La Bretagne possède déjà deux Parcs naturels régio - naux (PNR) : à l’Ouest, le Parc régional d’Armorique ; au sud, le Parc régional du Golfe du Morbihan. Pourquoi pas un troisième, au nord ? C’est le pari lancé voilà quelques années par la Région et diverses collectivités ter - ritoriales. Préparé par une association d’élus et d’acteurs socio-économiques et culturels (Cœur Émeraude), ce projet d’un Parc, le long des côtes de la Manche et de la Rance, dénommé « Parc régional Rance-Côte d’Éme raude », est en cours d’élaboration. Il devrait être soumis à l’État et classé par décret, début 2017.
Les premiers Parcs naturels régionaux inaugurés en France (dès 1967), après la création des Parcs Nationaux (1963), avaient plutôt pour vocation de sauvegarder des espaces biogéographiques à forte valeur patrimoniale, à dominante rurale et très fragiles sur le plan environne - mental. L’ambition de certains parcs allait même jusqu’à n’être que des conservatoires des territoires pauvres et agressés par les évolutions de la société moderne : on ne voyait que la vie en vert. En revanche, l’ambition d’autres parcs était déjà plus grande : développer des territoires en perdition, en préservant cette matrice qu’est la nature. En tout cas, au départ, le concept de PNR était souvent loin de faire l’unanimité : le Canard enchaîné n’écrivait-il pas : « créer des parcs naturels, n’est-ce pas construire des usines marémotrices à l’heure du nucléaire » ?
Depuis, le monde a bien changé, avec une urbanisation croissante et étalée, des espaces périurbains qui se cherchent, une économie rurale bouleversée, l’irruption de nouvelles technologies, des ségrégations spatiales et bien des secteurs économiques en mutation. Surtout, se renforcent chaque jour les défis environnementaux et climatiques, avec des risques de dégradations des paysages et de disparition des patrimoines bâtis et non-bâtis.
Dans ce décor, les Parcs régionaux « nouvelle génération » (désormais une cinquantaine, en France) se donnent des ambitions plus vastes : au-delà de la seule approche patrimoniale, leurs chartes, écrites à centaines de mains et qui constituent en quelque sorte leur guide d’action pour le futur, ont pour objet d’« inventer une nouvelle vie », en stimulant un développement durable et en mettant en cohérence les politiques publiques. Établies avec les responsables locaux et les populations, ces chartes développent une vision partagée du devenir du territoire. Elles intègrent des aspects économiques et sociaux, mais aussi des ambitions environnementales fortes (promotion des paysages et des sites remarquables, protection de la biodiversité, des richesses animales et floristiques) et des projets de valorisation des patrimoines culturels. Tout cela se traduit par une suite d’actions concrètes, souvent innovantes, dont tous les acteurs locaux devront assurer la mise en œuvre. Une structure de concertation et d’impulsion (un syndicat mixte) est la colonne vertébrale du Parc : sans pouvoir réglementaire, elle unit toutes les volontés et assure leur cohérence.
Le projet du Parc régional Rance-Côte d’Émeraude est né de cette volonté de fédérer les acteurs situés, comme son nom l’indique, le long de la Côte d’Émeraude et de part et d’autre de la Rance. Plus précisément, « fait de terre et de mer », le territoire retenu se situe à cheval sur deux départements (Côtes d’Armor et Ille-et-Vilaine) et s’étend sur 860 km2 . Dans sa partie nord, il comprend la Côte d’Émeraude, du Cap Fréhel à la Pointe du Grouin, passant par Dinard et Saint-Malo ; vers le sud, il s’étire de part et d’autre de la rivière Rance, jusqu’aux communes de Guitté et de Plouasné, et comprend un ensemble de villes (au premier chef, Dinan), d’anciens villages de pêcheurs, des communes rurales, mais aussi un ensemble de forêts, de marais, de prairies et de cultures variées. En tout, 66 communes sont concernées par le projet. À certains égards, la métropole rennaise, tant elle s’étend désormais vers l’ouest, peut même être considérée comme une « porte d’entrée » du futur Parc… Toutes les communes du PNR devront décider, après délibération, d’adhérer définitivement au projet de charte en cours d’élaboration et, de ce fait, de faire vivre celle-ci, en participant activement à la réalisation de ses objectifs.
Les traits du territoire de ce futur PNR Rance-Côte d’Émeraude ne sont pas toujours celles des parcs habituellement en construction : ce périmètre possède une forte identité, fondée sur la qualité de ses paysages, ses patrimoines naturels et ses bâtis remarquables ; il est celui d’une terre entaillée par une suite d’estuaires, celui d’un espace où la biodiversité, les paysages, les activités et installations humaines sont très largement marquées par cette imbrication entre le maritime et le terrestre. Un peu à l’image de cette vie d’hier où on fabriquait dans l’arrière-pays les navires qui, en mer, devaient servir à la Grande Course de la Compagnie des Indes et à ses corsaires, ou encore aux pêcheurs qui partaient sur les bancs éloignés de la Grande Pêche… Ce périmètre est aussi celui d’un espace très peuplé (de l’ordre de 172 000 habitants), avec un degré d’urbanisation élevé et une tendance à la polarisation des populations autour des villes…
Ce périmètre est enfin celui d’un espace où bon nombre d’évolutions ont remis en cause certains traits caractéristiques de son environnement (avec l’arasement des talus, la diminution des zones humides, l’artificialisation des sols, l’envasement de ses estuaires, la dégradation de sites littoraux surexploités, la perte de nombreuses structures paysagères…).
À la base de l’ambition de ce futur PNR, la Charte Rance-Côte d’Émeraude part de ce constat que son territoire va être de plus en plus confronté à des évolutions qui constituent autant de risques, mais aussi autant de défis et évolutions à affronter : une évolution démographique forte, avec une attractivité croissante du territoire pour plusieurs types de résidents (retraités, résidents secondaires, actifs…), avec, dans le même temps, des risques d’artificialisation des sols et une montée continue de l’économie résidentielle ; une évolution économique annoncée, avec l’essor de nouvelles activités, les difficultés de nombreuses entreprises, la transformation des processus agricoles, l’arrivée d’un nombre élevé de touristes ; une évolution des comportements très probable, avec un accroissement des mobilités, une diversification des usages de l’espace et des bouleversements profonds dans les relations sociales ; une évolution environnementale très redoutée, avec la rareté croissante de nombreuses ressources naturelles, les pollutions de l’air et de l’eau, les déconnexions des continuités écologiques, le réchauffement climatique, la montée des eaux…
Toutes ces évolutions, et bien d’autres encore, identifiées par les rédacteurs de la charte, vont guider les choix stratégiques du futur Parc, afin de dynamiser un développement durable, en s’adaptant à un monde changeant. Ces choix, déclinés en une suite de nombreuses opérations et dans une conception multidisciplinaire du développement local, s’articulent ici autour de cinq grandes priorités :
Valoriser le patrimoine naturel, grâce à la mise en place de trames vertes et bleues, à la restauration des versants, à la protection des bocages et milieux humides…
Préserver les paysages en luttant contre l’étalement urbain, en favorisant l’identité de chaque entité paysagère, en requalifiant les espaces dégradés…
Aménager durablement le territoire en favorisant la sobriété énergétique et le développement d’énergies nouvelles, promouvant les mobilités douces, suscitant une économie circulaire, maîtrisant la pression foncière, développant un urbanisme plus densifié et de qualité…
Sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel grâce à l’entretien et la restauration des bâtis ou la mise en valeur de l’histoire des communes du Parc…
Promouvoir l’essor des activités économiques du territoire valorisant les ressources de la terre et de la mer, diffusant les compétences liées à l’essor des nouvelles technologies, promouvant les services à la personne, construisant des infrastructures numériques, développant des offres touristiques renouvelées, appuyant des projets originaux…
Dans la mise en œuvre de ces priorités, le futur PNR ne manquera pas d’innover, notamment en testant de nouvelles façons de vivre, en menant des actions exemplaires, et souvent expérimentales, que ce soit dans le domaine de la gestion des estuaires ou dans le domaine de la difficile « gestion intégrée des zones côtières », quand tant d’intérêts divergents surgissent entre les acteurs du monde marin, ou encore dans le domaine de la gestion des sédiments : d’ailleurs, d’ores et déjà, parallèlement à la préparation de la charte, bon nombre de collectivités et d’investisseurs publics se sont unis pour entamer le « désenvasement » de la Rance, construisant un piège à boues et transférant celles-ci sur terre, pour (notamment) valoriser les terres agricoles.
Ainsi, le PNR Rance-Côte d’Émeraude entend-il être le creuset d’un projet certes ambitieux, mais aussi très volontaire, d’un territoire cohérent et où les solidarités entre acteurs sont fortes. À travers les projets déclinés par sa charte, et en compatibilité avec les documents d’urbanisme existants (PLU, SCoT…), il souhaite mobiliser tous les acteurs locaux pour inventer un développement économique qu’il veut « durable », c’est-à-dire, reprenant la formule traditionnelle, intégrant les équilibres écologiques et humains. Ce projet devrait participer à la création d’une image toujours plus positive de cet espace Rance-Côte d’Émeraude, renforçant par là son attractivité touristique et économique et promouvant sa qualité de vie. Ainsi, chaque jour ici, « s’inventera une autre vie »