<
>
Entretien
#34
RÉSUMÉ > Anne Dary dirige le Musée des beaux-arts de Rennes depuis octobre 2012. Pour Place Publique, cette passionnée d’art contemporain revient sur son parcours, ses réalisations et ses projets. Elle n’en manque pas pour le Musée, qu’elle ouvre progressivement à de nouveaux artistes, à travers des expositions temporaires remarquées, comme celle consacrée à Gilles Aillaud jusqu’au mois de mai prochain. À plus long terme, la conservatrice souhaite également réorganiser le musée en profondeur, en l’ouvrant largement vers l’avenue Janvier. Sans oublier de faire résonner les beaux-arts hors les murs, dans les quartiers.

PLACE PUBLIQUE : Pour commencer cet entretien, qui sera placé sous le signe des arts, une question liée à l’actualité tragique de ce début d’année : comment réagissez-vous face aux attentats qui ont montré qu’on pouvait mourir pour des dessins ?
ANNE DARY :
 L’art est toujours une réponse à la barbarie. C’est une manière d’être au monde qui est évidemment liée à la liberté d’expression. On le voit bien, partout : la barbarie a toujours détruit les oeuvres d’art. Certains artistes revendiquent d’ailleurs directement une dimension politique : voyez par exemple l’artiste contemporain chinois Ai Wewei, qui défie le pouvoir de Pékin. Si on remonte dans le passé, on peut citer Courbet, ou les artistes du Bauhaus, qui pensaient que l’art pouvait changer le monde ! Je n’en suis pas aussi sûre qu’eux, mais je crois tout de même qu’il l’améliore.

Vous êtes depuis deux ans la conservatrice du Musée des beaux-arts de Rennes. Quelles sont vos origines et quel a été votre parcours ?
Je ne suis pas originaire de la région. Mon père était militaire de carrière, dans les chasseurs alpins, et je suis née à Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence. Ensuite, enfant, j’ai déménagé régulièrement au gré des affectations de mon père, à Toulouse, dans les Deux- Sèvres, et même à Coëtquidan, non loin de Rennes ! Puis adolescente, j’ai vécu durant six ans dans la grande banlieue parisienne. Ce fut une période un peu difficile. J’ai d’ailleurs toujours de la sympathie pour ces jeunes de banlieue, car je connais l’ennui qu’on peut y rencontrer… C’était vraiment le désert culturel ! Lorsque je suis partie faire mes études d’histoire de l’art à Dijon, en 1970, ce fut pour moi la grande liberté !

Vous aviez déjà le projet de travailler dans les musées ?
Non, au départ, j’aurais voulu faire du design. Je me suis d’ailleurs inscrite à l’école des beaux-arts de Dijon en même temps qu’en histoire de l’art à l’Université. Il y avait à l’époque un jeune professeur d’histoire de l’art qui enseignait l’art contemporain, Serge Lemoine (il a longtemps dirigé le Musée de Grenoble puis celui d’Orsay, à Paris). Il emmenait ses étudiants à la Foire de Bâle, à la Documenta de Kassel, voir des expositions à Paris… C’était une ouverture formidable ! Moi qui appartenais à la petite bourgeoisie, j’avais vu des expositions assez jeune, j’étais allée dans les musées, mais je ne connaissais pas l’art contemporain. Et ça m’a tout de suite plu ! C’était pour moi une grande découverte, une ouverture sur le monde.

C’est à ce moment-là que se précise votre projet professionnel ?
Oui, sans doute, les musées se sont progressivement imposés à moi. En fait, pour mon premier poste – je n’avais même pas terminé ma maîtrise –, je suis partie à la Maison de la culture de Chalon-sur-Saône, comme animatrice des expositions, durant deux ans. C’était très dynamique, concret et très effervescent ! Ensuite, j’ai rejoint le Musée d’arts et d’industrie de Saint-Étienne, dirigé par un homme formidable, Bernard Ceysson. C’était l’un des rares musées de France à collectionner l’art le plus d’avant-garde et proposer des expositions en art moderne et en art contemporain. C’est là que j’ai effectué mon stage de conservateur, j’y suis restée près de cinq ans, en enchaînant des vacations : j’ai été commissaire de plusieurs expos, le conservateur me faisait confiance, alors que j’étais très jeune. Je me souviens d’une exposition pour laquelle j’avais sollicité de grands photographes des années trente, pour leur demander des photos, qu’ils m’envoyaient par la poste. Ce sont des souvenirs merveilleux !

Nous sommes au début des années quatre-vingt, et c’est la création des Fonds régionaux d’art contemporain par Jack Lang, le ministre de la Culture de François Mitterrand. Vous allez sauter sur l’occasion !
Exactement ! Je me suis présentée au FRAC Rhône- Alpes, à Lyon, j’ai obtenu le poste et je l’ai dirigé pendant quatre ans, de 1983 à fin 1986. C’était une aventure de pionniers ! Lorsque je suis arrivée, il n’existait que l’association créée pour l’occasion, et un bureau prêté par la DRAC. Il a fallu constituer la collection, c’était passionnant. C’est là que j’ai vraiment tout appris : il fallait créer les réseaux avec les artistes, visiter les galeries, aller à l’étranger pour découvrir les expositions… Puis en 1986, j’ai cherché un poste de conservateur dans un musée et j’ai atterri à la Roche-sur-Yon. C’était un Musée des beaux-arts, avec un fonds important d’oeuvres du 19e, mais aussi un fonds récent d’artistes travaillant avec la photographie que j’ai développé avec de nombreuses acquisitions, comme celles de Cindy Sherman, l’école allemande, Christian Boltanski, Annette Messager avec qui nous avions fait une exposition magnifique.

Vous avez eu carte blanche ?
Oui, nous étions très soutenus par la DRAC. Et c’était une période très riche dans les Pays de la Loire. Il y avait le Musée des Sables-d’Olonne, dirigé par l’un de mes amis, Didier Semin, avec qui j’avais été en stage à SaintÉtienne. À la DRAC, le conseiller en arts plastiques était un garçon formidable, Mario Toran, qui malheureusement décédé du sida quelques années plus tard, et qui arrivait à fédérer les énergies de façon magistrale. Henry- Claude Cousseau dirigeait le Musée des beaux-arts de Nantes, et Jean-François Taddei était à la tête du FRAC. J’appréciais beaucoup ce travail en réseau, nous organisions des visites de presse communes pour les vernissages, c’était très dynamisant…

On entend que ce fut une période importante pour vous. Vous avez quitté la région à regret ?
J’y suis restée six ans et demi. Je crois que j’y serai restée plus longtemps si le Musée avait été agrandi. Mes trois filles à l’époque étaient encore jeunes, et j’ai apprécié de vivre dans cette ville à taille humaine, où tout se fait à pied. Ensuite, je suis partie dans le Jura, pour diriger une conservation départementale comprenant cinq musées. Le FRAC de Franche-Comté a longtemps été hébergé au sein du Musée des beaux-arts du Jura, à Dole. Je m’en suis occupé directement pendant dix ans, avant qu’il ne s’installe à Besançon. J’ai donc vécu à Dole pendant 19 ans, à partir de 1993, avant d’arriver à Rennes fin 2012.

Lorsqu’on est Rennais et que l’on connaît le Musée des beauxarts, on ne l’associe pas spontanément à l’art contemporain ! Qu’est-ce qui vous a poussé à vous y intéresser ?
Il y a eu plusieurs tours de recrutement, après le départ en retraite du prédécent conservateur, Francis Ribemont, fin 2011. C’est un de mes amis, qui dirige le Musée de Grenoble, Guy Tosatto, qui m’informe un jour que le Musée de Rennes cherche un conservateur. Je lui réponds que je veux bien aller à Rennes, mais que l’art ancien n’est pas ma spécialité, alors que c’est celle du Musée des beaux-arts de cette ville… Il insiste en me disant qu’il sait que Rennes souhaite s’ouvrir à l’art contemporain. Je suis venue voir, et je me suis présentée. Puis il y a eu l’opportunité d’un remplacement d’un conservateur qui m’a permis de recruter l’un des meilleurs spécialistes pour la peinture du 17e siècle, Guillaume Kazerouni

Quel était votre projet pour le Musée ?
J’ai défendu un projet qui encourage un dialogue entre art ancien et art contemporain. C’est aussi ce que je faisais dans le Jura, où il n’y avait de l’art contemporain que dans un seul musée.

Cette proposition a été le point fort de votre candidature. Comment a-t-elle été perçue par vos interlocuteurs rennais ?
Elle a été reçue comme une promesse de « coup de jeune » apportée au musée. Toutefois, je n’oppose jamais les différentes disciplines. Et en réalité, je crois que si je ne faisais pas du tout d’art ancien, cela me manquerait ! Proposer une exposition comme celle de Ribera, un maître espagnol du 17e siècle, en même temps que celle de Gilles Aillaud, c’est passionnant du point de vue de l’histoire de l’art ! Ce que je trouve extraordinaire, c’est que dans ce musée, le parcours va de l’Égypte ancienne au 21e siècle. Cette traversée dans l’histoire de l’art, c’est une grande ouverture et un puissant détonateur pour l’imaginaire ! Sans oublier la dimension géographique, grâce au cabinet de curiosités de Robien, on voyage dans l’espace et le temps ! C’est le coeur du musée. Régulièrement, on sort des oeuvres des réserves pour enrichir l’accrochage des collections grâce à des restaurations par exemple, mais aussi pour organiser des expositions temporaires (sur les dessins français l’an dernier ou italiens cet été, les tapisseries du Parlement en 2016, l’art africain dans les années qui viennent). Pour moi, le musée, c’est comme un grand paquebot, dont les cales sont remplies de trésors.

C’est cela qui vous a décidé, ce potentiel du musée rennais ?
C’est indéniable ! Nous avons de nombreux projets en ce sens. Je pourrai encore rajouter l’installation dans le patio cet automne des grands décors d’artistes bretons des années 1910, Kerga, Méheut, Guérin, Lemordant… Ce sont des grands panneaux monumentaux qui étaient pour certains d’entre eux installés dans des hôtels. Ils ont été restaurés mais jamais exposés. On voit à travers ces oeuvres, l’effervescence artistique en Bretagne à la suite des nabis.

Vous avez d’autres « trésors » en réserve ?
Oui ! En 2016, nous réaliserons une exposition autour des tentures du Parlement de Bretagne, dont la plupart ont disparu dans l’incendie de 1994, puis dans celui de l’atelier chargé de leur restauration. Mais nous possédons les cartons de ces tapisseries, c’est-à-dire les modèles peints à l’huile sur toile, qui servaient de modèle au lissier. Nous allons rassembler ces cartons, que nous conservons dans notre réserve et qui sont en cours de restauration ainsi que quelques tapisseries subsistant encore, provenant du Mobilier National.

Quelle forme prendra cette exposition ?
Nous allons travailler en réseau : les archives municipales proposeront une exposition autour de l’aménagement de la place du Parlement, le Musée de Bretagne va participer avec la présentation d’un plan inédit du 18e siècle de Rennes, et avec d’autres projets encore à l’étude, l’Opéra nous propose un concert, ainsi que le Conservatoire, la Grande Bibliothèque une conférence, etc.

Voilà qui nous amène à la place du Musée dans la ville ! Comment portez-vous cette mise en réseau ?
Assez bien ! C’est ce que j’adore ici : les pilotes des autres institutions sont des gens formidables, avec lesquels on peut avoir des projets et une grande connivence, que ce soit les Champs libres, le Musée de Bretagne, l’Opéra, la Criée, le Conservatoire, le Frac de Bretagne, l’EESAB, l’université… Pour moi, c’est nouveau.

Au cours de ces deux ans passés à Rennes, quels sont les événements marquants que vous retenez et qui correspondent à votre projet ?
Lorsque le chorégraphe Philippe Decouflé est venu avec le TNB pendant le festival Mettre en scène en novembre 2013, pour s’emparer du Musée, c’était formidable ! C’est toujours difficile d’introduire la danse et d’autres formes d’arts dans un musée. Ce qui m’intéresse, c’est lorsque cette proposition est en lien avec les expositions ou les collections. Decouflé est vraiment parti de nos collections. Il s’est promené dans les salles avec sa troupe, il faisait parler les tableaux ! Le succès a été au rendez-vous.

Il y a aussi eu, au printemps 2014, l’exposition de la Nona Ora, l’oeuvre de Maurizio Cattelan, dans un dialogue singulier avec les retables du 17e.
Oui, dans ce cas précis, je n’ai fait que saisir une belle opportunité ! Il s’agissait d’une proposition de l’archevêque de Rennes, Monseigneur d’Ornellas. J’ai tenu à ce que cette oeuvre contemporaine soit exposée dans la salle du Lebrun, car par-delà les siècles, ces oeuvres parlent de la mort et de son mystère.

Revenons à Rennes et votre perception de ce territoire. On a senti de l’enthousiasme dans votre propos. Il y a peut-être aussi des impatiences, des déceptions ?
C’est vrai que je n’arrive pas à un très bon moment du point de vue des finances publiques ! La période est un peu difficile. Chacun doit faire des efforts, c’est un peu frustrant. Il faut faire des économies, on est contraint de sacrifier des projets. Toutefois, il ne faut pas non plus exagérer, on peut encore travailler…

Il faut donc faire encore davantage preuve d’imagination ?
Sans doute ! L’essentiel, c’est de renforcer les coopérations, ne pas faire trop de projets seuls. La mutualisation permet de diminuer les coûts. C’est le cas, par exemple, de l’exposition temporaire Gilles Aillaud, qui partira fin mai à Saint-Rémy de Provence, puis au FRAC Auvergne à Clermont-Ferrand. Nous avons ainsi édité un catalogue commun et nous partageons les coûts de transport.

Vous évoquez cette rétrospective Aillaud, un peintre contemporain (il est décédé il y a dix ans) relativement méconnu. Comment est né ce projet ?
Je monte la plupart du temps mes expositions en lien avec les collections du musée. Pour moi, c’est le terreau qui donne la matière des projets. Nous avons un tableau d’Aillaud au musée, il y en a un au Frac, un autre chez un collectionneur privé rennais, et d’autres encore à l’Artothèque de Vitré. Et puis, Gilles Aillaud venait souvent travailler en Bretagne, il a peint de grands paysages littoraux. Il a travaillé également avec des metteurs en scène qui avaient eux aussi des liens forts avec la Bretagne. La dernière grande exposition a été présentée au Musée d’Art et d’Histoire à Luxembourg il y a dix ans. D’autres présentations partielles avaient été réalisées, mais il s’agit là de la première grande exposition autour de cet artiste, avec près de 200 oeuvres (une soixantaine de toiles, une centaine de lithographies, et une quarantaine de dessins).

C’est un peu un produit d’appel, pour redécouvrir les autres collections du musée ?
C’est bien l’idée ! L’exposition occupe tout le rez-dechaussée et le patio du musée, mais on peut évidemment en profiter pour visiter l’ensemble des espaces muséaux puisqu’il y a régulièrement de nouvelles oeuvres qui viennent enrichir le parcours en art contemporain et en art ancien. Et j’espère bientôt en art moderne grâce à de nouveaux dépôts du Centre Pompidou et du Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

L’exposition dure quatre mois, c’est le bon format ?
Je le crois. J’aime bien cette proposition de trois à quatre mois. Cela permet au bouche-à-oreille de fonctionner. Il s’agit de ma première grande monographie à Rennes. C’est un format intéressant : c’est là que l’on approfondit le travail, que l’on découvre une oeuvre… On emmène le visiteur à la découverte d’un univers. Cela dit, l’été dernier, lorsqu’on a montré les dessins français des 16e et 17e siècles, cela faisait aussi partie de notre travail de montrer l’étendue de nos richesses.

Quels sont les indicateurs que vous utilisez pour mesurer le succès d’une exposition ?
Le nombre de visiteurs fournit évidemment un élément de réponse ! Lorsque je suis arrivée, il y avait en moyenne 60 000 visiteurs par an. En 2013, on a enregistré 75 000 entrées, et en 2014, nous étions à 85 000 visiteurs. Cette progression significative s’explique par la programmation. Entre deux expositions temporaires, les chiffres le montrent, la fréquentation chute. Nous essayons d’enchaîner les propositions, selon des formats différents afin qu’il y ait, outre les collections, toujours une exposition temporaire à voir.

L’autre levier sur lequel vous pouvez jouer, ce sont les horaires d’ouverture !
Nous sommes en train d’y travailler. Je souhaiterais que le musée soit ouvert à l’heure du déjeuner, entre midi et deux. Mais je ne peux pas avoir plus de personnel. Il faut discuter avec les équipes du musée pour savoir comment on peut fonctionner. On pourrait par exemple n’ouvrir que les expositions temporaires du rez-de-chaussée à l’heure de midi, et pas les collections… Nous en discutons. Nous faisons des simulations.

Autre piste : les nocturnes. Comptez-vous les développer ?
Nous fermons à 18 heures, mais nous proposons régulièrement en soirée des conférences, des concerts, une rencontre avec un artiste. Nous allons poursuivre dans cette voie, car l’exemple d’autres villes montre que sans événements, les nocturnes ne fonctionnent pas. Notre auditorium fait régulièrement le plein. Nous accueillons aussi des soirées privées, dans le cadre de notre fonds de dotation et du mécénat.

Où en est la réflexion d’ouvrir le musée vers le jardin et l’avenue Janvier ?
C’est mon grand projet ! Nous lançons cette année une étude de préprogrammation. Le musée a fait l’objet de travaux d’entretien réguliers et successifs, mais vient le moment où il convient de se poser la question d’une approche architecturale globale, pour mieux le penser. Les collections ne sont pas forcément placées au meilleur endroit. Nous allons élaborer plusieurs scénarios avec les programmistes qui seront sélectionnés. Pour ma part, je défends effectivement l’idée d’une ouverture du musée vers le jardin Joseph Loth.

Qu’en attendez-vous ?
Il s’agirait d’y réaliser une construction contemporaine dédiée à l’accueil des publics, ce qui libérerait d’autant des espaces intérieurs pour les collections contemporaines. Cette construction pourrait agir comme un signal, pour le visiteur arrivant de la gare, avec une belle sculpture dans le jardin. Le musée se réarrimerait à cet axe nord-sud structurant de la ville. On pourrait imaginer un espace salon de thé, une boutique digne de ce nom. Les salles d’archéologie qui sont actuellement derrière l’accueil, pourraient être repensées dans des espaces du premier étage et celles-ci consacrées à l’art contemporain. On pourrait réutiliser ces espaces qui ont en réalité de beaux volumes et la lumière naturelle.

Quel pourrait être le calendrier ?
Nous faisons appel à des cabinets de programmistes, spécialisés dans les musées. Ils devront répondre au cahier des charges d’ici à la fin de l’année, pour une sélection de l’équipe lauréate fin 2015. Mais je ne souhaite pas me prononcer sur un budget ou sur un calendrier précis à ce stade du projet. C’est une première marche et l’étude de plusieurs scénarios possibles.

Il existe aussi une dimension « hors les murs » de l’action du musée. Quels sont vos projets dans ce domaine ?
Nous avons un projet actuellement avec les habitants du quartier du Blosne. Dans le cadre de l’exposition Aillaud, nous travaillons avec un metteur en scène, Jean- François Le Garrec, qui met en scène la parole d’un nouveau public et la restitue. Le résultat sera présenté en avril-mai. Nous aimerions évidemment multiplier ce type d’initiatives, mais le musée ne compte que quatre médiatrices, c’est notre limite. Cependant nous voudrions développer ce partenariat avec le quartier du Blosne à travers d’autres actions.

Comment, malgré tout, faire venir au musée de nouveaux publics ?
Une de mes premières actions fut l’ouverture gratuite du musée le premier dimanche du mois. C’est un dispositif national, auquel le Musée de Rennes n’était pas associé jusqu’alors. Le Musée de Bretagne, l’écomusée et le FRAC ont suivi le mouvement, j’en suis très fière ! Et le succès est au rendez-vous : nous avons eu 1 800 personnes lors du premier dimanche de janvier 2014 ! La fréquentation, ces jours-là, évolue en moyenne entre 400 et 1 000 visiteurs.

Vous évoquez les autres établissements culturels rennais. Comment travaillez-vous ensemble ?
En montant des projets communs. Nous avons ainsi un projet d’exposition de sculpture qui s’appellerait « Retour à l’atelier ». Je le porte avec la Criée et le FRAC Bretagne. Il sera sur nos trois lieux simultanément. C’est prévu à l’été 2017.

L’été, c’est peut-être une période à investir particulièrement, dans une logique touristique ?
C’est vrai qu’on m’interroge beaucoup là-dessus, mais j’avoue que je n’ai pas encore trop de réponses… Nous y réfléchissons avec Destination Rennes. Si nous faisions des expositions très grand public, comme certains musées, cela nous attirerait peut-être un public de touristes supplémentaire. Mais c’est une question difficile, nous avons également une mission, qui consiste à faire avancer l’histoire de l’art. Je ne peux pas faire la énième exposition qui n’apporte rien sur un artiste ! Notre travail doit être à la fois populaire dans sa pédagogie et d’avant-garde d’un point de vue scientifique.

Que voulez-vous dire ?
Prenez l’exposition Ribera. Il s’agit de la première exposition sur ce peintre en France. Elle réunit pour la première fois des oeuvres qui n’avaient jamais été exposées et qui montrent la jeunesse de Ribera, ainsi que des toiles qui n’étaient pas attribuées à ce peintre auparavant. L’exposition permet une vraie découverte et les textes qui accompagnent l’exposition comme le catalogue sont très pédagogiques. Dans le même esprit, cet été, nous allons faire une exposition Disegno 2, qui sera la suite d’une exposition de dessins italiens des 17e et 18e siècles, que le musée avait organisée en 1990. Depuis vingt-cinq ans, une cinquantaine de ces dessins ont changé d’attribution : ils étaient soit anonymes, soit mal attribués. Nous allons expliquer la démarche, comme une enquête policière, qui permet d’aller d’une attribution à une nouvelle. En même temps, nous ferons une exposition de dessins italiens provenant de collectionneurs privés, nous accueillerons une jeune artiste dans le patio, Maud Maris, et nous projetterons dans l’auditorium une oeuvre vidéo en résonance avec le thème italien de l’exposition principale.

Vous évoquez la vidéo à l’instant. Quels sont vos projets dans le domaine de l’art numérique ?
Régulièrement, je souhaiterais montrer des oeuvres vidéo, et notamment durant l’été dans l’auditorium, car il est moins utilisé à cette période. Pour le moment, nous n’avons pas de fonds vidéo. Nous pourrons y réfléchir, mais j’ai déjà plus que doublé la collection d’art contemporain par des acquisitions, ou grâce à des dépôts du fonds national d’art contemporain. On ne peut pas travailler sur tous les fronts en même temps.

Il y a eu l’acquisition du fameux tableau de Ribera, fin 2013…
Lorsque je suis arrivée, j’ai un peu mangé mon pain blanc ! Il n’y avait pas eu d’acquisitions depuis deux ans, c’est ce qui nous a permis d’acquérir le Saint Jude Thaddée de Ribera à la faveur d’un financement de la ville de Rennes et de l’État et d’une souscription publique. C’est une opération de 300 000 euros, et nous avons réuni 50 000 euros sur souscription. C’était une première à Rennes !

Du coup, vous disposez de moyens financiers plus limités pour d’autres investissements…
Forcément, oui. Dans le domaine du numérique, notre priorité est la refonte du site internet du musée, qui est obsolète. Nous avons défini le cahier des charges, et le nouveau site sera mis en ligne dans le courant de l’année. C’est indispensable. C’est un outil qui offre de nombreuses possibilités : on peut y mettre des vidéos, télécharger des visites commentées…

Quels sont vos objectifs en matière de médiation, d’accueil des publics ? Faut-il, selon vous, renforcer les présentations en réalité augmentée, par exemple ?
Il est difficile de répondre à cette question de façon catégorique. Nous exposons, par exemple, une oeuvre de l’artiste Laurent Pariente, et nous avons une vidéo de l’artiste en train de la réaliser, c’est vraiment très éclairant ! Dans ce cas précis, la vidéo est vraiment utile. Surtout pour l’art contemporain : entendre l’artiste parler de son oeuvre, c’est toujours très enrichissant.

Pour en revenir à Rennes, quel regard portez-vous désormais sur la ville ?
C’est un territoire très actif, avec beaucoup de propositions culturelles, on a d’ailleurs parfois du mal à suivre ! C’est une ville qui a un côté intellectuel, pas bling-bling : les gens réfléchissent sur ce qu’ils font, c’est une dimension que j’apprécie ici. Mais j’exprime quand même une critique : je trouve que la dimension architecturale de Rennes a été très abîmée au cours du 20e siècle (avec des destructions majeures, comme le couvent de la Visitation, et une architecture très médiocre qui a remplacé les destructions de la guerre). Ça me fait de la peine de voir la Vilaine canalisée et couverte d’un parking, en coeur de ville. Pourtant, en amont et en aval, c’est superbe ! Je le vois lorsque je viens le matin, depuis Cesson-Sévigné – en vélo électrique –, le long des berges et par la Promenade des Bonnets-Rouges ! C’est un patrimoine à préserver. En matière d’urbanisme, j’espère que le chantier d’EuroRennes à la gare va tenir ses promesses, avec une belle architecture, dans laquelle les habitants se sentiront bien, avec des matériaux écologiques. De ce point de vue, j’apprécie les réalisations rennaises de l’architecte Georges Maillols, ou celle de l’église Saint-Yves, qui traversent les époques avec élégance. Et je trouve assez réussi le nouvel immeuble de Jean Nouvel.

Pour conclure, s’il y avait une oeuvre dans le musée que vous souhaiteriez faire découvrir – mis à part bien sûr la célèbre Nativité de Georges de La Tour !–, quel serait votre coup de coeur ?
J’aime beaucoup Le cylindre d’or, de Paul Sérusier. Il s’agit d’une oeuvre tellement mystérieuse ! C’est un petit tableau pratiquement abstrait, qui date de 1910, influencé de pratiques ésotériques. J’ai un coup de coeur pour ces peintres nabis qui ont été fortement marqués par la Bretagne et que nous avons enrichis l’année dernière avec l’acquisition d’une petite toile de Maurice Denis, Les brûleuses de goémon, datée de 1890.