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Dossier
#01
Mettre en réseau
des métropoles
pour s’adapter
à la globalisation
RÉSUMÉ > La mondialisation rend nécessaire le rapprochement de Nantes et de Rennes qui ne sont que des villes moyennes à l’échelle européenne. La vie n’a d’ailleurs pas attendu pour que se multiplient les échanges entre les deux villes. Mais il faudra que leurs bassins d’emplois soient reliés par une ligne ferroviaire à grande vitesse pour que naisse un sentiment d’appartenance à un même bassin de vie.

     La mondialisation place les métropoles  dans une logique de compétition et de coopération. Cela  n’est pas sans conséquence sur l’organisation spatiale du territoire, notamment sur la hiérarchisation de son armature urbaine. Les métropoles de premier rang endossent ainsi une responsabilité singulière du fait de leur capacité à s’imposer dans la concurrence pour capter, conserver et diffuser les activités créatrices de valeur ajoutée et d’emplois. Elles se doivent d’investir pour élever l’attractivité et la performance d’un territoire qui les dépasse en séduisant les talents qui viennent chaque jour, de plus en plus nombreux, respirer « l’oxygène de la ville », vivre le « frottement urbain » facteur d’échanges, d’enrichissement et finalement de coopération.

Les aires d’influence économique de Rennes et de Nantes

     Les métropoles et les grandes villes constituent ainsi de véritables « lieux de commutation des flux et des relations » comme le souligne Pierre Veltz 1, des carrefours d’une activité toujours plus volatile et immatérielle. Leur mise en réseau est la réponse  adaptée  à l’évolution de l’organisation des entreprises, à la globalisation de l’économie,  à l’explosion de la mobilité  des ménages  dans une société contemporaine de plus en plus nomade.
     Dans ce contexte, le rapprochement de Nantes et de Rennes,  respectivement classées parmi 180 villes européennes  2, 54e dans la catégorie des grandes villes à potentiel européen et 65e dans celle des villes d’importance nationale  confirmée,  n’est pas qu’une affaire de « masse critique ». Il est également affaire de « qualité critique ». Certes, les deux aires urbaines pèsent ensemble  près de
     1,4 million d’habitants, 550 000 emplois salariés et 106 000 étudiants, mais, au-delà de cette simple addition, ce sont les synergies créées pour hisser les fonctions métropolitaines de l’ensemble du Grand Ouest qui sont en jeu.
Véritable moteur du développement régional, les deux métropoles s’inscrivent dans une armature urbaine dense composée  de nombreuses villes moyennes  qui contribuent à diffuser l’offre métropolitaine (accessibilité à l’international, enseignement supérieur et recherche, plateforme technologique, services de haut niveau) qui se délocalise depuis l’Ile de France notamment.

     Au cœur de cette dynamique, les intercommunalités de Nantes avec 600 000 habitants dans 24 communes et de Rennes avec 400 000 habitants dans 36 communes, se sont engagées dans des projets urbains  ambitieux  afin d’améliorer leur « qualité de ville », principal facteur d’attractivité.
     Dès 1985, Nantes se dotait d’une première ligne de tramway, rapidement suivie de deux autres et complétée en 2006 par une quatrième en « busway », créant l’effet réseau structurant la performance du transport collectif dans l’agglomération. Au début des années 1980 Rennes s’engageait à son tour dans un projet de métro dont le succès de la ligne A l’encourageait à poursuivre et à programmer une seconde ligne pour 2018.
     Aujourd’hui, les deux métropoles  se préparent  à l’échéance 2015 qui verra simultanément l’aboutissement du prolongement de la ligne TGV Atlantique mettant le Finistère breton à trois heures de Paris et à moins de deux heures de Rennes et l’ouverture de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui viendra achever l’inscription du Grand  Ouest dans les réseaux de communication européens.
     Dans l’élaboration de leur stratégie de développement, Rennes et Nantes relèvent toutes deux les mêmes grands défis de demain : celui de maîtriser une  croissance urbaine forte, consommatrice d’espace et d’énergie et celui consistant  à ancrer  solidement  leur trajectoire  économique dans le triangle vertueux de la connaissance formé de l’enseignement supérieur,  de la recherche et de l’innovation.
     Enfin, les deux métropoles,  conscientes  des charges que leur confèrent  leur centralité,  doivent poursuivre leur effort de consolidation du pacte communautaire tout en s’ouvrant aux grands territoires au sein desquels elles rayonnent  et diffusent.
     C’est dans ce cadre que l’engagement d’une coopération renforcée entre Rennes et Nantes prend tout son sens et sa légitimité. Charles Gachelin 3 avait coutume de qualifier les villes de métropolitaines à partir du moment où elles dépassaient le million d’habitants. Pour ce géographe de l’université de Lille, c’est à ce moment-là qu’apparaissent et se développent les fonctions métropolitaines rares qui les inscrivent dans les réseaux internationaux. Leur marché atteint une taille critique, leurs spécificités deviennent des excellences à l’échelle européenne et les ouvrent à l’économie-monde. Au service de leur territoire, elles diffusent informations et innovations, stimulant le développement régional.

     La vie n’a pas attendu que les territoires créent l’environnement le plus performant possible pour que se multiplient les relations et se développent les activités. Les échanges entre les deux métropoles se comptent déjà par plusieurs milliers. En moyenne, 7 000 déplacements par jour font de l’axe routier Rennes/Nantes le troisième axe des deux régions en termes d’intensité des relations, derrière Nantes/Saint-Nazaire et Rennes/Saint-Malo. Entre 1999 et 2007, ces déplacements ont connu une progression de 50 % contre à peine 20 % pour ceux réalisés entre les métropoles et Paris.

     Plus que les chiffres, la nature de ces échanges quotidiens reflète la dimension économique de la relation métropolitaine  Rennes/Nantes. Les déplacements pour motifs professionnels dominent l’essentiel des flux de voyageurs, loin devant les déplacements entre domicile et travail ou les déplacements liés aux achats et aux loisirs. Ce fort développement des échanges  professionnels  s’explique  avant tout par le rapprochement progressif des deux marchés, en particulier  dans les services de conseil assistance, dans la recherche, l’immobilier, le commerce ou les travaux publics.
     Les échanges entre les deux tissus économiques s’amplifient. Chacune des deux métropoles  connaît  un dynamisme  économique flatteur. Pour de nombreux  secteurs d’activités, le marché  est trop petit, forçant les entreprises à développer simultanément leurs activités sur les deux pôles métropolitains. C’est le cas, par exemple, de la société de services informatiques Sodifrance  dont le siège social est basé à Saint-Grégoire, près de Rennes et le principal  centre  de recherche et développement, au nord de Nantes. Son PDG résume ainsi les logiques entrepreneuriales à l’œuvre entre les deux métropoles : « Les entreprises  locales comme  Sodifrance  raisonnent en termes de marché,  c’est la priorité. Qu’elles soient de Rennes ou de Nantes, dès qu’elles doivent étendre  leur clientèle,  elles choisissent prioritairement de s’installer dans l’autre ville avant de s’installer ailleurs en France. Il est clair que les interactions  entre les deux tissus économiques s’amplifient, car ils sont à proximité immédiate. » Actuellement, plus de 300 sociétés nantaises et rennaises s’appuient sur une double implantation. La création d’agences locales vise à satisfaire une clientèle nécessitant un maximum de proximité. Mais la majorité des échanges économiques se réalise dans le cadre de marchés ponctuels conclus dans la métropole voisine. L’ensemble des secteurs d’activités est concerné et en particulier les grands chantiers d’infrastructures publiques. À Rennes, sur les 150 entreprises de gros œuvre génie civil ayant participé à la construction de la première ligne de métro, 52 sont rennaises, 22 sont nantaises, et 20 sont parisiennes.  À Nantes, une entreprise  sur dix ayant participé à la construction de la ligne de Busway était originaire de la région rennaise.
     Les collaborations dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation font partie aujourd’hui du quotidien. Les acteurs intéressés sont unanimes sur la nécessité d’atteindre une  lisibilité internationale  pour la plupart  des structures  universitaires et scientifiques rennaises et nantaises. Ne pas y parvenir aurait des conséquences dommageables sur la qualité et les moyens de la recherche. Aussi, les acteurs rapprochent leurs compétences scientifiques,  misent sur la complémentarité, mutualisent les coûts des équipements lourds. Les trois universités de Nantes, Rennes I et Rennes II ont récemment mis en place des partenariats étroits dans l’offre de formation,  les systèmes d’information ou les publications universitaires, avec l’appui du réseau des universités de l’Ouest-Atlantique. Six masters communs ont ainsi été créés dans les domaines  des nanosciences, de l’archéologie, du droit, de l’agro-santé ou de la chimie.
     En  matière  de recherche publique, la relation Nantes/Rennes affiche la plus forte intensité de collaborations du Grand Ouest. Elle joue un double rôle moteur et de tête de réseau dans de nombreuses organisations scientifiques d’initiative publique tels que Biogenouest, le cancéropôle Grand Ouest, le Pôle Agronomique Ouest ou Hugo (réseau des CHU  du Grand Ouest)

     Dans la recherche contre  le cancer  par exemple,  le Grand Ouest ne polarise que 8 % des chercheurs français, contre  14 % pour les régions Provence  Côte  d’Azur et 50 % pour l’Ile de France. Cette prise de conscience a entraîné une volonté forte des décideurs  et chercheurs locaux de fédérer les équipements scientifiques  et des thèmes de recherche, avec l’objectif de rayonner davantage. Le cancéropôle Grand Ouest est ainsi né en 2001, autour d’une organisation polycentrique des équipes de recherche, de Brest à Orléans, en passant par Angers et Tours « mais le réseau ne peut vivre sans l’épine dorsale Nantes/Rennes où la densité d’équipes de recherche est de loin la plus importante », rappelle le coordonnateur nantais du cancéropôle qui souligne l’importance du duopole Rennes/Nantes dans la constitution de ces réseaux.

     Depuis  2006, les huit grands pôles de compétitivité créés dans le Grand Ouest ont permis d’élargir significativement les collaborations dans le domaine de l’innovation entre les deux métropoles. Près de 15 % des projets labellisés par les pôles affichent des collaborations entre des partenaires rennais et nantais dont l’intensité, la plus forte du Grand  Ouest  est comparable à celle de l’axe Rennes/Brest. Près de 70 entreprises et structures de recherche publique rennaises et nantaises collaborent, au sein de 28 projets labellisés par les pôles de compétitivité.
À n’en pas douter, toutes ces coopérations  scientifiques et institutionnelles participent, au même titre que les échanges  économiques, à rapprocher les deux métropoles dans l’espace vécu des Nantais et des Rennais.

     Mais le rapprochement des deux bassins d’emplois suffit-il à donner le sentiment d’appartenance à un même grand territoire ? Car pour faire grand territoire,  il faut une communauté d’intérêt difficile à décréter ex nihilo, il faut des lieux symboliques et des événements dans lesquels ses occupants  se reconnaissent.
     La réalisation du futur aéroport de Notre-Dame-desLandes à moyen terme,  celle d’une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant les deux pôles métropolitains rennais et nantais à plus long terme, devraient contribuer à forger progressivement l’identité de ce grand territoire.
     En attendant, l’éloignement relatif des deux pôles urbains et les nombreuses contraintes  que cela implique empêchent les actifs navetteurs  de considérer  l’espace Nantes/Rennes comme  un bassin de vie unique. Leur vécu clive la « ville du domicile » et la « ville du travail », avec un sentiment fort d’appartenance à la première,  pivot de la vie sociale, dont l’expression « ma ville » traduit bien la réalité.
Ils témoignent de l’absence d’attachement, de liens à la ville où ils travaillent (peu d’achats, peu de réseaux d’amis, peu de pratiques culturelles…), tandis que la ville de résidence est associée au bien-être et regagnée au plus vite après la journée de travail :
     « Le soir, je ne reste pas ici, je pars tout de suite. Je ne suis jamais resté une heure après mon travail pour faire mes courses ou me divertir. Je n’ai qu’une envie, c’est de me poser dans le train, lire mon journal peinard, et d’arriver chez moi » nous déclare l’un d’entre eux.
     Même si les navetteurs acceptent un temps de trajet domicile-travail de plus d’une heure et demie, qu’il soit effectué en train ou en voiture, les contraintes personnelles (fatigue, usure, coût) et familiales (réorganisation des rôles, absence) sont telles qu’ils n’envisagent la mobilité professionnelle  entre les deux agglomérations  que transitoirement, avec l’objectif à moyen terme de retrouver du travail dans leur ville de résidence.
     La construction d’une véritable colonne  vertébrale interrégionale autour d’une ligne ferrée à grande vitesse reliant Nantes et Rennes via Notre-Dame-des-Landes et ouverte sur le réseau des TGV en direction  de la Bretagne et Caen au nord et de Bordeaux et Poitiers au sud, pourrait constituer l’amorce d’un véritable projet d’aménagement du territoire de l’Ouest lisible à l’échelle internationale.
     Quoique lointaine, cette perspective qui permettrait de relier les deux centres villes en 30 à 45 min trouve un écho auprès de l’ensemble des acteurs et habitants qui pratiquent  le grand territoire Nantes/Rennes. En favorisant la mobilité, de nouveaux horizons de développement se dessineraient, capables de soutenir l’attractivité des deux métropoles comme  de leurs régions respectives pour de nombreuses années.
     « Une ligne ferroviaire rapide entre les deux villes ? C’est un projet qui va de soi. Les difficultés de circulation à l’entrée de Nantes  mais aussi de Rennes  à certaines heures commencent à devenir problématiques. D’autre part, il permettrait  de rapprocher significativement  les deux bassins d’emplois. On pourrait  dès lors envisager un marché des cadres unifié si les déplacements domiciletravail n’excèdent pas une  heure.  Cela  serait très utile pour attirer les couples bi-actifs qualifiés qui arrivent de plus en plus nombreux  dans la région, en particulier  en provenance de l’Ile de France », nous signifiait récemment un conseiller en ressources humaines installé à Bain-de-Bretagne. Vaste programme !