Les questions environnementales, surtout climatiques, sont restées bien sûr au coeur de l’actualité urbaine marquée par l’ouverture du sommet de Copenhague. Malgré cette omniprésence des enjeux climatiques, deux autres dossiers méritent qu’on en parle, l’un sur la place de l’animal en ville, l’autre sur la gestion des nouveaux biens publics urbains.
À l’approche des fêtes, la cité de Swindon (sud de l’Angleterre), a décidé de faire un cadeau à ses 200 000 habitants, surtout aux plus démunis. Le conseil municipal vient de leur proposer un accès gratuit à Internet (par Wi-Fi). La compagnie Digital city UK a été créée pour l’occasion avec des partenaires privés dont la ville détient 35 % du capital. Son service, baptisé Signal, s’appuiera sur un réseau sans fil mesh (« maillé ») de 1400 points d’accès qui couvrira tout Swindon. Signal permettra de se connecter au Web et de consulter ses mails, mais avec un usage limité à quelques heures par jour et à un certain volume de données. Les habitants pourront aussi opter pour un accès « normal » à un prix « significativement moins élevé que celui pratiqué par les principaux fournisseurs d’accès à haut débit ». Les promoteurs du projet évoquent aussi la surveillance à distance des domiciles, la délivrance d’informations aux habitants, comme leur consommation d’électricité en temps réel ou la qualité de l’air, la télémédecine pour les professionnels de santé. L’accès gratuit sera financé par les revenus des services commerciaux et communautaires qu’offrira le réseau. Cette cité rejoint la Finlande où le droit à l’internet haut débit va être inscrit dans la loi – après l’Estonie qui l’a déjà fait depuis plusieurs années. Le ministère des Transports et de la Communication du pays qui compte Nokia comme fer de lance a annoncé qu’à partir de juillet prochain, les citoyens pourront se prévaloir de disposer d’un accès rapide au Web, à l’exception de quelques milliers de foyers situés dans les zones les plus désertes. Le pays est déjà très connecté: environ 80 % de la population.
Les vélos installés dans la capitale par JC Decaux depuis juillet 2007 traversent une mauvaise passe: en deux ans, la moitié du parc total de 20000 Vélib’ a été vandalisée et 7800 autres ont été volés. À cela s’ajoutent les 1500 réparations quotidiennes (pneus crevés, chaînes enrayées…). La sonnette d’alarme a donc été tirée par la Mairie de Paris et le géant du mobilier urbain, la caution de 150 € demandée lors de la location du vélo ne suffisant pas à couvrir les dépenses. Decaux a donc demandé à la Mairie une participation financière supplémentaire, non prévue au contrat, et ce alors même que l’entreprise annonçait un chiffre d’affaires de 57 millions € lié aux Vélib’. Ainsi, si le quota de Vélib’ volés et détériorés dépasse 4 % du parc mis en service, la Ville s’engage à verser 400 € par vélo. Si le chiffre dépasse les 20 %, des renégociations auront lieu. Un calcul rapide permet d’estimer que le chèque supplémentaire pour les Parisiens pourrait dépasser 3,5 millions €: Sans doute s’éloigne-t-on des promesses de 2007 selon lesquelles Vélib’ ne coûterait rien aux contribuables de la capitale. Rennes n’est pas en reste d’ailleurs. Un tiers des 900 Vélo-Star mis en libreservice depuis juin ont été dérobés ou vandalisés. Cette détérioration s’explique par les failles du système d’accroche aux bornes fixes qui va être revu et par du « vandalisme primaire, pur et dur » d’après la société gestionnaire Keolis. La solution? Faire appel au civisme, répond la société, puis un courrier a été adressé aux 3200 adhérents à l’année pour qu’ils veillent à bien raccrocher les vélos dans les 81 stations à leur disposition. Chaque jour, plus de 2000 personnes utiliseraient ce système de prêt…
Faut-il privatiser davantage ce bien public? C’est un peu ce que commencent à faire de leur côté les entreprises qui déploient des vélos électriques en libre-service. Le vélo électrique en libre-service dans le parking, c’est déjà ce que propose à ses salariés, depuis septembre, STMicroelectronics à Montrouge. Ce nouveau service a été mis en place par la start-up Green On qui espère reproduire dans d’autres sociétés cette première réalisation modeste (4 vélos pour 270 salariés). La réservation peut s’effectuer via l’intranet de l’entreprise, en indiquant la date et l’heure souhaitées. À l’heure dite, l’emprunteur descend dans le parking et récupère les clefs du vélo à une borne automatique, avec son badge d’entreprise. À son retour, il rend les clefs à la même borne et branche l’engin pour recharger sa batterie. STMicroelectronics n’en est pas à son coup d’essai: dans le cadre de son plan de déplacement d’entreprise, elle offre déjà un service de covoiturage avec d’autres sociétés, une participation de 30 % aux frais d’achat d’un vélo ou encore le remboursement des forfaits Vélib’. L’utilisation pour un usage privé est gratuite, même si le système permettrait de la facturer aux utilisateurs.
Dans l’attente d’une solution efficace à ces défauts de jeunesse, le groupe JC Decaux exporte son nouveau savoir-faire au Japon: la ville de Toyama a signé un contrat de 150 vélos en libre-service. Le contrat, d’une durée de 20 ans, porte sur l’installation prochaine de 15 stations et 30 meubles urbains d’information. Cet accord est le deuxième remporté par le groupe français hors d’Europe, après Brisbane, en Australie. Et on s’intéresse maintenant aux voitures: le conseil régional d’Île-de-France a adhéré au syndicat mixte en charge du futur système de véhicules propres Autolib’ en libre service, un syndicat mixte qui ne cesse, depuis sa création officielle en juillet dernier, de grossir au fil des adhésions des collectivités franciliennes. Une trentaine de communes limitrophes de Paris et plusieurs communautés d’agglomération ont rejoint ce projet inédit (à une telle échelle). Le système Autolib’, qui devrait être opérationnel en 2011, prévoit pour l’instant 1257 stations, dont 700 à Paris même, et quelque 5000 véhicules à disposition des usagers. Passer les services publics dans les mains du privé? Chiche! Mais le privé semble avoir bien du mal à transformer le consommateur en… vrai citoyen. Pourtant, Auchan est à la pointe du développement durable: un premier hypermarché HQE (haute qualité environnementale) vient d’ouvrir à Vineuil, près de Blois (Loir-et-Cher). En plus de la station automatisée de recyclage, l’enseigne a eu recours à des solutions classiques, comme des panneaux solaires qui réchauffent les canalisations et des néons peu gourmands. Plus original, l’eau de pluie est récupérée et l’air climatisé par une centrale de stockage de glace. L’enseigne, qui a investi 51 millions d’euros, espère diminuer de moitié la facture énergétique par rapport à un magasin de taille comparable (environ 250 000 € par an).
Dans un tout autre registre, les animaux ont de nouveau la cote en ville, au moins les truites, les hérissons et les moutons. Mais pas les vaches puisque ce sont elles qui restent les grandes responsables de l’augmentation de l’effet de serre – on sait à quel point le méthane fait partie de ces gaz terribles. Et pourtant une nouvelle centrale électrique fait appel à leurs bouses criminelles: les Pays-Bas vont mettre en service une centrale au biogaz provenant de bouses de vache fermentées dans une ferme avec de l’herbe et des restes de l’industrie alimentaire. Cet équipement devrait permettre d’alimenter en énergie près de 1 200 logements. Sans doute la centrale la plus propre du pays? 380 moutons font aussi bien à Brighton en Angleterre: ils entretiennent les terrains communaux. Près de 72 volontaires (citoyens, donc…) veillent sur la santé de ces nouveaux personnels municipaux. Ainsi la ville réussit à la fois à conserver la biodiversité (les tondeuses restent de grandes perturbatrices) mais aussi à économiser environ 27 000 € par an. On connaissant la mode du street fishing ("pêche de rue"), on savait que le saumon était de retour dans la Seine… Voici que la Société des eaux de Marseille vérifie en continu la qualité de l’eau potable grâce à une douzaine d’aquariums. À l’intérieur, des capteurs analysent les mouvements de truites et donnent l’alerte en cas d’anomalie. Mis au point par les ingénieurs de l’entreprise avec le concours du Laboratoire de chimie de l’université d’Aix-Marseille, ce dispositif est le plus performant pour analyser en continu la qualité de l’eau du robinet. L’utilisation d’animaux comme bio-indicateurs est un principe déjà ancien que les mineurs utilisaient pour prévenir le coup de grisou en descendant dans les galeries des canaris plus sensibles qu’eux aux gaz. Mais il a aujourd’hui le vent en poupe, car on maîtrise mieux les techniques d’évaluation toxicologique et les fluctuations physiologiques naturelles de l’animal qui peuvent déclencher de fausses alertes: les variations de température, la saisonnalité, les cycles annuels de reproduction qui peuvent influencer les résultats d’analyse. Pour leur éviter le stress au travail, des protocoles de travaux très précis sont spécialement élaborés sous le contrôle d’organismes de recherche. À Berlin, par exemple, où l’usine de traitement de l’eau vient de s’équiper du même dispositif, les poissons témoins travaillent six mois seulement sous la supervision de chercheurs, avant de prendre leur retraite: mauvais fonctionnaires, ces poissons!
Difficile de faire mentir ce nouvel amour de la ville et des animaux, puisque le service Urbanisme de la ville de Nantes a décidé de suivre des hérissons d’Europe à la trace pour étudier leur comportement et leurs trajets dans les corridors écologiques de la ville. Concrètement, certains soirs dans les secteurs étudiés, des enseignants et des étudiants de l’École nationale vétérinaire vont arpenter les rues à la recherche des hérissons. Les hérissons d’Europe, réputés être de bons indicateurs de la biodiversité, seront marqués et suivis jusqu’à leur hibernation, avant une nouvelle phase d’observation, du printemps jusqu’à septembre 2010. Lorsque des hérissons « cobayes » seront retrouvés morts – l’autopsie doit être redoutable lorsqu’on voit ce qu’il en reste après le passage des voitures – des analyses toxicologiques seront effectuées (certainement des hérissons en état d’ivresse…). Métier moins mouvementé que celui du nouveau capitalisme apicole: à Genève, une véritable Banque du miel (par dérision, bien sûr) s’est constituée. 80 personnes ont déjà investi dans le miel produit par deux ruches situées sur le toit du Théâtre Saint-Gervais, rejoignant un réseau européen (oui, sur les toits de l’Opéra à Paris, également!). Des abeilles? Rien de mieux en ville, triomphe le Parti poétique d’Olivier Darné qui en est à l’origine. Ce miel est excellent et il contient jusqu’à 250 pollens contre 50 seulement parfois en campagne. Les apiculteurs genevois souhaitent aussi sortir de la spéculation et du profit. Ce qui ne les empêche pas de créer un vrai fonds d’investissement, le Fonds mellifère international (FMI), enrichi des miels locaux à chaque nouveau projet. Mondialisation quand tu nous tiens!
Quelques initiatives plus sérieuses et non moins dérangeantes, pour achever, comme cette ancienne décharge reconvertie en véritable poumon vert à Bordeaux (le site du Bourgailh, sur la commune de Pessac, accueillait jusqu’en 1991 les ordures ménagères de l’agglomération bordelaise). Un grand parc animalier et végétal va être réalisé sur 17 ha, pour 30 millions d’euros, dont 20 apportés par la Communauté urbaine et les communes de Pessac et Mérignac. Les promoteurs du parc (géré en délégation de service public) visent 300 000 visiteurs annuels. Ils prévoient aussi sur le site un parc résidentiel de tourisme et un parc d’activités tourné vers les secteurs de la nutrition et de la santé, appelé Bioparc. La capitale italienne vient de s’offrir un des plus ambitieux musées d’art contemporain jamais réalisés et une plongée dans une modernité que cette "Cité éternelle" semblait avoir en partie ignorée depuis des décennies. Le nouveau musée Maxxi (acronyme de musée national d’art contemporain du XXIe siècle) fait mieux que les Guggenheim de New York et Bilbao ou le Beaubourg de Paris. Confié à l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid, le Maxxi prouve la capacité de villes européennes à secouer le conservatisme dans lequel nombre d’entre elles s’engoncent. D’autant que Zaha Hadid n’a pas vraiment cherché à adapter son bâtiment à l’environnement urbain. Vrai défi à venir, pour ce nouveau musée que de pérenniser cette expérience du dérangement ainsi créée…