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Initiatives urbaines
#05
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Reso (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique.

Difficile d’imaginer, dans les années 1960-1970, le scénario des années 2000 de destruction des grands ensembles. Il y a seulement quelques années, il était impensable que certaines villes comme celles de Detroit au États-Unis, frôlent la perspective de se trouver rayées de la carte, ne laissant place dans leurs périphéries qu’à de sinistres longues allées de lotissements en friche comme c’est parfois le cas aujourd’hui. Et maintenant, en France, les villes vont-elles commencer à franchir le premier pas d’une ère « post-périurbaine », à l’image de ce lotissement du quartier de la Bouillie, situé en zone inondable, près de Blois? Celui-ci doit être rasé et ses 500 habitants partis avant 2018 afin de restaurer un déversoir du 16e siècle pour décongestionner le fleuve en cas de montée des eaux de la Loire. Composé de simples cabanes et de pavillons modestes, il s’est construit sans autorisation au fil des ans, après la grande crue de 1907. Sur le site, 135 maisons et 14 locaux d’activités sont menacés, en cas de crues, mais également le quartier tout proche de Vienne (5000 personnes). A la suite de nouveaux calculs du plan de prévention des risques d’inondations (PPRI), l’État a donc demandé en 2004 de raser ce quartier en recourant à un classement en zone d’aménagement différé (Zad). Cette Zad, utilisée pour la première fois pour évacuer une zone inondable urbanisée, permet à l’agglomération d’avoir connaissance des transactions et de préempter les habitations. Comme dans bien des situations similaires, beaucoup ont vendu, mais une trentaine d’irréductibles refusent de partir. Une fois libéré, le déversoir de la Bouillie pourrait abriter une activité maraîchère, compatible avec le risque de crue. Le coût de l’opération s’élève à 25 millions d’euros, à rapporter au coût potentiel d’un quartier de plus de 5000 personnes détruit par les eaux… Depuis, la tempête Xynthia a fait mieux (ou pire) : 1 393 logements bâtis sur des zones littorales sont voués à la destruction en Vendée et en Charente- Maritime.

La ville de Vitry-sur-Seine vient d’engager la révision de son Schéma directeur d’aménagement lumière, un instrument, non-règlementaire et sans aucune obligation, à la disposition des gestionnaires urbains. Encore largement considéré comme secondaire, l’aménagement lumineux des villes n’en reste pas moins un instrument puissant de production d’un urbanisme durable. Il permet non seulement de réfléchir à des modes économes d’éclairage public, mais aussi de renforcer la qualité architecturale et sensible de l’espace urbain, de prendre soin des environnements écologiques et surtout de repenser l’équilibre des secteurs et quartiers les uns par rapport aux autres, sans forcément privilégier uniquement les espaces historiques. Depuis dix ans certaines collectivités, telles Quimper, se sont lancées dans cette démarche qui vise à limiter la pollution nocturne tout en renouvelant aussi, dimension sécuritaire oblige, les parcs de lampadaires, le tout parfois dans le cadre de contrats de partenariat associant privé/public (PPP) comme à Saint-Etienne. Dimension toutefois manquante jusque-là : l’intégration du regard des usagers qui fréquentent ces espaces. D’où la démarche novatrice de Vitry: elle vise à prendre en compte la perception des riverains pour améliorer l’éclairage urbain. Pour le moment, cette intégration de la perception sensible est limitée à son strict minimum: un sondage réalisé par téléphone auprès de quatre mille Vitriots. Ce sondage a toutefois permis d’affiner un audit de l’éclairage public, la plupart des personnes considérant leur quartier comme « bien » ou « plutôt bien éclairé » tout comme pour les axes principaux, carrefours et places, entre autres. Seuls défaillances, les fameuses décorations de Noël… D’autres approches de recueil des perceptions et des sensibilités face à l’environnement lumineux viendront-elles un jour compléter ce sondage?

Alors que les éco-quartiers sont devenus à la mode – les collectivités en raffolent car ils permettent d’exposer des concentrés – certaines initiatives se démarquent par des démarches plus personnelles voire plus responsabilisantes. C’est le cas de l’association bordelaise H’Nord dont le son slogan « Enfin de l’humain dans l’urbain! » tient explicitement à se démarquer. Créée en 2006, l’association regroupe des personnes sensibles aux problèmes environnementaux, architecturaux et sociaux en milieu urbain, qui ont décidé « d’habiter ensemble ». De leurs recherches et de leurs choix, naîtra une architecture qui leur permettra d’être en adéquation avec leur envie d’un nouveau mode d’habiter.
Le projet prend corps autour de l’îlot Dupaty, friche industrielle d’un hectare. Au départ le projet était constitué de maisons individuelles avec des préoccupations environnementales (énergie, déchets, matériaux) mais il a très vite pris une dimension sociale. D’individuel, l’habitat est devenu collectif avec une mutualisation d’espaces comme des chambres d’amis, des ateliers, une chambre froide, un jardin. L’idée maîtresse repose sur l’habitat coopératif. Utilisé jusque dans les années 1971, ce statut juridique particulier a disparu ne laissant plus que deux possibilités: la location ou la propriété. La coopérative a pour avantages: de permettre de se loger à moindre coût, d’éviter la spéculation immobilière, mais aussi à terme (contrairement à la copropriété) d’éviter un essoufflement de la dynamique lorsque les gens partent en revendant leur bien. Pour constituer cette coopérative d’habitants, H’Nord a adhéré à l’association Habicoop et à la charte qui régit cette forme nouvelle d’habitat. Afin de pouvoir concrétiser ce projet, H’Nord a créé une SCI, lui permettant de réserver le foncier. L’intégration d’un bailleur social au projet permettra d’assurer la mixité sociale de cette opération. Sur la trentaine d’adhérents que compte l’association, une quinzaine constitue le noyau dur. La mise en place d’un tel projet demande un investissement personnel important des membres. Dans la même veine, deux projets sont en cours de construction en France, soit très peu par rapport à nos voisins européens Allemands, Suisses, Suédois entre autres: l’Eco-logis à Strasbourg-Neudorf et le Village Vertical à Lyon.

Signal et Premium Tower: tours de passe-passe entre… tours.

Viendront? Viendront pas? Finalement, pour le moment, pas de « Tour signal », à la Défense: son architecte, Jean Nouvel a repoussé à plus tard la construction de cette tour qui a soulevé de vifs débats sur la densité et la verticalité à Paris. Il a préféré attendre que la crise soit derrière lui, de vilaines voix soufflant quant à elles que cet abandon serait lié au manque d’investisseurs… Il faut dire que le groupe espagnol Medea s’était déjà retiré du projet il y a quelque temps, victime de la crise immobilière dans la péninsule ibérique, après être allé prospecter sans succès du côté des émirats.
Que les amoureux des grandes hauteurs se rassurent : deux nouvelles tours de 75 m de haut seraient érigées à Montparnasse. Le groupe Icade travaillerait sur ce projet dont l’objectif est de faire de ce quartier un « pôle majeur du commerce de la rive gauche ». Mais pour le moment, ce ne serait pas du goût des 300 copropriétaires de la tour Maine-Montparnasse (210 m) dont les deux nouveaux totems constitueraient l’extension. Pas si loin de ces controverses, Bruxelles aborde bien plus sereinement la construction de la Premium Tower, entre ciel et canal. Appelée à devenir la plus haute tour de logements de Bruxelles, elle mesurera 140 m – pas suffisant donc pour dépasser la tour de Midi (150 m) pour 252 logements, 30 000 m2 de bureaux et du commerce. Au total: 80 000 m2. Clairement contemporaine, la tour est dans l’air du temps: retour aux années 1960 mais avec des matériaux d’aujourd’hui et des performances énergétiques au top, le tout au bord du canal, à quelques dizaines de mètres de merveilles architecturales bruxelloises. Toutefois tout n’a pas été si simple. Les promoteurs ont dû franchir bien des réticences et oppositions d’associations, mais les modifications imposées sont secondaires : le nombre de parkings (750) doit être diminué de 150 et les emplacements pour vélos seront mieux distribués. Une crèche devra être créée et il faudra revoir l’esthétique du rez-de-chaussée tout en améliorant le confort de l’étage panoramique…

Bonheurs et malheur du renouvellement urbain.

Le renouvellement urbain reste un des concepts les plus flous et pourtant les plus répandus avec celui de mixité, tout en restant marqué par au moins autant de paradoxes. Son principe, censé protéger les villes contre l’étalement en les renouvelant sur elles-mêmes notamment en exploitant de vieux terrains désertés (friches industrielles), peut être à l’origine du meilleur comme du pire, comme le rappellent deux initiatives urbaines récentes. Dans l’Indre, le camp des Vallées, étroitement lié à l’histoire militaire du Blanc, accueillait des aviateurs. Rasés, ses maisons vétustes viennent d’être remplacées par vingt logements destinés à héberger notamment des gendarmes et des marins. La société Scalis a pu y construire des pavillons de type T3, T4 et T5, aujourd’hui tous occupés.
Ce sont aussi les vieilles cheminées de l’ancienne manufacture des allumettes de Trélazé, près d’Angers qui ont été détruites en quelques minutes pour laisser place à un quartier résidentiel. Le même sort va être réservé, cette fois dans le cadre du Grand Paris, à la « Cité des poètes » de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Dans les deux derniers cas, ce sont des projets de rénovation urbaine et de renouvellement urbain qui motivent la création d’un nouvel ensemble résidentiel avec logements sociaux, gymnase écoles… Mais dans les deux cas, les projets se sont heurtés à de très vives oppositions de la part de résidents voisins et de collectifs de protection du patrimoine qui souhaitaient voir conservés et reconvertis l’essentiel des bâtiments, hauts-lieux de la mémoire ouvrière (Trélazé) ou symbole de l’histoire de l’architecture (Cité des poètes). Développement durable contre développement patrimonial? Le débat est de nouveau rouvert à ces occasions.

La crise, bénéfique pour l’urbanisme

Bien sûr, il serait insensé de penser que la ville d’Athènes attendait la crise sans précédent qui secoue la Grèce, pour enfin, penser l’ensemble de son urbanisme. Pourtant, après vingt-huit siècles d’urbanisme, c’est comme un besoin de changement qui se fait sentir, de manière inattendue: faute d’argent, la ville poursuit désormais d’autres pistes, à commencer par la lutte contre les voitures et un développement urbain chaotique. L’une des initiatives du Premier ministre grec après sa victoire électorale en octobre dernier, fut d’inviter l’architecte catalan Josep Acebillo à Athènes. Il témoignait ainsi de sa volonté de changer le modèle de développement urbain désastreux qui suivit les Jeux olympiques de 2004 (spéculation, corruption dans la concession de licences, tout-voiture…). Le défi est colossal: changer, sans un centime, cette ville qui, de toute l’Europe, est celle qui offre le moins d’espaces verts, et ses banlieues dégradées puis dévastées par les incendies. D’où le remède-miracle: renouer avec l’esprit civique, en déclarant « la guerre à l’automobile » (entre 1993 et 2006, le nombre de voitures pour 1 000 habitants a augmenté de 118 %, contre 40 % en Espagne et 24 % en Allemagne), en luttant contre l’étalement urbain, contre la dégradation de l’espace public dans le centre, notamment en transformant les rues en jardins linéaires, en les rendant piétonnes, en aménageant des espaces où on puisse jouer de la musique. Rien que cela pour contraindre l’appétit des spéculateurs? Probablement, si l’on intègre le fait que la crise… a aussi vidé les poches de ces derniers. Humilité urbaine, quand tu nous tiens…