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Dossier
#40
Le CLAPS, le pari d’un nouveau lieu culturel autogéré
RÉSUMÉ > Ouvrir un lieu culturel associatif en ces temps de morosité économique, le pari est déjà osé. Mais avoir l’objectif de le faire fonctionner sans subvention publique, cela tient du défi. C’est pourtant celui relevé par le collectif rennais CLAPS, qui doit ouvrir sa nouvelle salle de concert en septembre. Un projet qui met en lumière le manque de lieux culturels alternatifs à Rennes.

     « On va peut-être commencer par une petite visite ? », propose Benoît Valet dès notre arrivée. À ses côtés, Enora Azé et Trelig Mahé, deux autres membres du Collectif local associatif pluriculturel et solidaire rennais (CLAPS). Composé de quatre associations musicales, ce collectif a signé début janvier 2016 le bail de ce vaste entrepôt de 940 mètres carrés à l’entrée de la zone industrielle Sud-Est. Débordante d’enthousiasme, la petite équipe nous décrit les aménagements prévus. Ici, la grande pièce à l’entrée deviendra un barrestaurant. Là, les anciens bureaux seront transformés en sanitaires. Mais surtout, le cœur du projet : l’imposant entrepôt qui doit devenir, d’ici septembre, une salle de concert le soir et un espace disponible pour les associations le jour. « Au départ, on s’est retrouvé face aux mêmes difficultés pour trouver des lieux où s’exprimer », explique Enora Azé. Les quatre associations fondatrices organisent des concerts depuis plus de quinze ans, dans et hors de Rennes. Leur constat : la ville manque de lieux intermédiaires, moins chers que Le Liberté et moins contraints que des salles subventionnées comme l’Ubu ou l’Antipode. « En discutant autour de nous avec d’autres personnes du milieu associatif ou culturel, nous avons pris conscience que ce point de vue était partagé », poursuit Enora Azé. Ils ont donc eu l’idée de se regrouper pour créer leur propre lieu. Les quatre associations montent un groupe de travail, rédigent un cahier des charges, démarchent les agents immobiliers… « On a trouvé ce local en mars 2015 et on a signé en décembre. Oui, ce furent de longues négociations avec le proprié- taire », admet en souriant Benoit Valet.

     Rien d’étonnant à cela, ce type de transaction étant davantage réservé à des entreprises plutôt qu’à des collectifs associatifs aux moyens réduits. « La patience et l’ouverture d’esprit du propriétaire ont permis la mise en place de ce projet », assure Benoit Valet. D’autant plus que celui-ci prend à sa charge les travaux de désamiantage et de réfection de la toiture. Reste l’ensemble des travaux d’aménagement, notamment ceux d’accessibilité et de mise aux normes obligatoires pour recevoir du public. Pour y faire face, le CLAPS mise sur une palette de financements. Il devrait ainsi obtenir un prêt à taux zéro auprès du pôle rennais d’économie sociale et solidaire, aux côtés d’autres prêts bancaires classiques. Il a sollicité les conseils départemental et régional, mais aussi les Cigales, ces clubs d’entrepreneurs solidaires. Enfin, le CLAPS a lancé une opération de financement participatif sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank pour un montant de 15 000 euros. L’objectif : inaugurer ce nouveau lieu culturel en septembre prochain. Et pour la suite ? Le CLAPS compte fonctionner sur ses propres deniers, c’est-à-dire les recettes de ses activités et… l’huile de coude. « Il n’y a pour l’instant que des bénévoles au CLAPS, mais on prévoit à terme d’avoir une équipe salariée pour faire fonctionner le lieu », assurent Benoit Valet, Enora Azé et Trelig Mahé. « Les associations fondatrices apportent des bénévoles, de l’expérience et des facilités de trésorerie ». Le collectif se refuse à solliciter des subventions de fonctionnement auprès des collectivités publiques. « On va essayer de créer un modèle autonome. L’idée que le projet pourrait s’arrêter car on n’aurait plus de subventions nous est insupportable », explique Enora Azé. Mais le groupe ne s’empêche pas d’en solliciter ponctuellement. « Les subventions doivent aider une association à accroître ses activités, pas à vivre », explique-t-il. « On veut s’autogérer. De toute façon, nos associations fonctionnent comme ça depuis quinze ans », constate Trelig Mahé. Si le CLAPS est composé de bénévoles, nombre de ses membres, souvent trentenaires, travaillent dans ce milieu depuis longtemps. Une expérience qui leur a permis de monter ce projet et qui, espèrent-ils, réussira à le faire vivre.

     Vivre de ses activités, certes, mais lesquelles ? Les concerts tout d’abord. Point de départ du projet, la salle compte en proposer trois soirs par semaine. Elle peut accueillir jusqu’à 1 500 spectateurs. Plus de 80 % de la programmation serait à l’initiative d’associations musicales, sur le modèle de ce que propose par exemple le Jardin Moderne. Leur cible ? Les petites et moyennes associations, pour lesquelles les salles rennaises existantes sont souvent trop chères ou inadaptées. « Rennes est bien équipée en salles, mais il y a énormément de demandes. D’autant plus que les mastodontes mobilisent les grosses structures. La ville est victime de son succès », estime l’équipe. Un constat partagé par Béatrice Macé, co-directrice de l’association Transmusicales (ATM). « Rennes est une ville culturelle riche mais qui manque d’outils. Ce besoin de nouveaux lieux est justifié au regard de la diversité des associations et des expériences locales », estime-t-elle. « À l’Ubu [géré par l’ATM], on ne répond pas à toutes les demandes car on n’est pas en capacité de le faire », illustre la célèbre cofondatrice des Trans. Même son de cloche du côté de l’Antipode qui confirme être débordé par les demandes, malgré les 149 groupes de musique accueillis sur la saison. « Il y a une explosion de la pratique culturelle. J’explique ça, notamment, par une population jeune qui a un niveau culturel de plus en plus élevé, et des moyens de pratiques qui sont de plus en plus accessibles. C’est vrai en musique, mais aussi en danse, en arts visuels, en photographie… Le nombre de praticiens explose. Donc on a une demande extrêmement forte de lieux de rencontre », décrypte Thierry Ménager, le directeur de l’Antipode

     Béatrice Macé, qui accueille favorablement la naissance d’un lieu comme le CLAPS, pointe aussi le besoin de diversité au niveau des structures culturelles. Car des endroits comme le Jardin Moderne, l’Antipode ou l’Ubu fonctionnent dans un cadre contraint. « On est sur des lieux municipaux, conventionnés avec la Ville et subventionnés. On a donc un respect pointilleux de la législation. C’est un cadre de production spécifique », explique-telle. Sans compter les missions d’intérêt général dévolues à ces espaces (action culturelle, éducation artistique, etc.). « Il faut parier sur la complémentarité des structures. Ce maillage est essentiel », juge Béatrice Macé. Du côté du CLAPS, on se pose justement comme une structure intermédiaire pouvant compléter l’offre existante. Libéré des contraintes propres aux lieux subventionnés, il mise sur la location d’espaces en journée à des tarifs adaptés à son public. « Le lieu est entièrement modulable. Il est adapté pour des shooting photos, des tournages, des associations sportives, des événements d’entreprises… », énumère Benoit Valet. « On a d’ailleurs démarré notre référencement comme lieu de tournage ». Des revenus qui s’ajouteraient à ceux de son bar et de son petit restaurant.

     Au final, un lieu hybride s’inspirant à la fois du Parc des expositions, de la salle de la Cité ou encore du Jardin Moderne. « On veut mettre une structure pérenne au service de projets alternatifs », résume Benoit Valet. Un pari ambitieux, mais nécessaire.