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Initiatives urbaines
#05
Nantes / Rennes sous le regard croisé des urbanistes :
Jacques Ferrier, l’homme du Pavillon français
de Shangai
RÉSUMÉ > Après Alexandre Chemetoff, JeanFrançois Revert et Nicolas Michelin, Jacques Ferrier est le nouvel invité de cette série consacrée aux architectes et urbanistes qui sont intervenus à la fois à Rennes et à Nantes.

     Il faisait beau et froid cet après-midi-là qu’on visita Jacques Ferrier dans son agence située à un jet de pierre de la célèbre Tour Croulebarbe, dans le sud de Paris. Une grande agence lumineuse et claire, le silence toujours un peu inquiétant autour des postes de travail, tant de projets encore à achever avec l’ambition légitime de transformer la ville. Diplômé de l’école de Paris-Belleville en 1985 et de l’École Centrale, Ferrier a créé son agence en 1990, vingt ans déjà. L’agence jfa (jaques ferrier architectures) travaille en France et désormais un peu partout à l’étranger. 

     Le Pavillon français, c’est sa grande affaire du moment, au coeur de l’Exposition universelle de Shanghai qui vient d’ouvrir autour du thème « Meilleure ville, meilleure vie ». Conçu avec le scénographe Ruedi Baur et les paysagistes de l’agence TER, le Pavillon prend place au bord du fleuve Huangpu offrant plus de 6000m2 aux expositions. Suspendu sur un miroir d’eau et habillé d’une résille (antisismique) de béton, quadrilatère dépourvu de poteaux et posé sur un bassin, il est agrémenté d’un jardin vertical à la française dont les formes s’inspirent des circuits imprimés contemporains. Son objet: appréhender par les cinq sens la ville-à-la-française, la « ville sensuelle ».
     À Lorient, Ferrier avait déjà tenté quelque chose de ce type, une copie énigmatique autarcique, un monde en soi juste un peu décalé. La copie énigmatique, c’est celle qui intéresse, la copie décrochée qui reproduit et retourne en même temps, qui ne peut reproduire qu’en retournant. Troublant l’enchaînement infini des répliques, sa Cité de la voile Eric-Tabarly s’était posée à deux pas du monolithe aveugle de la base de Keroman entre le rivage du Ter et les épais murs de béton, tout près de la mer fondamentale, à la fois juge et partie. Magnétisée par la rade, la Cité de la voile jouait sur l’effet de décalage et le pas de côté un peu isolé. Un plan-masse réduit à sa plus simple expression: un vaste rectangle dont l’orientation est déduite de la ligne de quai et de l’ensoleillement. Une monumentalité discrète.
     Dans le sillage d’un Norman Foster chez qui il a travaillé tout jeune, la culture d’origine de Jacques Ferrier est celle des bâtiments fonctionnels. Son goût personnel l’a donc porté à ses débuts vers la « poésie des choses utiles » et les « stratégies du disponible » pour reprendre les titres de deux de ses premiers ouvrages : un attachement raisonné à l’ordinaire et à la force des choses, à l’architecture courante des hangars, ruraux ou péri-urbains, tôle ondulée et bardage des usines ou des bureaux standardisés. Un intérêt pour les « constructions fonctionnelles modelées par l’économie, se modifiant et se transformant au fil du temps », « comme un antidote à la sophistication de l’architecture », écrit-il. Ici à Lorient, une boîte ondulée de 6 000 m2 plantée au bord du Ter avec un motif en façade, six lignes horizontales de panneaux photovoltaïques faisant office de pare-soleil, et une coiffe irisée qui rappelle une vague, bardée d’aluminium réagissant à la chaleur. Cette robe couleur de temps passe au gré du ciel du bleu au violet, du violet à l’argent. Évidence constructive et matériaux ordinaires (béton, verre, polycarbonate, panneaux d’aluminium peint, métal galvanisé), hauteur mesurée, une vingtaine de mètres: il ne restait plus qu’à ancrer le bâtiment. C’est le rôle tenu par la « Tour des vents » en métal grillagé, amer de 30 m dominant l’ancienne base. Cet ovale aménagé à l’extrémité du quai de visite des Pen Duick est relié au premier étage de la Cité par une passerelle aux allures de pont-cage façon Eiffel : trois entités, bâtiment (terre), passerelle (air) et tour (mer), pour l’occasion solidarisées et solidarisant l’ensemble en retour. Le rêve du maire de Lorient, Norbert Métairie? Faire de ce site un lieu de sortie nocturne après en avoir fait un lieu de promenade.
 

     Quelques jours après notre entretien, le 16 février, j’allai écouter Jacques Ferrier à Neuilly, au Théâtre municipal pour un débat public souhaité par le maire Jean- Christophe Fromantin (divers droite) qui avait courageusement animé le feuilleton des dernières élections neuilléennes en s’opposant aux manoeuvres de Jean Sarkozy. Au milieu des grands cabinets d’avocats et de consultants, PriceWaterHouse et autres Deloitte & Touch(e), quatre équipes d’architectes, Jacques Ferrier donc, aux côtés de Norman Foster, Roland Castro et Manuelle Gautrand. L’enjeu? Ensevelir l’avenue Charles-de-Gaulle, disaientils, celle qui conduit de Paris à La Défense, de l’Arc de Triomphe à la Grande Arche en coupant Neuilly en deux parties, pas tout à fait égales par ailleurs.
     Fiché, assigné à un lieu, physique et intellectuel, à une résidence de caste, c’est précisément ce qu’a refusé Ferrier. Ingénieur à l’origine, brillant centralien ayant fait ses classes chez Norman Foster, lauréat du prix de la Première OEuvre du Moniteur en 1993 et nommé depuis pour le Grand Prix national de l’Architecture, il a bifurqué assez vite vers le questionnement intellectuel, maintenant une proximité avec les historiens Alexander Tzonis et Antoine Pïcon, puis vers un rapprochement avec les mondes de l’art et de la mode – toujours risqué. De l’architecture « logicienne » de la Cité de la voile à Lorient vers l’architecture « sensuelle » du Pavillon français de Shanghai ? Un basculement également vers le champ de l’urbanisme avec cette structure expérimentale portant le nom – un peu sibyllin – de FGP. FGP pour : Ferrier donc, Gazeau (Philippe, architecte (très) parisien), et Paillard (Louis, architecte parisien et par ailleurs enseignant à l’école d’architecture de Nantes).
     L’atopie de Ferrier, elle est aussi dans ce projet de requalification du site Marcel-Saupin, à Nantes, livré en 2009: un Institut d’études avancées et une Maison des sciences de l’homme, des bureaux et des logements, un parking et une tour pour accueillir étudiants et chercheurs. Une opération complexe. Côté pile, le stade, côté face, la Loire dans sa confluence avec le canal Saint- Félix: l’îlot s’est construit entre l’eau et une grande pelouse. Même les anciennes gloires du FCNA n’ont rien trouvé à redire lorsqu’elles ont foulé la nouvelle pelouse en octobre 2009: « C’est plus Saupin mais c’est toujours un bel écrin ». À peine Maxime Bossis a-t-il regretté, « un peu trop flashy et contemporain pour moi ».
     À Rennes, la même équipe FGP vient d’être choisie avec les paysagistes de l’agence TER pour conduire le chantier d’EuroRennes, c’est-à-dire la nouvelle gare qui accompagnera l’arrivée de la LGV et tout le quartier qui va avec, soit une centaine d’hectares au coeur de Rennes. C’est pour Jacques Ferrier un retour dans cette ville où il a enseigné plus de dix années à l’École d’architecture. Les Champs Libres, Le Colombier et le centre commercial Colombia, la gare, la prison: l’arrogance circule, comme un vin fort parmi les convives du contexte rennais. L’intertexte du projet de FGP devra agir comme un texte commun, triomphant autant que secret et délicat.

PLACE PUBLIQUE > Nantes et Rennes, deux ambiances urbaines. Comment les caractériser chacune?

JACQUES FERRIER >
Je connais mieux Rennes où j’ai enseigné durant dix ans. Il y a d’ailleurs quelques jeunes architectes bretons au sein de l’agence. Subjectivement, j’ai l’impression de me retrouver, à Nantes, dans une petite métropole, dans une ville ouverte au rayonnement métropolitain, alors qu’à Rennes, même si le bassin de population est comparable, j’ai l’impression d’être dans une grande ville de province, mais au sens positif. J’entends par là que la structure urbaine me paraît mieux lisible et appréhendable, concentrique et presque archétypique. S’y ajoutent de superbes enchaînements urbains, les grandes places de Rennes, de l’esplanade Charles-de-Gaulle jusqu’au Parlement de Bretagne, avec une sensation de centralité liée à une croissance urbaine harmonieuse. Nantes en revanche donne l’effet d’un développement de type plutôt métropolitain. Même si les échelles sont comparables, les deux atmosphères sont complètement différentes.

PLACE PUBLIQUE > L’effet de l’estuaire?

JACQUES FERRIER >
Le souffle de l’estuaire, oui certainement, le croisement du fleuve avec le canal Saint-Félix, mais pas seulement, un ciel également et puis un horizon différent de celui de Rennes. On est toujours surpris à Nantes par de grandes ouvertures, de grandes échappées, alors que Rennes est plus terrienne et crée son atmosphère. D’un côté le grand ciel, de grandes échappées et l’horizon liquide, et de l’autre les vues cadrées, les monuments et les perspectives urbaines, les séquences et les ordonnancements. Je simplifie volontairement, mais à Rennes une ville qui se fabrique son propre paysage, tandis qu’à Nantes on tire parti de vastes espaces et de la grande dimension. La Loire est un grand fleuve et l’échelle de l’opération que nous avons menée pour la reconversion du stade Marcel-Saupin en découle directement. Sans elle, nous n’aurions pas proposé cette tour de 50 mètres, nous n’aurions pas eu cet effet de miroitement sur une double peau translucide, des tons orangés au ton bleu, qui réverbère les ondulations du fleuve et les rayons du soleil : une façade liquide et translucide.

PLACE PUBLIQUE > Échelle et couleurs sont donc les deux composantes majeures du site de Marcel-Saupin…

JACQUES FERRIER >
Il nous fallait combiner deux attitudes: être contextuels tout en créant une identité. Contextuels sans disparaître dans le grand paysage, donc se glisser sous les anciennes tribunes côté ville tout en émettant un signal fort côté Loire. Monter à 50 mètres pour être à la hauteur des tours de Malakoff et préparer l’arrivée de celles du Pré-Gauchet, et puis pour économiser le site et ainsi laisser libre l’emplacement d’une petite tribune côté canal Saint-Félix pour un futur hôtel si le marché le permet.

PLACE PUBLIQUE >Vous étiez face à EuroNantes, vous voici maintenant aux commandes d’EuroRennes !

JACQUES FERRIER >
Le projet commence tout juste et nous sommes officiellement lauréats depuis le 17 décembre 20093. Nous sommes, FGP, associés avec l’agence TER et il s’agit autant d’un projet de paysage que d’urbanisme. Nous y avons en effet développé l’idée de « paysage construit » en écartant définitivement toute volonté de séparation, de « zoning » pour ainsi dire, entre paysage et bâti. EuroRennes offre une occasion exemplaire de mettre en oeuvre ce principe. C’est même en quelque sorte un passage obligé puisque les sites disponibles sont très éparpillés, sans aucun morceau d’un seul tenant sauf la gare, ou plus précisément la future gare. Nous avons donc affaire à une succession d’îlots et d’emplacements qui seront reliés entre eux par ce qui va se passer au niveau du sol. Aucune possibilité pour nous de songer à une opération d’une seule pièce s’imposant et reconfigurant le site par sa masse. Cette opération va dès lors se diffuser autour de la gare, plus précisément des deux côtés de la gare, du Colombier jusqu’à la prison des femmes et jusqu’à ce quartier du sud de la gare qui a conservé son caractère suburbain, préservé par la présence de la voie ferrée et un dénivelé important, de l’ordre de 6 à 7 m.

PLACE PUBLIQUE > Vous évoquez un « relief habité ».

JACQUES FERRIER >
Impossible de faire aujourd’hui un projet d’urbanisme digne de ce nom en rasant les reliefs et les obstacles. Il faut profiter au contraire de tous ces « obstacles », du relief, du mur de la prison des femmes, du voisinage d’un bâtiment un peu ingrat pour en faire autant de points d’appui. Nous proposons donc une « gare paysage ». Avant cela, il nous faudra d’abord convaincre l’Agence des gares5, à qui revient la maîtrise d’oeuvre de la nouvelle station, de glisser la future station sous un « paysage- pont ». Ce paysage-pont partira de la place de la gare actuelle, montera jusqu’à la place haute et jusqu’à la prison des femmes pour recréer une véritable continuité. Sans cela, la place haute restera à jamais l’arrière de quelque chose, un espace de service qui n’aura pas de vie propre. Depuis décembre 2009, des études de faisabilité assez précises nous ont montré que l’on pouvait techniquement se glisser sous un fragment de paysage, sachant qu’actuellement on monte avant de redescendre. L’agence TER a déjà réalisé un paysage de ce type à la Vache noire à Arcueil en posant un jardin sur le toit du centre commercial. Ce paysage construit deviendra l’élément central du projet, permettant d’utiliser la gare comme un lien, visuel et piéton, alors qu’elle était jusqu’ici un obstacle. Nous souhaitons également traiter la voie ferrée comme un fleuve avec des berges qui enfin ne seraient plus des arrières.

PLACE PUBLIQUE > L’opération nantaise a-t-elle joué un rôle initiatique pour ce projet ?

JACQUES FERRIER >
En un certain sens puisque Nantes, avec le commissariat de l’exposition Agora à Bordeaux en 2006, fut notre premier chantier d’envergure: il y a six ans, nous avons constaté que nous étions tous trois, Gazeau, Paillard et moi, intéressés par les questions urbaines, tout en nous refusant à y réfléchir seuls. Réfléchir en solitaire, cela nous paraissait un peu décalé par rapport aux enjeux actuels. Nous avons donc constitué ce laboratoire spécifique qu’est devenu FGP, trouvant que nous étions tous trois suffisamment différents et compatibles pour faire vivre une telle structure et entamer le dialogue. Un contenu et une scénographie à Bordeaux, un grand projet à mi-chemin entre échelle urbaine et échelle architecturale sur un îlot à Nantes, et la conduite d’un grand projet urbain à Rennes : nos trois chantiers sont tout de même très variés! La structure de FGP, un peu décalée par rapport à nos agences respectives, nous offre un mode d’action à la fois collectif et prospectif. En clair, je dirais que nous n’avons aucune envie de concevoir un énième boulevard urbain ou une grande avenue plantée nostalgique de la « ville européenne » du 19e siècle. Et d’ailleurs, le site rennais ne s’y prête pas.

PLACE PUBLIQUE > Il est vrai que le théâtre d’opération est très vaste.

JACQUES FERRIER >
Ce tapis vert s’étendra en effet jusqu’aux rives de la Vilaine et permettra de relier entre eux une dizaine d’îlots où 250 000 m2 restent à construire pour les quinze ans qui viennent. En fait c’est précisément la ville du 19e siècle qu’il s’agit de transformer sans nostalgie: la gare, la caserne, son champ de manoeuvres et sa place d’armes, et la prison! Nous avons donc considéré qu’il fallait échapper un peu à l’aspect concentrique de Rennes en travaillant sur ces limites physiques du 19e siècle. Songez que Rennes s’est développée jusqu’à 400 000 habitants tout en conservant grosso modo son périmètre central avec ces limites héritées du siècle de l’industrie… Il faut relier le Colombier, les Champs Libres, la gare, la prison pour constituer un nouveau centre, l’équivalent d’une vaste plaque sensible unifiant les extrémités, du Parlement de Bretagne à la rue de l’Alma, sous la continuité d’une même pente paysagère: un paysage construit comme une nouvelle centralité correspondant aux usages contemporains, de la Fnac à la gare. Et travailler sur un sol avant même de travailler sur des bâtiments: seul ce paysage construit sera visible depuis l’avenue Janvier.

PLACE PUBLIQUE > Cette nouvelle centralité, comment peut-elle se constituer autour d’un nouveau quartier d’affaires ?

JACQUES FERRIER >
Je dirais que la présence d’un quartier d’affaires ne se discute pas: c’est presque un passage obligé lorsqu’une nouvelle ligne à grande vitesse place une gare à 1h30 de Paris, connectée peut-être un jour à un aéroport international structurant le Grand Ouest ! Sur le plan écologique, je pense d’ailleurs qu’il faudrait rappeler plus souvent l’exemple de l’aéroport de Schiphol, situé au coeur de la Randstad et commun à Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht – excusez du peu! Plutôt que disperser les sources de nuisances sur tout le territoire, penser par exemple à quatre à cinq grandes platesformes aéroportuaires à l’échelle de la France, pourquoi pas ? À long terme, l’avenir est à ce type d’équipement, commun à des métropoles voisines traversées par le TGV. Et le nouveau maire s’est bien entendu saisi de cet enjeu en confirmant l’arrivée d’une seconde ligne de métro pour 2018.

PLACE PUBLIQUE > Que pensez-vous de ces deux figures municipales, Jean-Marc Ayrault et Daniel Delaveau?

JACQUES FERRIER >
Nous avons eu et nous avons la chance de travailler avec deux maires-bâtisseurs, c’est incontestable. Des bâtisseurs de ville plutôt que des bâtisseurs de monuments : pas de Gehry ou d’Herzog & de Meuron dans ces deux villes, Nantes et Rennes-Saint-Jacques, mais d’abord un tramway et un métro, d’abord de la vie et de la ville plutôt que des objets-signaux. Ces deux maires sont des maîtres d’ouvrage intéressants. J’ai juste un regret à Nantes : un concours perdu pour un bâtiment universitaire situé face au palais de Justice, quai de Tourville, avec un site et un sujet magnifiques. C’est Jean-Paul Lott qui a gagné. Certains concours perdus ne passent pas, celui-là en fait partie, parce que c’était cette ville et parce que c’était ce site. L’une des raisons de notre échec était d’avoir proposé des mezzanines dans la bibliothèque, dispositif que n’appréciait guère la bibliothécaire, trop de niveaux à surveiller… Je sais depuis que l’on ne peut pas gagner un concours contre une bibliothécaire!

PLACE PUBLIQUE > Et que pensez-vous des deux scènes architecturales locales ?

JACQUES FERRIER >
Je ne veux me fâcher avec personne, mais pour le coup j’ai l’impression que sur ce terrain-là, Nantes a une petite longueur d’avance! Enfin, ce qui se passe aujourd’hui, nous ne le connaissons pas vraiment. De jeunes architectes sont certainement ici ou là en train de forger des projets époustouflants, mais par définition nous n’en avons pas encore conscience. En revanche, je dois reconnaître que les jeunes agences nantaises ont été particulièrement remarquables tout au long de ces dix à quinze dernières années. Nantes a été une véritable pépinière d’agences de talent. Je remarque aussi que deux de mes anciens étudiants, Stéphanie Vincent et Jérôme Berranger, ont reçu en 2004 le Prix de la Première OEuvre décerné par Le Moniteur pour une belle maison à Montbert (Loire-Atlantique), et qu’ils sont depuis allés s’installer à Nantes. Rennes a du mal à retenir ses jeunes architectes de talent. Mais trois anciens de l’agence se sont installés à Nantes ces dernières années : Stéphanie Durand, qui était notre directrice de projet pour FGP jusqu’à l’année dernière et qui a donc supervisé le réaménagement du site Marcel-Saupin. Cécile Graindorge également, chef de projet remarquée chez nous, et qui s’est elle aussi installée à Nantes avec son compagnon, Gricha Bourbouze, avec qui elle avait obtenu les Albums des Jeunes Architectes en 2004. Et un de mes directeurs de projet vient également de quitter l’agence pour s’installer là-bas! Nantes attire, incontestablement, la scène y est très dynamique, et Rennes doit se mettre au diapason mais elle ne manque pas non plus de figures solidement implantées, je pense à David Cras, Jean Guervilly… Mais il est vrai qu’ils travaillent autant sinon plus souvent ailleurs en Bretagne, Finistère, Morbihan, Côtes-d’Armor, qu’à Rennes.

PLACE PUBLIQUE > Peut-être est-ce lié à la venue ces dernières années de nombreuses figures nationales et internationales à Rennes, et au rôle de passeur joué alors par une personnalité comme Jean-Yves Chapuis ?

JACQUES FERRIER >
Oui, mais c’est aussi un aiguillon pour la créativité et Rennes jouit d’un excellent dialogue entre la ville-centre et les communes de l’agglomération. Trois ou quatre fois par an, Chapuis réussit à faire venir des architectes et des urbanistes de talent pour s’exprimer devant tous les maires et tous les adjoints à l’urbanisme de l’agglomération, c’est remarquable. Amphi rempli pour un cours d’architecture, rare! Ça, c’est Rennes : une véritable connexion, via les expos et les conférences, entre les élus et les décideurs au sens large, et le monde de l’architecture. Chapuis a même réussi à faire travailler une figure comme Christian Hauvette, 130 logements dans la ZAC du Pâtis à Mordelles, à l’ouest de Rennes, c’est tout de même un coup de maître!

PLACE PUBLIQUE > Mais un petit immeuble collectif à 15 km du centre, est-ce bien vertueux, au fond?

JACQUES FERRIER >
Juste à la fin de son mandat, il y a deux ou trois ans, l’ancien maire Edmond Hervé m’avait fait intervenir dans une réunion publique pour y parler d’urbanisme. Il proposait de limiter la taille des parcelles à 350 m2 dans l’orbite de Rennes Métropole. Très bien: on ne retire pas la possibilité d’habiter une maison et d’y bénéficier d’un jardin, mais sans trop compromettre les ressources foncières. À peine avait-il lancé cette idée qu’aussitôt la salle s’est mise à vociférer : de quel droit ! Moi qui ai vécu à Londres, qui connais Bruxelles et qui vois comment fonctionne Dublin, ce sont tout de même des modèles urbains géniaux: avoir un petit morceau de jardin en ville, c’est un luxe inouï, le chat, le rosier, le barbecue en plein centre ville, comme à Londres lorsque j’habitais une maison dans l’East End avec un jardin qui ne faisait même pas la taille de ce bureau. Le problème est qu’en France, à trop vouloir, on n’obtient plus rien du tout ! Lorsque j’ai travaillé sur la structure de la Maison Phénix6, j’ai conseillé au PDG de favoriser les maisons en bandes auxquelles se prête très bien ce système constructif, mais il n’a jamais voulu m’entendre, préférant accompagner le souhait majoritaire qui consiste à poser sa maison au milieu de sa parcelle comme un petit château.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont à votre avis les « territoires en attente », en attente de projets, au sein de ces deux métropoles ?

JACQUES FERRIER >
Ces deux métropoles ont indéniablement une carte à jouer en décrispant leurs modes de fabrication et de fonctionnement traditionnels qui demeurent très concentriques. On connaît désormais par coeur cette histoire très française : Paris et les grandes villes, les grandes villes et leurs banlieues, les petites villes et leurs villages… Avec le patrimoine au centre. Le poids de Paris est tel que cette ville demeurera, à mon avis, atypique. En revanche, je pense que des métropoles comme Rennes ont déjà bien engagé leur mutation autour de la notion de ville-territoire organisée autour de plusieurs centres, animés et équipés.

PLACE PUBLIQUE > En somme, la ville-archipel à la rennaise…

JACQUES FERRIER >
Voilà, avec une indéniable attention à l’architecture banale. Moi qui suis originaire du Midi et qui le revendique, je dois reconnaître la vigueur de ces efforts en Bretagne et Pays de la Loire en faveur des transitions entre l’espace privé et l’espace public. Ces efforts dénotent l’existence d’une culture partagée de la chose bâtie et de la ville que je ne retrouve pas du tout, par exemple, dans les villages du Languedoc-Roussillon où l’on est très désinvolte sur tous ces plans. Mais il ne faut pas que ces efforts s’en tiennent à bichonner les petits villages bretons modèles. Il faut assumer l’extension urbaine en privilégiant les points de centralité. Notre projet autour de la gare s’inscrit de plain-pied dans cette logique.