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Dossier
#15
La photographie : territoire foisonnant mais dispersé
RÉSUMÉ > La photographie tient son rang à Rennes. Multiples talents, multiples lieux, multiples initiatives. Pourtant, on s’accorde à dire que la ville manque d’un espace d’exposition permanent et d’un événement fédérateur. Tour d’horizon avec deux observateurs impliqués, Mirabelle Fréville et Claude Tible.

    La photographie est à Rennes un vaste continent. En témoigne dans ce numéro de Place Publique, l’article d’Alain Croix sur le patrimoine d’images que recèle cette ville (p. 88 et suivantes). « Que voulez-vous, la Bretagne est une terre de photographes depuis toujours », rappelle Claude Tible, conseiller artistique de la Galerie Carré d’Art. Premier paradoxe, la photo fourmille de partout et pourtant « il manque à Rennes un grand lieu dédié à la photographie ». Second paradoxe, relevé par la réalisatrice Mirabelle Fréville , Rennes est un « vivier de photographes » talentueux et connus et pourtant on ne voit pas ici « de figures émergentes ou spectaculaires ». Pas d’équivalent du Jean Dieuzaide de Toulouse ou du Lucien Clergue d’Arles.

     Ce n’est pas une raison pour pleurer. Balisons plutôt le paysage avec Claude Tible et Mirabelle Fréville. Inventaire non exhaustif. Dans un coin, on trouve des piliers comme Georges Dussaud, Jean Hervoche ou encore Claude et Marie-Jo Carret. « Ce sont des autodidactes formés dans les photo-clubs, ils ont créé une oeuvre. Ils appartiennent à l’héritage humaniste ».
     Dans un autre coin du paysage, la génération des photographes issus de Rennes faisant carrière à Paris, par exemple, Richard Dumas, de l’Agence Vu, celèbre pour ses « portraits » bien qu’il récuse cette appellation, David Sauveur, 40 ans, également de l’Agence Vu, Marion Poussier, prix 2010 de l’Académie des Beaux-Arts, photographe du quotidien (voir son travail dans Place Publique N° 13)…
     Autre coin du paysage, celui des photographes, plutôt jeunes, plutôt en vue et habitant ici. Retenons sans souci du palmarès: Cédric Martigny, de Fougères (né en 1974), Delphine Dauphy (né en 1975), Élodie Guignard (née en 1979), et aussi Marc Loyon, Richard Volante, Christophe Le Dévéhat, Laurent Grivet…
     Enfin, autre zone de créateurs, celle des artistes qui font de la photographie. Même s’il faut se méfier des catégorisations, il est sûr que « les jeunes ont une autre approche. Ils se revendiquent en tant qu’artistes, ont souvent fait les beaux-arts et ont pour atout de posséder une grande maîtrise technique », analyse Claude Tible. « Ils ont un regard, une vraie culture photographique qui n’existait pas dans les années 80 », estime Mirabelle Fréville. Et de citer ces plasticiens de formation que sont par exemple Pascal Mirande, ou Muriel Bordier (prix Arcimboldo 2010) ou encore David Zerah.
     Tous ces créateurs composent un kaléidoscope où il serait vain de chercher une unité. Désolé, on ne peut pas vraiment parler d’« école rennaise ». Il y a ici une diversité de pratiques et d’usages « qui coexiste d’ailleurs souvent à l’intérieur d’une même personne. Certains conjuguent photo-reportage, publicité, enseignement et création personnelle », note Claude Tible. Autre trait caractéristique des « nouveaux photographes » rennais, selon Mirabelle Fréville, « ils s’organisent parfois en collectifs formés autour de goûts commun avec le désir de revivifier la photo ». Par exemple, le groupe « Il pleut encore » qui rassemble 9 photographes de la ville (Voir leur travail sur le portrait des habitants de Rennes Métropole dans Place Publique n° 8). Ou encore les 7 photographes de BIP (Bureau d’investigation photographique (www.bipagence. com).

     Mais où ces photographes montrent-ils leurs photos ? On a parlé plus haut de l’absence de lieu-phare sur la ville. En revanche, la photo essaime partout : dans l’édition avec par exemple les éditions de Juillet et Lendroit Éditions. Beaucoup sur Internet, car les photographes sont logiquement les premiers à s’être emparés de cet outil. Et dans des lieux « physiques » tels que le Carré d’Art à Pôle Sud (Chartres) qui expose 6 fois par an, l’Éclat à Thorigné, la galerie Pictura à Cesson. Dans les bars, les centres culturels (au Colombier, au Triangle), sur la place de l’Hôtel-de-ville, dans l’escalier de la médiathèque des Champs Libres, à la Galerie de l’Escalier, 9, rue Poullain-Duparc, à la Galerie librairie Exercice de Style, 6, rue Victor-Hugo. À l’université de Rennes 2 où l’universitaire Nathalie Boulouch, spécialiste de la photographie, anime la galerie La Chambre Claire…
     Reste un lieu aimé par dessus tout : l’Orangerie du Thabor. Un endroit idéal pour la photo. Certains, comme Claude Tible, aimeraient bien qu’il soit voué d’une manière permanente à l’exposition de la photo à Rennes. Du côté de la mairie, l’adjoint à la Culture René Jouquand évoque aussi l’espace d’exposition en projet dans la Brasserie Saint-Hélier, qui pourrait servir ponctuellement. Ou encore un futur équipement du nouveau quartier Baud-Chardonnet qui serait dédié à l’image.

     En tout cas, la réflexion est dans l’air. Personne ne nie qu’il faille donner une meilleure « visibilité » à la photo, cet art à la fois populaire et créatif. Mais le lieu ne suffira pas. « Un lieu, plus un contenu, plus des acteurs », telle est la recette, tranche Claude Tible. Bref, ce qu’il faut pour la photo à Rennes, c’est un événement fédérateur et « forcément collectif » avec une « thématique forte ». Une bonne base a été jetée en 2010 avec l’animation autour des sténopés, ces boîtes avec un trou permettant de capter des images. « Cela s’est fait à l’échelon de la métropole, dans de multiples lieux et en fédérant de nombreux acteurs. Le public a circulé. Il y a eu une dynamique prometteuse ».
     À la mairie aussi l’on plaide pour un « grand événement ». Dans la foulée du festival « Image publique n° 5 », organisé par Photo à l’Ouest à l’automne dernier, l’adjoint René Jouquand aimerait bien que l’on s’achemine vers « quelque chose de plus consistant, qui pourrait être l’ « Octobre de la photographie à Rennes ».