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Dossier
#02
Arrêtons de parler de Rennes 2 la Rouge !
RÉSUMÉ > Le président de Rennes 2, Marc Gontard, ne se laisse pas abattre malgré l’agression inqualifiable dont il a été victime lors d’une réunion de rentrée, début septembre. Il défend son université avec énergie, une université qui fut dans le passé à la pointe de l’innovation pédagogique, mais qui souffre de se consacrer presque exclusivement aux sciences humaines, traditionnellement plus sensibles aux mouvements sociaux.

PLACE PUBLIQUE > Comment se porte Rennes 2 ?

MARC GONTARD > 17 000 étudiants alors qu’on nous annonçait la catastrophe ! Mais l’université irait encore mieux si l’on arrêtait de parler de Rennes 2 la Rouge, de Rennes 2 l’université-poubelle !

PLACE PUBLIQUE > C’est une réputation injustifiée ?

MARC GONTARD > Mais oui ! D’abord Rennes 2 n’est pas, et de loin, l’université qui a été la plus perturbée, ni le plus longtemps. Que l’on compare avec Toulouse – Le Mirail, Bordeaux 3 ou Paris 4 – Sorbonne, par exemple… Il n’existe en France que douze universités sur plus de quatre-vingts qui ne sont pas pluridisciplinaires et Rennes 2 est l’un d’entre elles que l‘on dit LSHS (Lettres, Langues, Arts, Sciences humaines, Sciences sociales). Nous ne travaillons pas sur des matériaux mais sur de l’humain, c’est pourquoi les universités de ce type sont forcément plus sensibles aux mouvements sociaux.

PLACE PUBLIQUE > Est-ce aussi une université sans débouchés ?

MARC GONTARD > Mais c’est faux ! C’est pourtant une rumeur persistante pour l’ensemble des universités LSHS ! Rennes 2 porte la plus grande attention à l’avenir professionnel de ses étudiants et l’aide à la réussite est notre priorité. Nous avons mis en place à la rentrée 2008 dans le cursus de licence un dispositif de préprofessionnalisation qui prépare, dès la première année, à la vie professionnelle dans cinq grands domaines : culture et création artistique, santé et social, éducation et formation, administration et organisations et information et communication. Le but est d’offrir aux étudiants un enseignement complémentaire qui, s’ajoutant à une formation disciplinaire solide, vise des objectifs d’insertion professionnelle. Concrètement, les étudiants de première année doivent s’inscrire dans l’un de ces cinq champs professionnels et, dès le milieu de la licence, s’orienter vers des parcours qui mènent à des activités plus précises, avec possibilité de réorientation en cours d’études. Ce dispositif a été reconnu comme « innovant » par le ministère.

PLACE PUBLIQUE > Les licences professionnelles sont comprises dans ce dispositif ?

MARC GONTARD > Non, cela n’est valable que pour les licences dites « généralistes » qui offraient avant tout un savoir disciplinaire auquel nous ajoutons donc un certain nombre de compétences métiers. Nous avons en plus des licences pluridisciplinaires (AES, Administration économique et sociale, LEA, Langues étrangères appliquées) à bon taux d’insertion, ainsi qu’une dizaine de licences professionnelles montées en partenariat avec le monde de l’entreprise et habilitées par le ministère. Elles ne concernent que de petits effectifs, une vingtaine d’étudiants chacune, mais elles ont des débouchés assurés d’avance. L’une d’elles, par exemple, en « Techniques et activités de l’image et du son », à Saint-Brieuc, reçoit des étudiants de toute la France. Enfin, nous avons une trentaine de masters dont la moitié à finalité professionnelle et une dizaine des masters internationaux en collaboration avec des universités étrangères, Madrid, Brasilia, Guadalajara, Hanoï, Lausanne, Budapest, Moscou… Tout cela dément fortement l’image d’université-poubelle !

PLACE PUBLIQUE > Comment suivez-vous l’insertion professionnelle de vos étudiants ?

MARC GONTARD > C’est l’un des rôles du Service universitaire d’information et d’orientation (Suio) et plus particulièrement de l’Observatoire du suivi des parcours étudiants. Cet observatoire a réalisé par exemple une enquête sur la situation des étudiants de masters 2 professionnels, dix-huit mois après l’obtention de leur diplôme en 2005. Les deux tiers des 399 diplômés qui ont répondu avaient obtenu leur premier emploi en moins de sept mois. Huit sur dix avaient une activité professionnelle dix-huit mois après la fin de leurs études, dont 42 % en Bretagne. 46 % travaillaient dans le privé et 38 % dans le secteur public. Huit diplômés sur dix considéraient que leur emploi correspondait à la formation reçue.

PLACE PUBLIQUE > Quelles sont les relations que vous entretenez avec le monde de l’entreprise ?

MARC GONTARD > Depuis deux ans, le président de l’Union patronale d’Ille-et-Vilaine (Upiv) siège au conseil d’administration de Rennes 2. Nous venons, avec l’université de Rennes 1, de signer une convention avec l’Upiv sur les stages et les formations en alternance pour les étudiants. Nous avons besoin de plus de 4 000 stages par an. Nous discutons aussi avec d’autres organisations comme avec le groupe « Produit en Bretagne » sur l’importance de la culture dans la labellisation d’un produit. Avec les chefs d’entreprise, nos relations ont beaucoup changé. Certains, qui connaissent le travail que nous effectuons à Rennes 2, m’ont dit avoir défendu l’université, lors du dernier mouvement, contre ceux qui la critiquaient.

PLACE PUBLIQUE > L’enseignement n’est pas la seule mission des universités. Que pèse la recherche à Rennes 2 ?

MARC GONTARD > C’est l’une des missions fondamentales de l’université, dévolue aux 19 unités reconnues par le ministère dans lesquelles travaillent nos enseignants-chercheurs. Il y a la recherche fondamentale, celle que l’on brocarde trop souvent dans nos disciplines, et qui a comme objet principal l’approfondissement d’un savoir, sur un auteur, sur une période historique, sur une langue ou une structure sociale par exemple. Et il y a la recherche finalisée qui a pour objet d’apporter plus directement des services à la société, de l’aider à résoudre des problèmes. Mais il ne peut y avoir de bonne recherche finalisée sans une recherche fondamentale forte en amont, c’est pourquoi toutes nos équipes ont pris l’habitude de répondre à des appels d’offres, de passer des contrats avec des entreprises, des collectivités locales, des ministères français ou étrangers. Cette recherche en sciences humaines et sociales collabore de plus en plus activement avec les équipes de « sciences dures », en particulier sur les questions d’usage, d’acceptabilité des produits, d’ergonomie ou sur les conséquences sociales de telle ou telle pratique comme la déforestation en Amazonie. Elle est parfois en concurrence avec des laboratoires et des bureaux d’études privés. Elle nous permet d’être à l’écoute de la société et de nous projeter dans les dispositifs d’innovation dont nous aurons de plus en plus besoin pour sortir de la crise.

PLACE PUBLIQUE > Un exemple de cette recherche finalisée ?

MARC GONTARD > Le projet Loustic a été déposé par la Maison des sciences de l’homme en Bretagne dans le cadre du contrat de programme état-région. Loustic associe des laboratoires des quatre universités de Bretagne, de l’Institut d’électronique et télécommunications de Rennes, de l’Irisa/Inria, de l’ENS Cachan, antenne de Bretagne, et de l’École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne. Il s’articule au groupement d’intérêt scientifique Marsouin qui effectue des recherches en sciences humaines et sociales sur les usages et teste des produits et des services en cours de développement. C’est un sociologue de Rennes 2 qui l’a créé et un psychologue qui le dirige. On dit souvent que les études de psychologie ne débouchent sur rien : eh bien ! Voilà un modèle dynamique de pratique innovante qui associe l’ergonomie, l’acceptabilité des nouveaux dispositifs ou matériels dans l’électronique, l’informatique, l’automobile… Je pourrais également évoquer d’autres laboratoires, comme M2S (Mouvement, Sport, Santé) spécialiste de l’étude du mouvement ou Costel (Climat et occupation du sol par télédétection) et Espace et sociétés (dynamiques sociales et spatiales, territorialité, politiques urbaines), qui sont des équipes CNRS.

PLACE PUBLIQUE > La publication de travaux de recherche reste un critère d’évaluation des enseignants ?

MARC GONTARD > Bien sûr. C’est toujours pratiquement le seul, même si la LRU fait évoluer les choses dans le bon sens par la prise en compte de l’ensemble des missions des enseignants-chercheurs, dont l’enseignement et l’administration. Notons qu’en matière de publication des travaux de recherche, Rennes 2 a créé sa propre maison d’édition, les Presses universitaires de Rennes, qui surpassent aujourd’hui les Presses universitaires de France. Les Pur publient près de 200 ouvrages par an et plusieurs revues scientifiques. Elles sont devenues la maison d’édition des neuf universités du Grand-Ouest et les premières Presses universitaires en France.

PLACE PUBLIQUE > Alors, comment se fait-il que l’on parle tant de Rennes 2 comme d’une université qui ne marche pas ?

MARC GONTARD > Si Rennes 2 ne marchait pas, nous n’aurions pas été la première université LSHS à bénéficier des nouvelles compétences en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines, à partir de janvier 2010. Fondamentalement, on parle de Rennes 2 parce que la stratégie de blocage des cours, la seule que connaissent malheureusement les étudiants les plus engagés, affecte à chaque fois l’université toute entière, alors que dans les universités pluridisciplinaires, si le secteur LSHS est touché, les autres secteurs fonctionnent. Cette spécialisation en LSHS, qui peut être un atout, mais qui nous rend trop sensible aux mouvements sociaux et qui nous fragilise, vient de la création de Rennes 2 en 1969. Lors de la séparation des deux universités, en effet, toutes les autres disciplines, droit, sciences économiques, sciences, médecine, ont dressé autour des sciences humaines une sorte de cordon sanitaire. Même la philosophie est partie à Rennes 1 ! Et aujourd’hui nous payons toujours les conséquences de cette fracture politique. À l’Université de Bretagne-sud, pluridisciplinaire, le pôle lettres, langues, sciences humaines de Lorient a été bloqué plus longtemps et plus durement qu’à Rennes 2 et les examens ont dû être reportés en septembre. Qui l’a su ?

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi n’avez-vous pas fait appel aux forces de l’ordre ?

MARC GONTARD > Mais je l’ai fait ! Seulement, ce n’est pas moi qui suis responsable de la mise en œuvre des forces de l’ordre. C’est le préfet qui décide en concertation avec le ministère. C’est pourquoi, alors qu’on nous a accusés de laxisme, nous avons dû faire appel à une équipe de vigiles pour sécuriser le campus et empêcher l‘installation du squat des « autonomes » dans le fameux hall B, avec déménagement du mobilier de l’université. Mais vous imaginez aussi pour une université comme la nôtre, dont le budget est bien inférieur à celui des universités scientifiques, ce que peut coûter l’emploi de vingt-cinq vigiles pendant plus d’un mois ?

PLACE PUBLIQUE > Comment voyez-vous l’avenir ?

MARC GONTARD > Aujourd’hui Rennes 1 et Rennes 2 se sont beaucoup rapprochées. Nous agissons ensemble. Nous avons des services communs, des unités de recherche partagées, nous sommes engagés dans un bon nombre d’actions mutualisées…

PLACE PUBLIQUE > Jusqu’à vouloir fusionner ?

MARC GONTARD > N’allons pas trop vite ! Rennes 1 figure au classement mondial de l’université de Shanghai (entre la 402e et la 503e place) et craint qu’une fusion ne la fasse rétrograder. Le rapprochement se fait donc en douceur…

PLACE PUBLIQUE > Mais sûrement ?

MARC GONTARD > Je le souhaite !