du XXIe siècle apprend
aux collégiens
Au collège Angèle Vannier, à Saint-Brice-en-Coglès, nous avons eu très tôt, dans les années 1980, un atelier de pratique artistique. Cette structure permit une ouverture sur le monde extérieur. Ainsi pour le projet de sculpture destiné à l’autoroute A84, tout proche, avons-nous sollicité un sculpteur de renom, Bernard Pagès qui avait plus que frôlé le mouvement Support(s) Surface(s) dans les années 60-70. Cela prit la forme d’un échange épistolaire intense entre les élèves et l’artiste. L’expérience dût s’arrêter en raison du veto de certains élus politiques locaux. Mais la maquette finale de Bernard Pagès est toujours là!
Cet épisode ne découragera pas d’autres aventures. Sans relâche, au collège, et nous exposerons des artistes de haute volée dans la galerie d’art à vocation pédagogique : Jacques Villeglé, Geneviève Asse, Aurélie Nemours, Véra Molnar, Jean-Paul Riopelle, François Morellet. Toujours dans les années 90, nous reçûmes le critique d’art Pierre Restany.
Quel intérêt, dira-t-on? Celui de favoriser chez les élèves, leurs parents voire la population, la verbalisation, des prises de paroles étayées, l’écoute de l’autre dans un esprit de tolérance. On en arrive à Aurélie Nemours. Tous ces éléments nourriciers insufflèrent en effet une démarche pédagogique exaltante autour de l’oeuvre d’Aurélie et de son ensemble sculptural à la Zac Beauregard de Rennes.
Je connaissais cette artiste et les rencontres que j’ai eues dans son atelier se faisaient sous le signe de la fulgurance, de la clairvoyance ponctuées de tonitruance – mais charpentée. J’avais rencontré son oeuvre lors de confrontations qu’elle avait désirées avec Henri Michaux et Jean Tinguely. Ces rencontres seront une mine au niveau des références artistiques lors de mon enseignement usuel d’arts plastiques ou des séances à l’atelier.
Avec la Ligue de l’Enseignement, son secrétaire général à l’époque René Jouquand, avec la galerie Oniris et Yvonne Paumelle, avec Martial Gabillard inlassable défenseur de l’art contemporain à Rennes, avec Adalberto Mecarelli, fils spirituel d’Aurélie… je tissais un maillage favorable à lancer un projet de grande ampleur. Je m’appuyais sur l’école « Sonia Delaunay » à deux pas de l’ensemble sculptural et en particulier avec sa directrice, Danièle Buttifant, toujours prête à saisir les opportunités. J’étais aussi soucieux de mettre sur pied un axe ville-campagne afin de favoriser le désenclavement culturel, le brassage socioculturel, l’esprit de tolérance, l’écoute aiguisée de l’autre.
Cela se traduira par des lectures d’oeuvres à Saint-Brice et à Rennes, avec des déplacements croisés d’élèves. Compte tenu de la vivacité de l’entreprise, Aurélie me lèguera nombre d’estampes. L’une d’entre elles est déterminante. Il s’agit d’un « rythme du millimètre » qui est le ferment même de son ensemble sculptural. En effet, l’enfant capable de concevoir une élévation volumétrique, en se basant sur cette estampe imaginer la conception de l’oeuvre.
L’aventure nous conduira aussi dans le bassin granitique de Louvigné-du-Désert d’où les blocs de granite ont été extraits – granite choisi par Aurélie Nemours avec des desiderata fermes au sujet des arêtes des blocs !
L’entreprise « Générale du granit » nous accueillit avec bienveillance, mesurant que des élèves seraient des ambassadeurs de l’art contemporain. Ces petits ruraux allèrent aussi au Musée des beaux-arts de Rennes, découvrir les oeuvres de l’artiste et la situer dans la veine artistique de l’art concret. Cette immersion dans la ville était plus que salutaire. Les collégiens mesuraient ainsi le voeu d’Aurélie: une oeuvre inspirée des alignements de Carnac en zone citadine car l’art du 21e siècle serait, selon elle, essentiellement urbain. Ils pouvaient aussi jauger le tissu dont la ville est faite. Parfois, ils connaissaient la périphérie marchande. D’un seul coup, ils pouvaient happer un quartier en devenir, la commande publique avec l’Alignement, le métro, le centre historique, le musée … L’art lançait des ramifications en instruction civique avec « Qu’est-ce que la commande publique? » et surtout avec ce débat: « L’art dans la rue, à quoi ça sert? ».
Il ne s’agissait pas non plus de démolir les idées « prêtes à penser » du type : « j’en ferai autant, combien ça coûte… », mais d’ensemencer pour le futur, de débattre … Aurélie Nemours ne disait-elle pas: « L’art épuise le doute ». Lors de l’inauguration orchestrée par Odile Lemée, très impliquée dans l’érection de l’oeuvre, les enfants entrèrent naturellement dans l’ensemble sculptural de façon très ludique. Un premier pari était gagné et des enfants gagnaient ce droit à la ville, ce droit à l’art.
Il me semblait qu’il fallait aller plus loin en creusant davantage la didactique des arts plastiques. Je déposais un projet de DVD près du Centre régional de documentation pédagogique de Bretagne. Il fut accepté. Il fallait s’adjoindre une autre structure scolaire. Outre le collège Angèle Vannier et le groupe scolaire Sonia Delaunay, nous avons coopté le lycée Jean Guéhenno de Fougères où le professeur d’arts plastiques, Gilbert Delaunay excellait.
Il fallait se méfier de rigidifier le produit voulu, avec les tournages vidéo. Il fallait solliciter les mathématiques, la poésie, retourner sur le terrain. Il fallait surtout démontrer que les démarches pédagogiques étaient transférables. Nous désirions avec le réalisateur Frédéric Hullin que le document CD/Vidéo jette des bases de réflexion transposables: ici avec Pagès ou Garouste, là avec Morellet ou Buren – bref, la commande publique avec tous et pour tous. Le sujet est en fait éminemment politique et la volonté de Edmond Hervé et de ses diverses équipes municipales devaient insuffler à la base, cette démocratisation de l’art.
Pour affiner cet exposé, il nous faut quelque peu entrer dans le cours usuel d’arts plastiques arrimé le plus souvent à l’art contemporain. Cet élément est d’ailleurs bien spécifique à cette discipline. Elle va de pair avec la contemporanéité des productions artistiques. C’est peut-être un cas unique dans l’enseignement en France. Il faut donc beaucoup de perspicacité et d’engagement à l’enseignant d’arts plastiques. Il y a de plus, à chaque époque, des rejets par rapport à la novation. L’impressionnisme, le fauvisme, « DADA » , le surréalisme … entre autres, ont connu en leur temps mépris et ricanements, pour ne pas dire davantage. Il en est de même à notre époque – l’installation, les productions vidéos, la performance… sont décriées et l’enseignant doit néanmoins s’emparer de ces faits de société, si possible en les confrontant à des oeuvres modernes ou plus anciennes.
L’enseignant aura bien entendu la latitude de varier les situations d’enseignement et ce que nous allons proposer n’est ni figé, ni empesé. Il introduira une proposition auprès des élèves en se démarquant d’un sujet trop balisé. Cette proposition, pas simple à formuler, devra interpeller l’élève et l’inviter à produire plastiquement sans modélisation, bien sûr. Le résultat escompté est un ensemble de productions diverses, répondant néanmoins à l’incitation. Cette dernière peut-être une phrase, ou un groupe de mots bien frappés, bien pensés ou une référence plastique, un tesson de poème…
L’incitation sera entourée d’un lot de consignes et de contraintes. Le temps d’effectuation sera évidemment indiqué. Cette réalisation pourra être ponctuée d’arrêts pour la classe entière et toujours, pendant ce temps de travail plastique, l’enseignant pourra s’entretenir individuellement avec les élèves.
Suivra le temps de l’accrochage des travaux qui, petit à petit, peut être effectué par les élèves. Pourquoi ne pas investir l’espace de la classe? Le temps de verbalisation consacré aux productions des élèves interviendra. Il faudra, là aussi à pas menus, tendre vers une circulation de la parole libre et respectueuse de l’autre. On s’évertuera à dépasser la simple oralisation et on demandera à l’élève de bien charpenter ses dires sans les fragiliser.
Des présentations d’oeuvres, non hâtives, pourront clore le cours et seront, elles aussi, sujettes à débat. Ces références artistiques peuvent varier selon le déroulement du cours. Une erreur (et le statut de l’erreur est important en arts plastiques), une remarque d’élève, une production en cours de réalisation peuvent infléchir le choix des références artistiques.
Ce schéma de cours doit varier car l’élève apprenant, peut se couler trop aisément dans un moule intangible. Il faut modifier le déroulé du cours pour éviter une certaine sclérose préjudiciable à tous, élèves et enseignant.
Pour aller plus avant, vous pouvez vous plonger dans le DVD publié par le CRDP Bretagne1 qui fourmille d’exemples, de démarches pédagogiques, d’entretiens. Ces derniers permettent de formuler de nouvelles incitations pour des cours, d’étayer ses réflexions, de conforter ses convictions et ne pas sombrer dans des certitudes.
Alignement du XXIe siècle d’Aurélie Nemours avec bientôt à ses côtés le FRAC Bretagne, est une mine de réflexions pour tous : art concret au 20e siècle et de nos jours, de Malévitch et Mondrian à Morellet…, statut du socle dans la statuaire au fil des siècles, étude du manifeste de l’art concret, etc.
Vous jetterez aussi inévitablement des ponts avec l’histoire, la mathématique, la poésie. Dans ce dernier versant, je pense à Guillevic dans « Carnac »…
Je privilégie à titre personnel, ces pontages et vous livre un poème de Aurélie Nemours qui sied bien à cet exposé:
« rythme du millimètre
frémissement de la grille
le signe et le sens
charge du silence
le nombre illuminé
coeur de la forme
secret de la figure »
in « Oscillatoire » 1991.
Invitons-nous les uns les autres, à nous passionner pour l’art contemporain. Les entrées sont multiples, parfois délicates mais libèrent du carcan quotidien. La passion n’est pas une faute de goût dans notre univers. Il faut de temps à autre prendre du recul, s’appuyer sur du tangible, rejeter les scories et repartir. Il faut accompagner l’élève dans ce cheminement, attendre et guetter de futures productions soumises à la commande publique à Rennes. Que les décideurs pensent entre autres à Véra Molnar…
Quant à nous, collège et son pôle artistique, il nous faut sans cesse remettre l’art sur le métier. C’est ainsi qu’avec le collège qui initie des classes de ville, nous retournons régulièrement visiter le quartier de Beauregard et son Alignement, horloge solaire incomparable quand le beau temps est avec nous. Il en va de même avec le pôle artistique et culturel du collège. Régulièrement, nous mettons sur pied des visites à Rennes. À ces occasions, au programme, nous proposons des oeuvres issues de la commande publique.
« Il restera toujours une fenêtre
où se pencher, des promesses à tenir,
un arbre où prendre appui »
Andrée Chedid
Saisissons-nous des fenêtres sur la vie.