile à trouver. Pour André Gérard, conseiller principal d’éducation, « des jeunes qui sortent du collège peuvent être déstabilisés par ce changement de statut, par la sortie du rythme scolaire, par les exigences du travail en entreprises, par la fatigue physique. Mais ce contrat peut être aussi très structurant pour la personne, à condition qu’elle ait un accompagnement. »
Maxime Brochard, bac pro Maintenance Véhicules Auto: « Je n’ai jamais été très intéressé par l’école et je n’ai pas eu de bons résultats au collège; mes bulletins portaient tous la mention « capacités inexploitées », au point de fâcher mes parents. Je voulais dès que possible chercher quelque chose dans le domaine professionnel, faire quelque chose qui me plaise. Mon grand père a travaillé à PSA et m’a donné une image positive de ce travail dans la maintenance auto.
J’ai donc fait un essai pour préparer un bac pro au lycée Saint-Etienne mais je n’ai eu que deux stages en entreprise pendant l’année; je préfère la formule de la Fac des métiers, 15 jours en formation, 15 jours en entreprises; je trouve qu’on progresse plus vite en entreprise. Par contre, on ne fait pas assez le lien entre les deux; il n’y a pas assez de visites des profs en entreprises.
On est trois dans le garage: le patron, un ouvrier qui est mon maître d’apprentissage et moi qui ai remplacé quelqu’un qui partait en retraite; j’ai ma place. J’admire beaucoup les capacités de mon tuteur: il sait tout faire. Je gagne 517 euros par mois et j’arrive à gérer. Je loge en cité à Ker Lann pendant les deux semaines de formation et deux semaines chez mes parents. Les semaines de travail sont fatigantes mais ce que j’aime, c’est de voir l’utilité de ce que je fais. Par exemple, quand je répare une boîte de vitesse, à la fin, ça marche ou ça ne marche pas. Je vois le résultat et ça me va. D’ailleurs en général, je n’aime pas la frime. »
Marc Drothier 26 ans, Cap boulanger en un an: « Dans ma famille, nous sommes trois garçons et la tradition est d’aller le plus loin possible dans les études générales. Après mon bac économique et social, j’ai donc fait deux années de fac d’économie puis un Bts banque en alternance qui s’est bien passé, mais le démarchage commercial m’a atteint le moral et, par manque de motivation, je ne me suis pas senti capable de continuer. Après longue réflexion et échange avec mon amie, j’ai fait le choix de faire autre chose, malgré le sacrifice financier. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est la pâtisserie, mais je n’ai pas trouvé d’employeur dans cette profession. J’ai donc signé un contrat d’apprentissage chez un boulanger.
À la Faculté des métiers, je suis dans une section spécifique; les jeunes qui ont le bac sont dispensés des matières générales; je suis deux semaines sur trois en entreprise et je peux obtenir mon Cap en un an. Je gagne 860 euros par mois, en travaillant sept heures non-stop par jour. Travailler debout est fatigant, mais je suis de bonne humeur et j’ai le plaisir de faire quelque chose de manuel dans une bonne ambiance, même si parfois j’ai des petits soucis de rémunération de mes heures. C’est dommage que je n’aie pas fait ce choix à 18 ans, en même temps c’est un parcours qui m’a apporté une ouverture et je compte bien évoluer encore. Mon projet est de voyager dans d’autres pays pour voir d’autres façons de travailler et plus tard d’ouvrir un salon de thé. »
Celia Coupé 21 ans, Cap fleuriste: « Dès la fin de ma troisième, je voulais être fleuriste. J’ai toujours aimé les métiers manuels. J’ai toujours eu également de l’intérêt pour les enfants et, après le bac littéraire, je me suis inscrite en fac d’espagnol avec le projet de devenir professeur des écoles. Après trois années de fac, j’ai été acceptée en master, mais en écoutant les discours d’accueil des profs, j’ai compris que ces études théoriques n’étaient pas pour moi. C’est alors que j’ai annoncé à mes parents – qui ont toujours respecté mes choix – que je souhaitais faire une formation de fleuriste. La chambre de commerce m’a aidée à trouver un employeur. Ce qui importe à ma patronne, c’est ma motivation.
Nous sommes quatre dans le magasin. Au début, on ne sait pas trop comment se situer, mais peu à peu, je me suis sentie considérée et c’est un travail d’équipe. L’alternance me convient bien et est pour moi un bon compromis dans la formation. Ce qui compte, ce n’est pas le diplôme, mais de faire ce que j’ai envie de faire. Je n’ai aucun regret. Je suis contente d’avoir osé ce choix. J’apprécie la dimension artistique de ce travail qui s’exerce sur des choses vivantes. C’est aussi un métier de contact avec les gens. Pour l’avenir, j’ai envie de poursuivre ma formation par un Bts dans ce domaine et peut-être un jour d’ouvrir mon magasin de fleurs. »