Lorsque, à l’aube des années 80, étudiants en sciences économiques à Angers, Marie-Laurence et Franck Delaunay se rencontrent, leur pratique photographique et leur intérêt pour ce qu’on appelle alors l’audiovisuel sont déjà au coeur de leur projet d’avenir. Un projet à 2 voix et à 4 yeux, ceux d’un couple que le désir et le plaisir des images ont poussé vers la création et la production documentaire : leur entreprise, Candela Productions, créée en 1993, a atteint l’âge adulte. Forte d’un catalogue d’une centaine de films documentaires, elle s’appuie sur une professionnalisation soigneusement entretenue et sur des choix artistiques cohérents.
C’est à Rennes que leur futur s’est réalisé : la ville des Transmusicales les a aimantés dès 1982, quand l’Université Rennes 2 a créé une filière nouvelle, Information- Communication. C’est un moment clé pour leur formation professionnelle – très innovante de ce point de vue, la licence d’Info-Com est adaptée à cet enjeu – et pour la naissance de leur réseau de contacts. Ainsi, Franck va travailler dix ans dans les médias locaux, d’abord pour la radio Fréquence-Ille puis pour TV Rennes dès sa création en 1987. De quoi se perfectionner dans les métiers de la communication, se constituer un carnet d’adresses et saisir de l’intérieur les inflexions du paysage audiovisuel. Quant à Marie-Laurence, elle poursuit une année supplémentaire d’études sous la houlette de Jean- Pierre Berthomé, professeur de littérature spécialisé dans le cinéma de Jacques Demy et pygmalion de bien des vocations. Elle y crée avec 5 autres étudiants l’association « VideoRem » pour effectuer ses premières réalisations.
Association, collectif, réseau, bénévolat, il va y en avoir besoin quand, après avoir autorisé les radios « libres » après 1981, le gouvernement se pose désormais la question d’ouvrir des télévisions locales hertziennes. La Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) et le Carrefour international de la communication (CICOM) lancent en 1985 un appel d’offres : 52 minutes pour une télévision locale, dont l’objectif est de susciter des projets de programmes dans les villes susceptibles de créer des télévisions locales. À Rennes, « VideoRem » parvient à mobiliser les sociétés locales de production audiovisuelle – spécialisées dans les films institutionnels et les films d’entreprise – ainsi que quelques entreprises du numérique (on parle alors d’« informatique ») de la technopole Rennes Atalante. Il en résulte un programme baptisé « Pixel télévision », présenté au TNB, composé de dix modules de préfiguration d’une télévision locale. L’aventure télévisuelle restera à l’état de maquette puisque le projet de création des TV locales hertziennes ne verra pas le jour.
Après un passage comme scénariste, Marie-Laurence Delaunay abandonnera pour un temps l’audiovisuel, préférant l’effervescence suscitée par le développement de la communication. Entre Paris et Rennes, elle est tour à tour attachée de presse, chargée de relations publiques et d’événementiels, rédactrice pour Polygram, Havas, Le Petit Futé, la Ville de Rennes, etc.
En 1989, elle devient responsable du service communication de l’Office social et culturel rennais (OSCR). Mais dans tout cela, bien peu de créations d’images. Alors qu’après 1986, le paysage national est en train de se transformer à grande vitesse avec la création des chaînes privées. La loi sur la liberté de communication du 30 septembre 1986 soumet, quant à elle, les chaînes hertziennes à des obligations d’investissement dans la production d’oeuvres audiovisuelles inédites et indépendantes. La production indépendante se développe. C’est l’époque où l’on voit éclore la Chaîne éducative, la Cinquième, Arte... Il faut à ces nouveaux canaux de diffusion une nourriture adaptée : les programmes qui, précédemment, étaient réalisés par les chaînes elles-mêmes, ne suffisent plus. Et pour répondre à ces nouveaux besoins, il n’existe guère d’entreprises, et encore moins dans les régions.
Un nouveau marché s’ouvre donc pour la production indépendante d’images. D’abord à Paris, qui conserve encore aujourd’hui une nette suprématie en matière de nombre d’entreprises, puis rapidement à Rennes et dans l’Ouest. Le contexte y est porteur avec, d’une part, l’existence de deux TV locales à Rennes (TV Rennes) et Angers (TV10 Angers), qui forment des techniciens et coproduisent avec les jeunes sociétés de production, et d’autre part la présence de France 3, de Lazennec Bretagne et d’un vivier de techniciens du cinéma qui travaillent entre Paris et la Bretagne. C’est dans cette ambiance favorable que Franck, qui a quitté TV Rennes, et Marie-Laurence, qui est redevenue indépendante, vont créer Candela et travailler pour les magazines Faut pas rêver, Thalassa, ainsi que pour La Cinquième, l’agence Reuter…
La dénomination Candela Productions vient logiquement de la recherche d’une référence à la lumière cinématographique. La candela est une unité de mesure d’intensité lumineuse. Mais l’usage du mot se comprend mieux quand on en apprend la signification sud-américaine, celle de la vie, de l’énergie fournie par la lumière. Candela va chercher à insuffler cette lumière dans les films documentaires qu’elle va produire.
Pourquoi le documentaire ? C’est le choix d’un film qui travaille sur le vivant, dans lequel l’humain prend toute sa place. Leur premier film porte sur le mosaïste Isidore Odorico. Comme beaucoup des autres titres du catalogue de Candela, il raconte un moment de l’histoire de France à travers un personnage, ici celui du migrant artiste et artisan. Même orientation dans les portraits diffusés dans l’émission de France 3 Thalassa. Les documentaires produits par Candela ont pour point commun d’aborder et d’approfondir des faits de société, en s’attachant à leur dimension artistique et patrimoniale, mais avant tout humaine. Car Candela prendra aussi des risques, comme le montre le soutien opiniâtre apporté au documentaire Le déménagement, film qui suit les détenus quittant la vétuste prison de Rennes et arrivant dans un bâtiment carcéral tout neuf mais éloigné de tout. De l’avis du binôme de Candela, l’année passée à défendre – y compris en justice – le film, l’a limité dans son activité de production, puisqu’il lui faut entre 12 et 18 mois pour suivre et développer chaque projet. Le prix à payer pour maintenir ses choix éditoriaux et ses valeurs éthiques !
Le marché du film documentaire se structure au cours des années 1990 et Candela va profiter de cet essor. L’entreprise se professionnalise grâce à une formation mise en place en 1995 et soutenue par le Centre National du Cinéma : « Produire en région » formera en quelques années une cinquantaine de producteurs en France, dont une dizaine en Bretagne et Pays de la Loire. Le paysage actuel de la production indépendante est ainsi dessiné, avec Candela en bonne place. Simultanément, le conseil régional de Bretagne prend conscience de l’existence et de l’organisation du secteur et développe un Fonds d’aide à la création audiovisuelle. Les professionnels, quant à eux, créent l’Association des producteurs audiovisuels de Bretagne (APAB) qui sera le collège fondateur de Films en Bretagne, la fédération du cinéma et de l’audiovisuel en Bretagne créée en 1999. Le marché du film documentaire se développe, notamment avec la multiplication des chaînes de télévision. Elles financent la création documentaire puisqu’une partie de leurs recettes publicitaires lui est obligatoirement reversée. Ce sont surtout les chaînes de France Télévisions, les chaînes locales ainsi que des chaînes thématiques – Planète, Histoire, Public Sénat – qui s’engagent sur les productions proposées par Candela.
Le documentaire est devenu une forme filmique à l’écriture identifiée, et qui compte, avec ses festivals, ses auteurs, etc. Alors que le documentaire d’auteur est plébiscité y compris par la télévision, Marie-Laurence et Franck Delaunay créent en 1997 avec d’autres réalisateurs comme Ariel Nathan, Philippe Baron, Brigitte Chevet, Hubert Budor, etc., l’association « Comptoir du Doc », puis plus tard « Images de Justice ». Le succès de ces rencontres entre créateurs et public de l’agglomération rennaise ne se dément pas, comme l’illustre le rendez-vous aux Champs libres le dimanche après-midi (lire l’article page 66).
Aujourd’hui, la création documentaire est confrontée à de nouvelles évolutions : le nombre de professionnels formés s’est beaucoup accru, à la réalisation comme à la production. Ce qui devrait être un atout se heurte à une baisse des financements liée, entre autres, à la diminution de la publicité sur les chaînes de télévision. L’ensemble provoquant une très forte sélectivité et des difficultés à financer de nouveaux projets. En France, sur 670 sociétés, 400 ne produisent au mieux qu’un seul film par an !
Dans le même temps, la production audiovisuelle française doit faire face aux mutations que représente la télévision connectée. Un défi stimulant qui impose d’inventer de nouvelles formes de programme pour les usages numériques. Si l’on ajoute à ce tableau la nécessité de viser une diffusion plus large, internationale, on voit se dessiner un enjeu immédiat pour l’aventure de Candela, qui produit 4 à 6 films par an : passer de l’artisanat à un entrepreneuriat plus vaste, tout en maintenant l’exigence d’un métier où le choix artistique domine.