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Histoire & Patrimoine
#28
Jean-Gérard Carré, l’architecte des logements sociaux
RÉSUMÉ > L’architecte rennais Jean-Gérard Carré (ci-contre), né en 1926, a accompagné la métamorphose de la ville au cours des Trente Glorieuses. Il a participé aux trois grands programmes de logements sociaux de la ville, à Villejean, Maurepas et dans la ZUP Sud. À sa retraite, en 1991, ce véritable bâtisseur a déposé tous ses documents professionnels aux Archives municipales de la ville. Une mine d’informations pour saisir les enjeux de l’urbanisation rennaise à cette époque.

     Au terme de 37 années d’exercice professionnel, Jean-Gérard Carré peut sans nul doute être considéré comme un bâtisseur rennais. Sa carrière, ou plutôt « leur » carrière, tant il associe volontiers son épouse Anne-Marie à ses travaux, aura largement contribué à modifier l’urbanisme de la cité bretonne d’après-guerre. Sous sa conduite, c’est en effet l’équivalent en surface construite de 12 000 logements qui sera sorti de terre.
    Mais au terme de sa carrière, ce qui distingue l’architecte de ses confrères, c’est la destination de ses documents professionnels. En effet, anticipant sa retraite de deux années, il prend l’attache de mon anteprédécesseur, Annette Le Goff, dès 1989, afin d’envisager le dépôt des archives de son cabinet depuis son installation. Ce contact sera concrétisé avec le transfert effectif des dossiers en 1990. L’inventaire qui suivra1 donnera lieu à une remise officielle par les mains du maire Edmond Hervé le 19 septembre 1994.
    Par cet acte, le premier dépôt de papiers professionnels d’un architecte aux Archives de Rennes, Jean-Gérard Carré s’inscrit dans un mouvement national alors naissant au niveau local. Il sera suivi par Michel Marty et Jean Denieuil2 ou encore Georges Maillols3 quelques années plus tard. Ces entrées sont d’ailleurs concomitantes avec la création, en 1990, de l’association Archives modernes d’architecture en Bretagne présidée à ses débuts par Daniel Le Couédic.

Une carrière marquée par le logement social

     Rennais depuis son enfance - il est né le 20 août 1926, Jean-Gérard Carré est le fils d’un ingénieur des travaux publics de l’État. Élève de l’école d’architecture de la rue Hoche, il aura pour chef d’atelier Jean Monge, lui-même élève de Louis Arretche4, avant d’être le collaborateur de l’agence d’Albert Hec. Pour Jean-Gérard Carré, la famille, comme la collaboration étroite avec son épouse en témoigne, sera toujours une valeur chère : son premier chantier en fait une démonstration supplémentaire. C’est en effet sa soeur qui lui confie sa première réalisation en 1954, une maison particulière au 30 de la rue Alexandre-Duval.
    La collaboration avec Albert Hec lui apportera ses premiers chantiers d’ampleur dans le domaine du logement social, auquel il consacrera de nombreuses réalisations. Il est ainsi chargé de la construction d’immeubles HLM à Belleville et Cleunay (1955-1959). Le décès prématuré d’Yves Lemoine (1898-1958), dernier architecte de la Ville5, entraîne la régularisation de sa succession administrative par Albert Hec. Les affaires en cours ne manquent pas : Alma, La Touche, Pontchaillou, sans oublier le nouveau quartier de Maurepas. Ce dernier chantier, un des premiers secteurs industrialisés de France, s’inscrit dans les problématiques aiguës de logement au sortir de la guerre. La réalisation de grands ensembles, usant de procédés de préfabrication avec commandes groupées de fournitures, est alors le moyen de répondre rapidement à une demande soutenue.
    Dans le prolongement de cette grande opération, Jean-Gérard Carré est sollicité dès 1959 par l’office municipal HLM sur le Gros Chêne, en association avec le cabinet Legrand-Rabinel, pour la réalisation de quelque 1 500 logements. L’enjeu est également d’offrir une palette de services à proximité de ces nouvelles habitations : commerces, centre social, foyer des jeunes travailleurs, salles de loisirs et locaux associatifs participent à l’avènement de locaux collectifs résidentiels (LCR). Cette expérience réussie l’amènera à poursuivre sa collaboration avec l’office municipal pour la zone à urbaniser en priorité (ZUP) de Villejean. Ce programme très varié lui permettra de répondre à différentes commandes : logements étudiants, foyer pour personnes âgées, résidences universitaires, etc. D’un point de vue technique, ce sera l’occasion de poursuivre l’utilisation de procédés de préfabrication lourde après le succès du Gros Chêne.
     Rare architecte à avoir oeuvré pour les trois grands ensembles de logements sociaux de Rennes, Jean-Gérard Carré participera à l’urbanisation de la dernièrenée, la ZUP sud, en y construisant plus de 2 000 logements. L’occasion d’innover encore côté technique puisque la préfabrication lourde employée à Villejean laissera la place à un système mixte favorisant l’utilisation de panneaux de façade plus légers. Par ailleurs, Jean-Gérard Carré prolongera ses réalisations dans la ZUP sud sur le mode pavillonnaire avec le programme du « Hameau Fleuri ».

     Aux côtés de ces réalisations périphériques, plusieurs chantiers vont occuper l’architecte en centre-ville. Le plus emblématique, le Colombier, sera conduit par l’un de ses maîtres, Louis Arretche, désigné urbaniste conseil par la Ville. Première réalisation dans le cadre d’une commande privée, ce ne sera pas pour autant la dernière. On relèvera parmi celles-ci le « Castel Saint- Martin », résidence de prestige, construite en 1968 à l’emplacement de l’ancien hôtel de l’Enregistrement, lui-même conçu par un illustre prédécesseur, l’architecte des halles Jean-Baptiste Martenot. Il contribue également à la réhabilitation de la rue de Brest avec deux résidences : « Les Lys » et « Les Rives de l’Ille ». Enfin, il participe plus récemment à l’aménagement de zones d’aménagement concerté (ZAC) comme Patton, Les Longs-Champs ou encore La Poterie.
    Mais la présentation de Jean-Gérard Carré ne serait pas tout à fait complète si l’on occultait ses nombreuses réalisations en tant qu’architecte régional des postes et télécommunications (PTT). La démocratisation du téléphone aidant, des bâtiments se devaient d’accueillir infrastructures et personnels oeuvrant pour ces technologies en vogue. Le Centre commun d’études de télévision et télécommunications (CCETT) des buttes de Coësmes à Cesson-Sévigné lui doit son nouveau siège investi à partir de 1983. C’est entre ces murs notamment que sera perfectionné le Minitel expérimenté dès 1980.

     C’est l’histoire de toutes ces réalisations et de bien d’autres que retracent les 194 mètres linéaires de boîtes aujourd’hui conservées sur les rayonnages des Archives de Rennes. De 1954 à 1991, Jean-Gérard Carré, son épouse et leurs collaborateurs ont ainsi, à leur manière, contribué au visage de la ville actuelle. Sans ces documents, c’est un pan de notre histoire locale qui nous échapperait. La beauté de ce geste mérite d’être explicitée par son auteur lui-même, avec modestie comme à son habitude : « Si ce dépôt a été le premier du genre en Bretagne, je constate, avec plaisir, que la profession commence, un peu partout, à archiver ses dossiers dans les diverses conservations où quelques curieux viendront un jour fouiller parmi ces données, pour retrouver ce que fut la construction de cette moitié du 20e siècle, et en particulier la période des Trente Glorieuses de l’après-guerre où les besoins quantitatifs furent satisfaits par une génération éprouvée mais courageuse, préparant ainsi les conditions du développement de ses successeurs. C’est à ceux-ci que ce dépôt espère apporter un témoignage de ces années laborieuses, espérant seulement une pensée, pour ceux qui ont accompli ce travail, de leur mieux6. »