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Dossier
#01
« Chacun doit rayonner sur son territoire »
RÉSUMÉ > Longtemps, les Brestois ont mal vécu le développement de Rennes. La capitale de la Bretagne faisait, disaient-ils, obstacle à la croissance de leur ville. Aujourd’hui, Brest, qui prépare ou mène à bien de nombreux projets urbains, économiques, touristiques, ne fait plus de complexe. Que Rennes et Nantes renforcent leur coopération, très bien ! Il faut simplement, dit le maire de Brest, François Cuillandre, que Rennes n’oublie pas qu’elle est la capitale historique et administrative de la Bretagne et qu’elle a des responsabilités particulières à son égard.

PLACE PUBLIQUE > Nantes et Rennes ont l’intention de renforcer leurs coopérations. Est-ce que cela vous inquiète ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Non, pas du tout ! La géographie est ce qu’elle est. Rennes est plus proche de Nantes que de Brest. Les Rennais vont plus facilement vers Nantes. Que ces deux villes collaborent, notamment au plan économique ou sur de très gros dossiers comme celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le transport ferroviaire, m’apparaît comme une chose normale. Simplement, ce que j’ai eu l’occasion de dire au maire de Rennes, c’est qu’il ne faut pas que Rennes oublie qu’elle est, en l’état actuel des choses, la capitale historique et administrative de la Bretagne et qu’elle a des responsabilités particulières  à son égard.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez des exemples qui montreraient que Rennes aurait oublié ses responsabilités ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Je suis partisan de relations apaisées entre les élus, entre les maires des grandes villes et plutôt enclin à ce qu’une collaboration existe entre nous. Mais nous sommes aussi en situation  de concurrence. Sur l’université, sur le système de santé, il peut arriver qu’on ne soit pas sur la même longueur d’onde. La question est alors de savoir comment on peut se mettre autour de la table. L’État, souvent n’attend qu’une chose : que l’on soit divisés.

PLACE PUBLIQUE > Vous pouvez vous expliquer  sur l’université ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > L’université de Brest, l’université de Bretagne occidentale (UBO) est présente à Quimper et un peu à Morlaix. Sa zone d’attraction doit normalement aller jusqu’à Lannion. Du coup elle peut se trouver en concurrence avec d’autres universités sur le thème : « Je suis étudiant en droit à Quimper mais je suis originaire du pays bigouden ; où vais-je aller après ma licence ? Où vais-je poursuivre  mes études.  À Brest, à Rennes, à Nantes ?»

PLACE PUBLIQUE > Cela veut-il dire que vous souhaiteriez une carte universitaire comme  il y a une carte scolaire ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Non, je n’ai pas dit ça ! On ne vit pas dans une  économie administrée. Nous ne sommes pas dans l’Albanie des années soixante mais dans un pays de liberté, notamment de mouvement. Il faut simplement qu’il y ait un certain consensus entre nous. Vue de Brest, la régionalisation est souvent perçue comme un facteur d’éloignement relatif, comme une recentralisation régionale. Avec une région Bretagne qui a une très forte identité mais aussi de très fortes particularités. L’une d’elles est la distance entre les deux grandes villes de la région. Ce que l’on constate parfois, c’est que la montée en puissance de la Région en tant que collectivité territoriale et de l’État en région, ça peut aboutir à un éloignement du processus de décision.

PLACE PUBLIQUE > Un exemple ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > La réforme des chambres de commerce. Elle pourrait aboutir à une fusion des chambres locales qui donnerait naissance  à une  chambre régionale. En gros, celle-ci serait l’organe de décision,  les chambres  locales se contentant d’appliquer et de gérer. On sait très bien qu’en Bretagne, la chambre régionale siégerait à Rennes,  même  si la chambre de Brest est aujourd’hui plus importante que celle de Rennes. Le risque, c’est que la future chambre régionale n’ait pas la même attention  pour les dossiers brestois. J’ai posé la question à des industriels  brestois : « Seraient-ils candidats  à une chambre régionale  qui siégerait à Rennes ? » Évidemment, non : ils ne vont pas passer leur temps sur la route…

PLACE PUBLIQUE > Vous avez des craintes. Mais aujourd’hui, les Brestois, si je vous suis bien,  ne maudissent  plus Rennes qui ferait obstacle au développement de la Bretagne occidentale
FRANÇOIS CUILLANDRE > Non,  non.  Nous ne jouons pas dans la même cour. Rennes, c’est deux fois Brest, Nantes quatre  fois. Mais si nous voulons une  Bretagne équilibrée, Brest doit se développer.  Le problème,  c’est qu’à force de tout régionaliser, Brest s’affaiblira si on n’y prend pas garde. Des idées ont été lancées sur un seul CHU par région. On sait très bien que ce ne sera pas à Brest qu’il sera, ce CHU  régional. On est parfois un peu irrité de tout cela.

PLACE PUBLIQUE > Ces dernières années, Brest a préparé ou mené à bien de nombreux  projets : la zone commerciale du Froutven  s’est ouverte à de grandes enseignes internationales, le port de plaisance du Château accueille ses premiers bateaux, les travaux du tram sont lancés, le nouveau quartier des Capucins va démarrer, on parle d’un nouveau stade, d’un Zénith…
FRANÇOIS CUILLANDRE > Oui et ça fait des années que ces projets ont été imaginés. Là où on est situé, si l’on ne se bat pas pour sortir des projets, on est mort. Regardez Océanopolis : c’est 450 000 visiteurs par an à la pointe de la Bretagne. Ça n’est pas venu tout seul ! C’est le résultat de l’action conjointe des chercheurs, des élus… Ici rien n’est simple. Rien ne sort de terre tout seul. Il faut toujours se battre.

PLACE PUBLIQUE > Brest peut s’en sortir toute seule ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > La marine est toujours très présente et c’est bien. Entre 15 000 et 16 000 personnes, civils et militaires, dépendent directement du ministère de la Défense.  On est quand  même  loin de la caricature que certains donnent de Brest : des pompons rouges dans la rue de Siam. Heureusement nous nous sommes diversifiés. Brest c’est la Marine, certes, mais aussi, par exemple,  tout ce qui touche  à l’océanographie. La diversification est une réalité.

PLACE PUBLIQUE > Les coopérations  nouées avec d’autres villes de l’Ouest vous ont-elles apporté quelque chose ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Le Réseau métropolitain Loire-Bretagne ? On  ne peut pas dire que ça ait bien fonctionné. Il aurait fallu pour cela que l’on soit d’accord sur les objectifs. Ça n’a pas forcément  été toujours le cas. Un bon objectif aurait été par exemple  que nous parlions d’une seule voix face à l’État qui se nourrit de nos différends. Mais les villes restent malgré tout en situation de concurrence.

PLACE PUBLIQUE > Il a existé aussi un réseau des villes de l’extrême Ouest qui réunissait Brest, Quimper, Morlaix et Lannion.
FRANÇOIS CUILLANDRE > C’est au point mort depuis les dernières élections municipales…

PLACE PUBLIQUE > Même avec Quimper ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > (Silence)… Un rendez-vous est prévu [NDLR : avant la fin de juin].

PLACE PUBLIQUE > Vous n’avez pas l’air d’y croire…
FRANÇOIS  CUILLANDRE > Nous avons les mêmes préoccupations. Il est indispensable que les maires des villes de l’Ouest se rencontrent pour échanger sur leurs problèmes, sur leurs relations avec l’État, sur leur tissu économique… Mais regardez, il existe des réseaux plus larges encore. Dans le domaine de la santé, par exemple, le réseau Hugo (Hôpitaux universitaires du Grand Ouest) réunit les hôpitaux de Brest, Rennes, Nantes, Angers, Tours et Orléans. L’an dernier, on nous a reproché de ne pas avoir participé à des réunions de ce réseau pour justifier la suppression de notre service de neurochirurgie pédiatrique. Les médecins ont justement répondu qu’ils devaient d’abord s’occuper de leurs malades. Bien sûr, nos CHU doivent collaborer. Ils sont dans une situation financière difficile. Des rationalisations sont indispensables. Mais on peut imaginer  que tel service soit basé à Brest et pas toujours  à Rennes,  que tout ne se fasse pas toujours  à sens unique. Ici, par exemple, la prévalence du cancer est bien plus forte que dans le bassin rennais. Il serait donc normal que l’ARH y porte une attention  plus grande.

PLACE PUBLIQUE > C’est le cas pour la mucoviscidose. Brest est un centre de recherche qui fait référence.
FRANÇOIS CUILLANDRE > Ça résulte parfois d’histoires et de fortes initiatives individuelles.  Le jour où le professeur Claude Férec partira à la retraite, je serai curieux de voir ce qui se passera…

PLACE PUBLIQUE > Brest Métropole  Océane, ça veut dire quoi pour vous ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Métropole,  ça signifie dans l’esprit des gens grande ville, très grande ville. Or je pense que ce n’est pas d’abord une question de seuil de population mais de fonctions. Les fonctions métropolitaines de Brest, c’est le CHU,  avec une  zone d’attraction qui couvre l’Ouest breton, au-delà du Finistère, c’est l’université, ce sont toutes les fonctions liées à la mer et à l’océanographie, c’est la culture.  Le Quartz  recrute  des spectateurs  de Morlaix, de Saint-Brieuc, de Quimper. Toutes ces fonctions dont l’usage dépasse le territoire  de Brest font la métropole de Brest. Il faut les soutenir. Il est anormal par exemple  que la subvention  d’équilibre  du Quartz  soit versée uniquement par la ville de Brest alors que les spectateurs viennent  de beaucoup plus loin. Une métropole n’assèche pas son territoire. C’est l’inverse. Brest porte un territoire. Brest assure un développement équilibré de la Bretagne qui ne se résume pas au face à face de Rennes et Nantes.

PLACE PUBLIQUE > Brest ne se fait donc aucun complexe ?
FRANÇOIS CUILLANDRE > Aucun ! Ni de supériorité, ni d’infériorité. On est toujours le petit ou le gros de quelqu’un. Brest est peut-être vis-à-vis de Rennes ce que Rennes est vis-à-vis de Nantes ou de Paris. Chacun  doit rayonner sur son territoire.