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Histoire & Patrimoine
#28
Charles Foulon, une vie d’engagement(s)
RÉSUMÉ > Militant socialiste, résistant, syndicaliste, défenseur des droits de l’homme, l’universitaire Charles Foulon (1912-1997) a marqué de son empreinte l’espace politique rennais durant un demi-siècle. Son parcours est indissociable des combats des intellectuels de gauche de son temps. L’historien François Prigent éclaire l’itinéraire de ce Rennais engagé, qui a donné son nom à une avenue de la ville et à une bibliothèque de l’Université de Rennes 2, inaugurée en 2012. Apposée sur les murs de celle-ci, une citation symbolise une vie d’engagement(s) : « Puisse notre cité ne pas oublier cette conscience qui éclaire et anime ».

     Le parcours de Charles Foulon est rythmé par une succession d’engagements partisans nourris par la fidélité à différentes expressions politiques des mouvances socialistes : dans les années 1930 au sein des Jeunesses socialistes (JS) aux côtés de Tanguy Prigent, futur ministre de l’agriculture sous la IVe République ; dirigeant fédéral minoritaire de la SFIO d’Ille-et-Vilaine à la Libération ; secrétaire national d’un noyau socialiste dissident en 1948 puis compagnon de route du PCF en 1956 ; figure charismatique de l’Union de la gauche socialiste (UGS) et du PSU rennais dans les années 1960. Durant la guerre, son itinéraire est aussi marqué par un engagement fort au sein de la Résistance, en tant que responsable du réseau Libération- Nord puis secrétaire du Comité départemental de libération (CDL) d’Ille-et-Vilaine (1944-1946).

De Brest à Rennes, un universitaire dans la cité

     Charles Foulon naît en août 1912 à Marseille, où son père, Adolphe Foulon, officier de port originaire du Finistère, s’était installé. Cadet d’une famille de 8 enfants, il est élevé à partir de 1917 par sa mère Émilie Derrien, couturière vivant seule, à Brest. Boursier, il fait ses études primaires et secondaires dans les écoles laïques de la ville, fréquentant le patronage laïc de Recouvrance. Produit de la méritocratie scolaire, pilier de la IIIe République, Charles Foulon entre en 1929 à la Faculté des Lettres de Rennes. Agrégé de grammaire avant ses 21 ans -- plus jeune agrégé de France —, il occupe successivement les postes de professeur de première au lycée de Brest (1933- 1939 et 1940-1941) puis de professeur de première au lycée de Rennes (1941-1942). Chargé de cours de langue et littérature médiévale (1942-1945), puis de langue et littérature française moderne (1945-1947), il entame une carrière universitaire, comme assistant à la faculté de lettres de Rennes, puis professeur titulaire de la chaire de langue et littérature française anciennes en 19541. Deux de ses frères embrassent par ailleurs la carrière professorale (directeur d’un cours complémentaire et professeur de lycée), sa soeur normalienne étant institutrice, avant de se cloîtrer chez les clarisses en 1937.

Des Jeunesses socialistes au Comité départemental de libération

     Adhérant dès 1933 à la SFIO, Charles Foulon occupe les responsabilités de secrétaire fédéral des Jeunes socialistes du Finistère entre 1935 et 1940, contribuant à fonder 17 groupes de JS au sein d’une fédération dynamique dirigée par Guy Le Normand, conseiller général de Morlaix depuis 19372. Dirigeant national des JS, il intervient lors de la conférence des JS à Toulouse en avril 1939 sur des positions résolument antifascistes.
    Au plan syndical, Charles Foulon est membre du bureau du syndicat cégétiste des professeurs du lycée de Brest (1937-1939). Au Collège du Travail de la Maison du Peuple de Brest, il assure des cours d’histoire du travail et du mouvement ouvrier. Franc-maçon, il est membre du Grand Orient de France. Il est initié dans la loge des « Amis de Sully » à Brest en 1935, accédant au grade de maître en 1938.
    Durant la seconde guerre mondiale, Charles Foulon rejoint le réseau de résistance Libération-Nord, et il seconde Tanguy Prigent dans la reconstitution de l’organisation socialiste clandestine. Arrêté le 7 février 1942 par la Gestapo, à la suite du démantèlement d’un réseau de renseignement gaulliste (réseau Johnny), il est interné à Angers et à Fresnes, avant d’être relâché fin mars 1942. Membre du Comité départemental de libération (CDL) d’Ille-et-Vilaine au titre de Libération- Nord, Charles Foulon en devient le secrétaire général dans la clandestinité au printemps 1944, après l’arrestation de l’ancien conseiller d’arrondissement SFIO Honoré Commeurec, mort en déportation. Il conserve ces fonctions jusqu’en 1946.

Épuration et unité d’action : l’empreinte de la Résistance

     Rapporteur de la commission d’épuration de la SFIO, il intervient au nom des fédérations bretonnes lors du congrès qui reconstitue la SFIO en novembre 1944 sur l’épuration, le problème économique et financier ainsi que le problème industriel et agricole. Il rapporte aussi les décisions de la commission chargée d’étudier le cas des anciens parlementaires, se révélant intransigeant visà- vis de la figure de la SFIO à Saint-Nazaire, François Blancho, en raison de son vote du 10 juillet 1940 accordant les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Au conseil national de la SFIO du 20 mai 1945, il invite ses camarades à renforcer l’unité de la résistance et de la gauche et à rompre avec la droite (les démocrates-chrétiens du MRP au temps du tripartisme). Il siège à la commission chargée d’examiner les comptes du Populaire au congrès national d’août 1945, préside une séance et défend une motion fédérale demandant la reprise des pourparlers d’unité organique avec le PCF. À la conférence des présidents de CDL du 26 octobre 1945, il réclame, comme Emmanuel d’Astier de La Vigerie, député apparenté communiste d’Ille-et-Vilaine3, une épuration plus radicale, la suppression de la Direction générale des études et recherches (DGER), organe de renseignements qu’il qualifie « d’organisme de lutte contre les membres de la Résistance » et propose une motion en faveur des « camarades indochinois » arrêtés à Paris. Au conseil national de juin 1946, disant parler au nom de ceux qui se sentaient « plus près des communistes que du MRP », il dénonce violemment ce dernier comme « le masque de la réaction en Bretagne » (…) « pas seulement le cléricalisme, il représente également et à coup sûr le capitalisme ».

     Secrétaire fédéral à la propagande pour l’Ille-et-Vilaine de 1945 à 1947, il épaule dans l’organisation de la vie partisane le secrétaire fédéral Eugène Quessot, conseiller général depuis 1919 et conseiller de la République entre 1946 et 1948. Il figure en seconde position de la liste SFIO lors des législatives de juin 1946 (19.4 %) et novembre 1946 (17.2 %), derrière Albert Aubry, député jusqu’à son décès en 1951. Rédacteur de nombreux éditoriaux et articles dans L’Aurore Socialiste, Charles Foulon apparaît déphasé avec les orientations globales de la SFIO, voulant tisser des liens unitaires avec le PCF dans la continuité de son action pour préserver l’unité des mouvements de résistance.
    Membre de la Bataille Socialiste en 1947, il refuse le passage du tripartisme aux alliances de Troisième force. Exclu le 15 janvier 1948 (sans que la direction nationale n’en avertisse les socialistes rennais), il adhère au Mouvement socialiste unitaire et démocratique puis au Parti socialiste unitaire, dont il devient le premier secrétaire national en 1948. Son départ accélère la rétraction profonde du milieu partisan aussi bien en termes d’effectif que d’élus : la SFIO qui compte deux parlementaires et trois conseillers généraux en 1948, n’a plus aucun élu de premier plan en 1951.

     En novembre 1954, Charles Foulon est membre du comité directeur du Parti socialiste de gauche, structure partisane minoritaire à la base militante étroite. Socialiste unitaire, son rapprochement avec le PCF entamé en 1948 se poursuit jusqu’au début des années 1960. Il figure en 3e position sur la liste d’Unité républicaine et progressiste, présentée par le PCF en janvier 1956, en compagnie du chrétien progressiste Henri Denis, directeur de Ouest-Matin4. Cette liste qui obtient 11.33 % n’a aucun élu, au contraire de la SFIO (7.14 %), Alexis le Strat, adjoint d’Henri Fréville dans la municipalité rennaise de Troisième Force, devenant député grâce aux apparentements contractés avec le MRP et les radicaux.
    Secrétaire fédéral de l’Union de la gauche socialiste (UGS), Charles Foulon est suppléant en novembre 1958 du candidat communiste Émile Guerlavas, secrétaire de l’Union Locale CGT de Rennes et secrétaire fédéral du PCF. Dans la circonscription de Rennes Sud, le duo obtient 14.3 %, distancé à gauche par le tandem SFIO Alexis Le Strat et Roger Chambrelan (16.8 %).
    En 1960, Charles Foulon entre au PSU avec son puissant réseau de socialistes unitaires, opposés à la SFIO et méfiants vis-à-vis du PCF. Bénéficiant du relais de son suppléant Albert Renouf, cheminot qui fait partie de la direction départementale de la CGT6, Charles Foulon se présente sous l’étiquette PSU aux législatives de 1962 dans la circonscription de Rennes Nord, recueillant 11.93 %. Il dépasse le score du duo radical (Prudent Porée, ancien conseiller général et leader de la FOL) et socialiste (Marcel Biétry, adjoint SFIO à Rennes) en 1958.
    À partir de 1963, Charles Foulon devient secrétaire fédéral du PSU, à la suite de Pierre Le Coadic, professeur de lycée impliqué dans les filières laïques. Candidat du PSU dans le canton de Rennes Nord-Ouest, il améliore de façon continue son score : en 1961 (7.35 %), en 1963 (9.01 %), en 1964 (9.75 %) et surtout en 1967 (22.08 %).
    Délégué du comité Mitterrand en Ille-et-Vilaine lors des présidentielles de 1965, il figure sur la liste du PSU aux municipales à Rennes, qui n’a pas d’élu. En 1967, Charles Foulon obtient 31.9 % au second tour des législatives, sous l’étiquette PSU. En 1968, il recueille 9.17 %, toujours avec Albert Renouf comme suppléant.

     En 1968, ce militant du SNES-Sup passe le relais à la tête de la fédération PSU à Pierre-Yves Heurtin, symbole du renouvellement des réseaux militants à la suite du mouvement de mai 1968 à Rennes notamment. En effet, le milieu partisan est profondément renouvelé, en raison de l’entrée en militance de la génération née après 1945 et de l’intégration des matrices militantes chrétiennes, en voie de décrochage du bloc conservateur et clérical.
    Trésorier de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) à la fin des années 1930 à Brest, Charles Foulon devient président de la section Saint-Malo-Côte d’Émeraude de la LDH en 1965. Dans les cercles militants de la LDH, il côtoie la femme de l’universitaire communiste, Serge Villeret. Entre 1971 et 1981, il est membre du comité central de la LDH, organe dirigeant national mené par Daniel Mayer.
    Depuis 1997, année de sa disparition, la section LDH de Rennes porte le nom de Charles Foulon. Extrêmement riches, ses papiers, notes et manuscrits ont été déposés aux archives municipales de Rennes.
    De culture protestante, cet universitaire engagé dans la cité présente un parcours militant caractérisé par le multipositionnement dans de nombreuses filières syndicales, laïques et associatives : SNESup, LDH, francmaçonnerie… L’intensité de ses pratiques militantes découle du refus du fascisme pendant une période décisive, propice aux engagements d’une vie, à l’image d’une génération socialiste ressourcée par la Résistance.
    Par cette conception du politique, au sens des affaires de la cité, Charles Foulon s’apparente bien à un « professeur- citoyen » dans la lignée des intellectuels engagés qui ont façonné l’histoire rennaise, tel Victor Basch.