Après Charlie... Après l’effroi, après le choc, après la sidération, après l’horreur, après l’indignation collective, après tout. Se remettre à penser, penser l’avant, l’après. Si la barbarie a frappé (encore), que de nombreux Charlie se sont massés contre le fanatisme et l’obscurantisme, est aussi venu le temps de la réflexion. Les dessinateurs n’ont pas tous exhumé leurs pensées, parfois inhibés, pétrifiés dans leur moyen d’expression favori. Non par peur, mais trop ahuris par l’ampleur de la bêtise. Nous avons vu dans la presse d’autres réactions à chaud, et l’émotion s’exprimer ; un immense non au silence visuel, à coups de crayons s’érigeant en armes contre l’autocensure, pour la liberté d’expression et pour faire vivre l’impertinence. Résister. C’est dans ce contexte que nous avons proposé, pour ce portfolio, à cinq illustrateurs rennais de réagir et de prolonger la réflexion sur la liberté d’expression. Ils ne sont pas illustrateurs de presse, habitués à l’exercice de prendre la mesure d’un fait d’actualité et d’en revoir les contours. Nylso, Badame l’ambasadrise et Sébastien Lumineau sont illustrateurs et auteurs de bandes-dessinées (ils ont animé et participé à Périscopage). Phileas est illustratrice, Julien Lemière graphiste (Atelier du bourg) et tous deux également sérigraphes.
Chacun aura su sublimer ses émotions, peut-être même prendre un peu de distance. Du duel entre l’ombre et la lumière, jailliront de fiers arbres aux racines aériennes, aux cîmes pleines de terre, mouchetées de griffures... Lumineux et inquiétants. Inquiétants comme ces enfants hébétés, à demi-concients qui participent à l’unisson d’une chorale annonciatrice d’un chaos.
Lumineux, comme le désir de beauté et le plaisir naïf de dessiner, qui rendent plus absurdes encore le fanatisme et la barbarie.
Créer pour faire un pied de nez, pour détourner un sens. C’est ce que nous retrouvons dans ce portfolio avec l’histoire de La fiancée, une oeuvre qui sera censurée. Peut-être aussi parce les vies de ces fantassins de la liberté d’expression qu’étaient les dessinateurs de Charlie, furent jalonnées non seulement de dessins mais aussi de coups de gueule. Enfin, verra t-on même les Kalachnikov comploter et arroser de leur déferlante verve les arroseurs dépassés.