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Initiatives urbaines
#14
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Eso-Rennes (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique.

Depuis plus de dix ans, les nuits festives souvent bien arrosées dessinent un style peu amène aux quartiers historiques et centraux des grandes agglomérations. D’où, depuis quelques années, de nombreuses mesures destinées à réconcilier fêtards et riverains : Chartes de qualité de vie, plan anti-alcool, sensibilisation… Nantes fait un pas supplémentaires en mettant en place des zones sans alcool, renforçant son plan contre l’alcoolisme en vigueur depuis 2007. Parmi les mesures concrètes, l’annonce d’un bus de nuit le jeudi ainsi qu’une extension de l’interdiction de consommation dans certains lieux publics. Le périmètre des zones sans alcool interdictions a donc été élargi aux abords de la gare sud et touche aussi maintenant des quartiers (place des Dervallières, place Mendès-France à Bellevue, deux quartiers « politique de la ville ») et, surtout, le fameux Hangar à bananes, avec la sécurisation des aménagements des bords de la Loire. Un poste de « régulateur » sera créé, présent sur place dans ce haut lieu des fêtes nantaises. Quant au bus de nuit appelé Luciole qui fait la tournée des boîtes uniquement durant la nuit de samedi à dimanche, il roulera désormais aussi dans la nuit du jeudi à vendredi.

Loin de ces lieux tumultueux – ou pour récupérer de nuits trop courtes? –, d’autres démarches originales essaiment actuellement dans les villes européennes avec ces bars à sieste! Si vers 14h30, l’excellent déjeuner d’affaire vous laissait quelque envie de somnoler, ou davantage, il est désormais possible d’aller dormir à Paris dans un bar spécialement conçu pour cela. Suivant la tendance des « Yellow Spas », bars à sieste très fréquentés au Japon et à New-York, un établissement de ce genre vient donc d’ouvrir. Sous les pavés de l’intensité urbaine, le sable de votre repos s’y décline entre fauteuil en apesanteur ou lit massant!

La démocratie participative dans les villes ne prive décidément jamais de surprise, comme le prouve le cas de cette fusion de deux communes dans l’agglomération de Rouen. Le préfet de la Seine-Maritime a autorisé la fusion des communes de Bois-Guillaume et de Bihorel dans l’agglomération de Rouen, malgré un vote défavorable de la population consultée par référendum. La fusion, autorisée par le préfet sera effective au 1er janvier prochain. Le référendum, à la valeur uniquement indicative, avait donné le 26 juin une large majorité pour le non à la fusion, tant à Bois-Guillaume (59,7%) qu’à Bihorel (66,4%). Mais les maires respectifs des deux communes en ont décidé autrement, considérant que la participation avait été trop faible. Seulement 44,4% des électeurs s’étaient déplacés pour voter à Bihorel et 26,9% à Bois-Guillaume. La loi de 2010 sur les collectivités territoriales prévoit qu’un simple vote favorable des conseils municipaux est suffisant pour permettre la fusion de deux ou plusieurs communes contiguës, ce qui était le cas.

Faut-il alors des sujets hautement plus brûlants pour mobiliser et changer la donne? Pas impossible comme en témoignent encore le cas de ces platanes à Bruxelles, avenue du Port, devenue le symbole de luttes urbaines héroïques ces dernières semaines et où 300 platanes viennent d’être sauvé par le procureur du roi de Bruxelles. L’avenue du Port, longue ligne droite constituée d’un million et demi de pavés, difficile à parcourir à vélo pour les adeptes du Paris-Roubaix, est dans un quartier populaire en pleine transformation, concerné par un vaste projet de centre logistique, dit « BILC » - Brussels International Logistic Center. Acheminées par train et par bateau via le canal tout proche, les marchandises devaient être redistribuées dans la ville à l’aide de petits camions afin d’y faciliter la circulation et donc de recouvrir les pavés d’une épaisse couche de béton, rogner les trottoirs et de couper les platanes. Les riverains ont protesté et se sont déchaînés pour protéger leur « jardin » depuis 2008, faisant peser dans la balance le coût démesuré du projet pour une région plutôt pauvre, s’appuyant sur la conjoncture politique et régionale particulière que connaît la Belgique. Et ont finalement eu gain de cause. Il faut dire que les années 1960 avaient aussi laissé de sombre souvenir de coupes et bétonnages drastiques: on ne les y reprendra pas deux fois!

L’aménagement urbain doit parfois déplacer un arbre, une fontaine, voire un bâtiment… mais cette fois, c’est une ville qu’il s’agit de déménager, en Suède, à Kiruna. Cette ville est face à un gros problème lié à l’extension de son activité d’extraction des minerais de fer nécessaire à l’économie de la ville et qui en dépend presque totalement depuis le 19e siècle. Pour répondre à la demande, la société minière étatique LKAB doit creuser sous la ville, ce qui fragilise l’ensemble du site. La décision a donc été prise de transférer la ville et ses 18 000 habitants ailleurs, projet largement accepté par les habitants dont beaucoup travaillent pour la mine (près d’un habitant sur 10). Le projet est pharaonique: la société minière a accepté de déconstruire et reconstruire une douzaine de bâtiments historiques de la ville sur le futur site. LKAB dépensera en tout près de 325 millions d’euros pour l’acquisition des terrains, les démolitions et les reconstructions des logements et les frais de déménagements des biens mobiliers des habitants de Kiruna. LKAB avait déjà dû payer à la ville un nouveau réseau d’égouts il y a quelques années suite aux fissures apparues à cause de l’activité d’extraction en sous-sol. Devant ces désagréments, les habitants avaient quitté leur quartier. La nouvelle petite ville sera donc implantée à l’Est de la ville. Avant le prochain déménagement?

Plus calme, mais pas moins d’envergure, ce projet des « Deux Rives » de Strasbourg. Décidément, les villes n’en finissent pas de se réconcilier avec leurs berges! Ce vaste projet de 9000 nouveaux logements s’étend sur le quartier de l’Étoile et la presqu’île Malraux, sur près de 250 ha. Il vise à réconcilier la ville avec sa partie Est et les rives du Rhin, auxquels elle a longtemps tourné le dos en raison des guerres et du développement portuaire. Le Rhin ne devrait donc plus être une « frontière » mais un « fleuve traversant », dixit les édiles toujours férus de ces métaphores urbanistiques si parlantes… L’intérêt du projet, dont certaines constructions sont déjà sorties, est certainement la place dévolue au tramway, construit et financé en partenariat avec les Allemands, moteur d’urbanisation dans une zone peu peuplée actuellement. Rendez-vous dans 15 ans!

Paris: les jeunes en résidences mixtes

Comment ne pas se réjouir des initiatives urbaines qui visent à répondre aux défis sociaux posés par les villes? Ainsi, certes moins médiatisé que d’autres opérations, la Ville de Paris vient de lancer des projets innovants pour loger les jeunes. Pour aider à se loger ses 530000 15-30 ans, la municipalité développe par exemple des résidences mixtes où se côtoient des étudiants et des travailleurs migrants, des étudiants et de jeunes travailleurs ou encore des étudiants et des chercheurs. L’accent est également mis sur la mixité intergénérationnelle avec des logements permettant de rompre l’isolement des personnes âgées tout en permettant à des jeunes de se loger à bas coût. Ainsi, dans les logements solidaires, les étudiants, qui paient 10 euros de location par mois et par mètre carré, s’engagent à être régulièrement présents auprès d’une personne âgée habitant dans l’immeuble. Divers projets visent également à favoriser la colocation dans une ville où la location d’un appartement relève du parcours du combattant: la colocation solidaire avec le projet Kap’s, la colocation en foyer de jeunes travailleurs ou encore la reconversion de grands appartements détenus par la ville pour loger des étudiants boursiers.

Gennevilliers: écoquartier et village vertical

D’une autre manière, Gennevilliers innove aussi en lançant un très grand écoquartier de 9 hectares, en plein centre-ville, mais à vocation sociale. Le programme est intéressant: jardins partagés, village vertical, collecte des déchets enterrés, chaufferie biomasse mais le tout pour plus de 50 % de logements sociaux, accueillant 4000 habitants dans 1700 logements. Quelques grands noms de l’architecture participent à l’aventure, tel Roland Castro qui érigera le « village vertical », petite tour d’habitation de dix-sept étages entrecoupés de jardins partagés. L’effort est exemplaire pour une commune qui accueillait déjà… 60 % de logements sociaux et qui sera desservie par une station du futur Grand Paris Express.

Grenoble: l’avenir du stade des Alpes

L’air de rien, l’aménagement des grands équipements urbains n’est pas de tout repos. Grenoble, par exemple, ne sait plus quoi faire de son stade, trois ans après son inauguration. Son « stade des Alpes » est désespérément vide depuis la faillite du club de foot professionnel. Cet équipement sportif ultra-moderne est redevenu un cauchemar: déjà largement contesté avant sa création avec très forte fronde d’opposant éco-citoyens qui s’étaient installés pendant trois mois durant l’hiver 2003, dans des cabanes perchées sur des arbres menacés par les travaux. Tout équipés et fort durable qu’il soit (panneaux solaires), il semble bien que le coût plus élevé qu’initialement prévu ne soit pas du goût de tous, s’y est ajouté, hélas, un de ces emprunts toxiques qui font actuellement fureur en France.

Pékin: la piscine olympique devenue parc aquatique

En quête de solution, peut-être doit-on regarder du côté de Pékin? C’est bien possible : la capitale vient en effet d’engager la conversion de sa piscine olympique en parc aquatique. Une entreprise canadienne, spécialisée dans la conception de parcs de loisirs, a été chargée de transformer la piscine olympique des jeux de Pékin en plus de 11000 m² de parc aquatique. Surnommée de par sa forme architecturale le « cube d’eau », cette piscine devenue un des sites les plus visités de la capitale chinoise, est aujourd’hui un gigantesque parc aquatique.

Le Havre: le chantier du stade se visite

Pourtant, les vaches maigres de ces équipements ne les sont pas pour tous, comme au Havre où le Grand Stade du Havre, en chantier, joue déjà à guichets fermés! Une opération porte ouverte à l’occasion des journées du patrimoine a obtenu un grand succès. Les temps changent: à défaut d’y jouer, on visite les stades comme des musées!

Cette rentrée est décidément placée sous le signe du foisonnement d’idées et d’initiatives. Ainsi, à l’occasion de sa Foire annuelle, la communauté d’agglomération Caen la Mer a lancé Geemik, destinée à valoriser sa labellisation parmi les « Territoires leaders du mobile sans contact », à renforcer sa présence sur le Web et surtout à pousser davantage le public à exploiter ces fameux codes-barres 2D qui prolifèrent en ce moment. Geemik ! ne fait pourtant pas nécessairement de la très haute voltige avec ses jeux proposés: on pouvait y choisir notamment entre « Touch the code », où l’on gagnera des points en ciblant (par contact tactile) des personnages au fur et à mesure de leurs furtives apparitions dans les décors ou « Super meuh meuh », où l’on fera s’envoler une vache aventureuse qui, tout en tentant de contourner des mouettes qui risquent de la freiner, pourra accélérer sa montée en traversant des nuages. Ouf… cela vous inspire? À défaut pour ceux qui s’ennuient il est bien sûr possible de « liker » la fanpage Facebook de Caen la mer (« Caen la mer (site officiel) »)

Aarhus (Danemark) : un arc-en-ciel panoramique

Dans un tout autre genre, la ville danoise d’Aarhus fait très fort avec son arc-en-ciel panoramique avec vue sur la ville, réalisation spectaculaire de l’artiste Olafur Eliasson au-dessus du musée d’art ARoS. Cette promenade circulaire en verre et longue de 150 mètres, qui s’appelle « Your rainbow panorama », flotte à 50 mètres de haut. Cet anneau arc-en-ciel offre un impressionnant panorama sur la ville portuaire et sa baie dont les reflets varient suivant les heures du jour et de la nuit. Le jour, c’est la lumière du soleil pénétrant à travers les panneaux de verre coloré qui illumine l’installation dans les couleurs de l’arc-en-ciel. Le soir et la nuit, les 116 luminaires encastrés remplacent la lumière naturelle et le plafond du chemin panoramique devient ainsi une source lumineuse virtuelle grâce aux réflecteurs et aux matériaux des luminaires. De quoi déconcerter plus d’un visiteur ne sachant plus trop s’il visite une oeuvre d’art… ou le musée.

Arabie Saoudite: une tour de 1 000 mètres!

Régulièrement, la course à la hauteur fait la une de l’actualité urbanistique. Cela faisait bien un an qu’un nouveau record n’avait pas été en passe d’être battu. C’est chose faite avec cette tour haute de plus d’un kilomètre, en Arabie Saoudite. Baptisée « Kingdom Tower », elle détrônerait ainsi, pour le titre de plus haute tour du monde, la « Burj Dubai » qui culmine actuellement dans les 800 m. À sa base, le bâtiment traverse une structure en forme d’étoile à trois branches, nommées « pétales » par les architectes, le pied Sud- Est étant orienté vers La Mecque. Côté travaux, c’est le groupe de BTP saoudien « Bin Laden », fondé par le frère d’Oussama, qui se chargera de faire monter la tour jusqu’aux nuages…

Autres records, autres travaux, concernant cette fois la Grande mosquée de La Mecque qui va faire l’objet de gigantesques travaux d’extension. Le chantier où travaillent déjà 10000 ouvriers 24/24 couvre une superficie de 400,000 m2 étend le côté nord de la mosquée sur plusieurs niveaux, et aménage des escaliers et des tunnels pour faciliter l’accès des fidèles à la mosquée érigée autour de la Kaaba. La Tour royale de 600 mètres de haut, surmontée d’une horloge géante, qui surplombe la Grande mosquée sera bientôt inaugurée. Le projet doit être complété par un projet de train à grande vitesse reliant Jeddah à Médine à travers La Mecque, estimé à 7 milliards d’euros, fait actuellement l’objet d’une vive concurrence entre plusieurs constructeurs européens et asiatiques, course au méga-contrat pour laquelle SNCF et Alstom se sont alliés au sein d’un consortium. Démesure, donc, à tous points de vue!