Au début du 20e siècle, l’enracinement de la République, ses valeurs et ses symboles, secrète une culture politique, en partie captée par la mouvance radicale. C’est le cas dans la région de Saint-Malo et plus largement dans la « dorsale bleue » de l’Ille-et- Vilaine, dominée par un vote d’adhésion au régime républicain avant 1914. Vecteur d’un modèle social républicain, l’école, moyen de garantir la méritocratie et de promouvoir la possibilité d’ascension sociale d’une frange des catégories populaires, se révèle au coeur de ce projet politique. Si le bloc de gauche s’identifie au mouvement laïque, clivage déterminant du système partisan à l’échelle de la Bretagne, l’irruption de la question sociale, entre la Révolution industrielle et l’entre-deux-guerres, induit un glissement du clivage Bleus/Blancs à l’opposition Rouges/Blancs.
Le parcours militant de Robert Le Foulgoc incarne ces mutations de fond du champ politique dans le pays malouin. Né le 5 juin 2011, ce fils d’un ouvrier à l’Arsenal maritime de Brest reçoit les premiers sacrements catholiques. Élève de l’École primaire supérieure de Brest, il entre à l’École normale de Rennes en 1927, en dépit des réticences de l’administration dues à une double fracture à la jambe qui l’oblige à passer une année au sanatorium de Roscoff en 1917. Il commence sa carrière d’instituteur dans le Nord républicain de l’Ille-et- Vilaine, à Cancale (1931-1933) puis Saint-Malo à partir de 1933. Résidant à Paramé, il devient maître de cours complémentaire à Saint-Malo Rocabey (1950-1959) puis directeur du Collège d’enseignement général de Dinard (garçons) jusqu’à sa retraite, qu’il goûte à Saint-Briac.
Membre de Syndicat national des instituteurs (SNI) depuis 1931, il est le secrétaire de la section du canton de Saint-Malo à partir de 1933. Élu au conseil syndical de la section départementale en juillet 1937, membre du bureau en mars 1938, il en devient le secrétaire adjoint en mars 1939. S’estimant gréviste le 30 novembre 1938, moment de répression antisyndical, expression d’une politique de revanche contre le Front Populaire, il accepte que ses élèves restent dans la cour, mais l’inspecteur d’Académie le déclare non-gréviste. Au sein de l’Union locale CGT de Saint-Malo, il participe au fonctionnement d’un collège du travail.
Républicain laïque, Robert Le Foulgoc milite à la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et à la Libre- Pensée dès les années 1930, se rapprochant du milieu partisan socialiste. Adhérent de la SFIO en 1936, il accède à la responsabilité de trésorier de la section de Saint-Malo. Membre du comité local du mouvement Amsterdam-Pleyel, il fait partie, à partir de 1938, du comité antifasciste clandestin dont le code secret était « Pourquoi pas », animé par le professeur communiste Pierre Morhange.
Au sein du camp républicain, l’autonomisation du pôle socialiste, force politique encore secondaire dans les années 1930, se nourrit des engagements militants des milieux ouvriers puis également des filières syndicales de l’école. La dynamique du Front Populaire accélère la montée en puissance des idées et des stratégies de la SFIO, qui se heurtent aux défis majeurs de l’après 1936- 1938, autour notamment de la dualité idéologique entre pacifisme et antifascisme. S’ouvre ainsi une période de divisions et d’incertitudes au sein de la gauche socialiste, littéralement brisée par le choc de la dislocation de la IIIe République en 1940.
La Résistance produit un ressourcement massif des milieux politiques. Évident pour le cas du PCF, ce renouvellement se traduit, pour la mouvance socialiste, par un repli sur les identités laïques et syndicales, filières de recrutement résistant. La Libération, moment de recomposition(s) du système partisan, accélère, côté socialiste, une régénération limitée à la promotion, à la mise en avant de la génération 1936. Parallèlement, la démocratie chrétienne connaît un changement de même nature, en puisant dans les viviers militants de la JOC et de la CFTC, pour reconfigurer son socle politique, majoritaire à l’échelle du département en 1945. La reconstruction du mouvement socialiste s’accompagne d’une inversion du rapport de force avec le pôle républicain, et des phénomènes de transferts des radicaux vers les socialistes. C’est le cas lors des élections cantonales de 1945. Outre Eugène Quessot, pilier du mouvement ouvrier et conseiller général de Rennes Sud- Est depuis 1919, le groupe SFIO agrège deux élus issus du milieu radical, dans les terres républicaines traditionnelles de l’Ille-et-Vilaine : Jean-Marie Trocherie à Antrain et Jules Besnard à Pleine-Fougères (cet héritage radical se perpétue jusqu’en 2015, les élus PRG ou affiliés formant une part importante de la majorité départementale dirigée par Jean-Louis Tourenne entre 2004 et 2015).
La culture socialiste, minoritaire dans un système partisan local comme régional dominé par le MRP, se confronte à la concurrence féroce avec les réseaux communistes, qui ont le vent en poupe à la Libération. La trajectoire de Robert Le Foulgoc s’identifie à une culture socialiste unitaire, qui prend sa source dans ses engagements résistants et syndicaux. Il refuse d’afficher le portrait du maréchal Pétain dans sa classe et participe aux actions de solidarité pour les instituteurs mobilisés, puis en captivité. Il intègre le parti socialiste clandestin, au contact d’Isidore Leroux, conseiller municipal SFIO de Paramé en 1935 et responsable Front national (mouvement de résistance d’obédience communiste), fusillé au Mont-Valérien en décembre 1943. Robert Le Foulgoc noue des relations indirectes avec Honoré Commeurec, ancien conseiller d’arrondissement et conseiller municipal de Rennes, président du CDL, mort en déportation.
Secrétaire de l’importante section SFIO de Paramé en novembre 1944, il exprime à plusieurs reprises, au printemps 1945, notamment dans L’Aurore socialiste, organe fédéral de la SFIO, des positions visant à renforcer politiquement les réseaux résistants et à initier une stratégie unitaire entre les deux grandes formations politiques du mouvement ouvrier (SFIO et PCF).
En septembre 1945, sa candidature dans le canton de Saint-Malo, pour le compte de la SFIO, symbolise le renouveau générationnel à l’oeuvre dans l’ensemble de l’arc politique. À 34 ans, il obtient 3 087 voix (35.9 %), bénéficiant de l’absence de candidature communiste, et talonne le candidat MRP Noury (3 482 voix). Malgré le désistement du radical Legay (1 694 voix), il est devancé au second tour de 500 voix (47,2 %).
Positionné à l’aile gauche de la SFIO, il figure en cinquième position sur la liste SFIO lors des législatives de novembre 1946 (17,17 %) derrière Albert Aubry (député 1919-1924, 1945-1951), Charles Foulon, Marcel Bietry2 et Marie Trégaro.
Il faut insister sur la vigueur du polyengagement dans les milieux militants de gauche. Ces engagements en réseaux témoignent aussi de l’enfermement dans l’éclatement du paysage syndical et du poids des luttes internes, sans merci, entre frères ennemis du mouvement ouvrier, socialistes et communistes. Au-delà de la trace des surenchères idéologiques dans l’identité militante, ces débats et combats expriment aussi un basculement dans le contrôle des filières, au tournant des années 1950-1960, au profit de la tendance communiste.
Numéro 2 du syndicat à la fin des années 1930, Robert Le Foulgoc retrouve, à la Libération, la direction départementale du SNI. Présidant la première séance du congrès national du SNI à Saint-Malo, le 18 juillet 1951, il intervient à plusieurs reprises lors des congrès nationaux, ciblant surtout la défense de la laïcité, moteur central des luttes syndicales dans l’Ouest caractérisé par le dualisme scolaire. Favorable, lors du congrès national du SNI le 23 mars 1948, au maintien dans la CGT (tout en prenant soin de se démarquer du communisme), il demeure au sein des réseaux dirigeants du SNI, formés par la composante majoritaire, socialisante. En 1951, il devient secrétaire départemental du SNI, en binôme avec le secrétaire adjoint, Roger Gomet, résistant communiste.
En 1954, conformément au statut de la section départementale, il abandonne ses responsabilités départementales, appuyant néanmoins son successeur issu de la mouvance socialisante, Georges Beauplet. Syndicaliste dévoué, désintéressé, orateur à la plume facile, il retrouve le secrétariat de la section entre 1956 et 1961, toujours en accord avec la majorité nationale « autonome », proche des socialistes.
Les relations se tendent de plus en plus entre le courant Unité action (UA, proche de la mouvance communiste) et la tendance Unité indépendance et démocratie (UID, s’identifiant à la sensibilité socialiste) au sein de la section du SNI, Robert Le Foulgoc réaffirmant sans cesse ses engagements et convictions laïques face aux attaques communistes. À partir de décembre 1961, les rapports de force s’inversent dans la section SNI d’Ille-et-Vilaine entre le courant UID (12 sièges), et le courant UA (13 sièges). Tête de la liste UID, Robert Le Foulgoc annonce en amont qu’il ne postule pas pour un nouveau mandat à la tête du SNI, s’exposant également aux critiques du socialiste Gaétan Piederrière, leader du SNI en Ille-et-Vilaine en 1919, autour de la question des retraites, mais plus largement des réseaux syndicaux du PSU, dans le contexte de la guerre d’Algérie.
Dans le même temps (années 1950-1960), Robert Le Foulgoc appartient aux cercles dirigeants de la LDH en Ille-et-Vilaine, aux côtés notamment de l’universitaire socialiste Armand Rébillon ou de Louis Voclair (directeur du puissant Cercle Paul-Bert), signe de l’emprise des réseaux socialistes sur la constellation des filières laïques et humanistes dans le département. En 1950, il prend la suite d’Armand Rébillon à la tête de la LDH d’Ille-et-Vilaine, en perte de vitesse au niveau de ses effectifs comme de son influence, après une période de reclassement et de transferts politiques, du radicalisme au socialisme3. Comme au plan syndical, Robert Le Foulgoc abandonne ses fonctions dirigeantes à la LDH en 1961, se retirant ainsi des réseaux militants investis depuis les années 1930.
Socialiste convaincu, il se situe d’abord à l’aile gauche du parti. En 1948, il intervient à plusieurs reprises lors de la scission suscitée par l’universitaire résistant Charles Foulon au sein de la SFIO, se heurtant à l’ancien leader des JS du Finistère. Marginalisé, il prend du recul par rapport aux instances fédérales socialistes, se repliant sur les filières militantes du SNI et de la LDH. En 1956, il figure sur la liste SFIO (8,8 % des suffrages exprimés) au plan départemental. À l’issue de ces élections, l’ancien responsable du SNI entre 1931 et 1938, Alexis Le Strat est élu député, grâce aux apparentements conclus avec le MRP, qui prolongent les stratégies de Troisième force, mises en oeuvre par la fédération SFIO, notamment à Rennes et Fougères. En 1958, Robert Le Foulgoc est à nouveau candidat à 47 ans aux cantonales dans le canton de Saint-Malo Nord, sans succès. La même année, il se présente comme le suppléant du notaire Abel Bourgeois, maire et conseiller général radical de Combourg lors des élections législatives, recueillant 6 550 voix, soit 10,8 % des suffrages exprimés. Devant la rétraction du milieu militant, la SFIO s’était rapprochée de la mouvance républicaine modérée, mettant en avant des têtes de réseaux comme Robert Le Foulgoc (SNI, LDH). Au fil des années 1950-1960, sa trajectoire militante le fait évoluer de l’aile gauche de la SFIO au centre gauche de l’échiquier politique, au sein d’un milieu politique en déprise.
Marié en septembre 1933 à Cancale à une employée des PTT et père de cinq enfants, Robert Le Foulgoc est aussi investi dans différentes activités culturelles : troupe de théâtre à Cancale, Maison du peuple de Paramé, Amicales laïques de Cancale puis Saint-Malo, comités des loisirs de Saint-Malo. Musicien, il est membre de l’orchestre symphonique et de l’harmonie municipale de Saint-Malo jusqu’en 1970.
Pour la gauche réformiste, démocratique et laïque, le temps du retrait de la génération militante à laquelle appartient Robert Le Foulgoc s’apparente à la fin d’un cycle politique. S’initie ainsi une refonte de la culture politique et du socle militant, sur d’autres bases, notamment par l’ouverture aux filières des chrétiens de gauche (ou plutôt des chrétiens à gauche), dans les années 1968. L’organisation partisane qui connaît une mutation des générations, des cultures et des stratégies s’ouvre sur d’autres milieux que le SNI ou la LDH par exemple, sans que le socialisme local ne perde totalement les relations privilégiées nouées avec les filières militantes du pôle laïque et humaniste4.