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Dossier
#40
Cédric Brandilly invente la musique des villes
RÉSUMÉ > Avec son complice musicien Romain Dubois, l’artiste rennais Cédric Brandilly mène un projet à la frontière de la musique, des images et de l’urbanisme, en transformant les données cartographiques des grandes métropoles en mélodies originales. Représentatif d’une nouvelle génération, il aime le travail en réseau et développe ses projets au sein d’une maison partagée à Saint-Jacques de la Lande. Rencontre.

     Savez-vous que Rennes n’a pas la même musique que Séoul ? Que les mélodies new-yorkaises sont aux antipodes de celles de Cape Town ? Pour s’en convaincre, il suffit de découvrir l’œuvre de l’artiste rennais Cédric Brandilly et de son complice musicien Romain Dubois. Ensemble, ces jeunes créateurs ont imaginé le dispositif Architectural Sonarworks, une exploitation scientifique et poétique des données cartographiques des villes, pour les mettre en musique. Le résultat, disponible sur leur site internet, est fascinant. Les « concerts-videos » des deux artistes – ils se sont notamment produits dans le cadre du récent festival Travelling pour une performance consacrée à Séoul – plongent l’auditoire dans une expérience à la fois visuelle et sonore, onirique et puissante.

    Cette initiative, née à Rennes, aurait sans doute pu voir le jour ailleurs. Après ses études à l’université Rennes 2, Cédric Brandilly, né il y a 32 ans à SaintThual, près de Bécherel, a d’abord roulé sa bosse à l’étranger et à Paris (il a notamment été monteur vidéo à Canal +) mais il a souhaité revenir dans la capitale bretonne, appréciant, dit-il, « le cadre de vie rennais ». Il faut reconnaître qu’il dispose depuis dix-huit mois d’une résidence de travail atypique et pratique, à Saint-Jacques de la Lande. En compagnie de neuf autres artistes, il occupe en effet une maison du quartier de la Morinais, mise à leur disposition par la mairie, moyennant un loyer symbolique dans le cadre d’un bail précaire. On peut y croiser des régisseurs de théâtre, des intermittents du spectacle, des spécialistes du numérique, une vidéaste… 

     « Nous sommes des artistes et des professionnels venus de divers horizons. Chacun y poursuit son propre projet, mais nous échangeons beaucoup sur nos pratiques respectives. Le midi, à l’heure du déjeuner, les conversations fusent ! Nous avons de l’espace, de la tranquillité, et un atelier qui permet de produire des œuvres », explique-t-il.

     Avec, en prime, dès les beaux jours, le plaisir de déguster la récolte du potager du jardin ou de disputer une partie de ping-pong au soleil. « Nous sommes bien équipés, nous avons notre petit laboratoire, à dix minutes à vélo du centre-ville », apprécie Cédric.

     Des conditions propices, selon lui, à la créativité. Cet itinéraire est toutefois plutôt atypique : chaque artiste avait en effet engagé une démarche individuelle séparée avant de constater qu’ils poursuivaient peu ou prou le même objectif. La proposition de la ville de Saint-Jacques était aussi une première pour la municipalité, qui n’avait pas jusqu’à présent ouvert de tels lieux, « à la marge ».

     « L’ouverture de notre Atelier commun, c’est son nom, a un peu interrogé le Landerneau artistique local ! C’est une initiative privée qui a finalement rencontré le soutien d’une collectivité. En tout cas, c’est bien la preuve concrète de l’intérêt qu’il y a à accueillir des ateliers d’artistes en dehors du centre-ville. Ici, c’est presque un petit coin de campagne, le voisinage de la rue est très sympa, il a bien compris et accepté notre démarche », poursuit Cédric Brandilly.

     Serait-ce une marque de fabrique locale ? L’artiste est plus nuancé sur ce point. Ce plasticien performeur, qui revendique une expression fondée sur le détournement de territoire, dans la filiation des situationnistes de Guy Debord ou le courant Fluxus, défend un engagement artistique fort dans l’espace public. Il apprécie l’écoute et le suivi exprimés par la collectivité, notamment la direction de la culture de la métropole, ainsi que les échanges fructueux établis dans le champ technologique avec plusieurs acteurs du territoire (Dassault Systèmes, IRT B-com, les milieux universitaires…).

     Néanmoins, pour Cédric Brandilly, « Être artiste à Rennes, ce n’est pas seulement être exposé à la Criée ou au Frac, c’est être présent par des réalisations dans la ville, en assumant clairement ce statut ». Ce qui est loin d’être évident. Et d’évoquer son expérience lors de la Biennale d’art contemporain de 2012, durant laquelle il avait temporairement investi la vitrine d’une boutique pour une performance originale qui interloquait les passants ! On pouvait le voir jouer au ping-pong le matin et le soir aux heures de départ et de retour du travail, et certains s’imaginaient qu’il avait passé toute sa journée à cet exercice ! « Le principe de cette intervention artistique aléatoire a été repris l’année suivante dans le cadre des Tombées de la Nuit, avec des moyens techniques supplémentaires, mais c’est clairement parce que j’avais tenté l’expérience de manière autonome que j’ai pu être ensuite repéré par la programmation des Tombées », analyse-t-il.

     Architectural Sonarworks s’apprête à mettre le cap sur Strasbourg, pour un congrès national de la cartographie en mars, avant de s’installer deux semaines en résidence au centre des arts à Enghien-les-Bains en avril, dans la perspective de la biennale Les Bains Numériques, qui s’y déroulera début juin. Entre-temps, les artistes seront invités du 7 au 27 avril par le Centre de la Promotion des Sciences à Belgrade (République de Serbie). En parallèle, les Rennais achèveront fin août une présentation qui aura duré un an dans le cadre du festival Ars Electronica, à Linz en Autriche. Enfin, au printemps, Cédric Brandilly aura – presque – la tête dans les étoiles : Rennes Métropole vient de lui passer commande d’une création sonore de la ville, dans le cadre du projet urbain Rennes 2030. L’œuvre musicale sera exposée et proposée au Planétarium des Champs Libres du 31 mai au 12 juin 2016. Visiblement, pour lui, les astres sont bien alignés.