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Histoire & Patrimoine
#24
Charles Millardet (1800-1847), l’architecte du théâtre
RÉSUMÉ > Par leur maîtrise de l’espace, leur sens de la mise en scène urbaine et leur monumentalité, les édifices conçus par Charles Millardet (1800-1847) incarnent la modernité architecturale qui voit le jour à Rennes sous la Monarchie de Juillet. Le théâtre, avec ses galeries commerçantes et ses immeubles d’habitation, qui demeure l’oeuvre majeure de sa courte carrière, fut un projet urbanistique ambitieux dont nous pouvons encore aujourd’hui apprécier la cohérence.

     Né à Paris en 1800, Charles-Isidore-Eustache Millardet a un profil de formation classique. Il entre à l’école des Beaux-arts de Paris en 1819 où il reçoit les enseignements de François Debret (1777-1850), grand admirateur de Vignole et de Palladio. Nous ne connaissons pas d’ouvrage édifié par Charles Millardet avant qu’il ne prenne les fonctions d’architecte de la ville de Rennes en 1828 sous le mandat de Louis de Lorgeril, toutefois, il lègue à la ville quelques monuments emblématiques du règne de Louis-Philippe. Parmi ceux-ci, il faut évoquer la chapelle funéraire du cimetière du Nord, l’escalier monumental de la Motte, le monument Vanneau-Papu et surtout l’ensemble du théâtre et ses arcades, donnant, en réponse à l’hôtel de ville, sa physionomie à la place de la mairie.

     Le premier ouvrage que Charles Millardet réalisa à Rennes en 1828 fut la chapelle funéraire du cimetière du Nord avenue Gros-Malon. Commandée par Louis de Lorgeril qui fit don des quatre grandes colonnes en granit de Kersanton qui animent sa façade, elle s’impose dans le paysage urbain par son caractère monumental et solennel. Ouvrant sur la perspective de l’allée centrale du cimetière, elle possède un soubassement circulaire en pierre calcaire et brique accueillant huit caveaux réservés à l’origine aux grands hommes, mais dont seuls deux abritent aujourd’hui des sépultures, celle du lieutenant général Bigarré mort en 1838 et celle du général Péchot tué en 1871 par les communards. La partie basse entourée d’une élégante grille en fer forgé forme une terrasse accueillant une rotonde à demi ouverte et couronnée d’une coupole. La partie aveugle de la rotonde où l’on accède par un escalier double en fer à cheval est décorée d’une allégorie de l’Espérance due au sculpteur rennais Jean-Baptiste Barré (1804-1877).
     Le jeune architecte fit preuve ici d’une grande maîtrise de l’espace et signa une oeuvre inscrite dans la tradition néoclassique apprise dans l’atelier de F. Debret, qui avait lui même été l’élève de Charles Percier et de Charles-François-Léonard Fontaine. C’est avec une inspiration tout aussi classique qu’il conçut l’escalier monumental achevant la promenade de la Motte qui fut déplacé en 1901 à l’entrée sud du Thabor.

     Le théâtre de Rennes, consacré aujourd’hui à l’opéra, est l’oeuvre majeure de Millardet, qui fut secondé sur le chantier par l’entrepreneur Pierre Louise (1792-1841). Erigée à l’instigation du banquier Philippe Jouin qui prit la tête de la municipalité en 1830, l’ambitieuse construction devait non seulement devenir le symbole du renouveau politique après la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, mais surtout s’inscrire dans un tissu urbain comptant déjà deux places et deux édifices hautement symboliques. Au coeur du centre historique de Rennes, entre la place du Palais dominée par le Palais du Parlement de Bretagne de Salomon De Brosse (1618), et à l’ouest par l’hôtel de ville de Jacques Gabriel (1734-1743), le théâtre fut conçu sur l’emplacement de l’ancienne place aux Arbres, comme un élément de liaison entre les deux places royales. Il fut ensuite relié aux deux bâtiments pourvus de galeries commerciales couvertes au rez-de-chaussée, à l’image des immeubles à arcades de la rue de Rivoli qui longent le musée du Louvre.
     La rotonde, qui répond à la forme concave de l’hôtel de ville, s’impose avec force au centre de la place. Le premier niveau, correspondant aux arcades couvertes des deux corps de bâtiments latéraux, remplit la fonction d’échange et de rencontre ainsi que d’accueil du public. Le second niveau de la rotonde concorde avec l’étage de logements situé au-dessus des galeries commerçantes. L’attique, qui correspond au dernier étage d’habitation, est constitué d’une corniche rythmée par les sculptures d’Apollon et des neufs muses de François Lanno (1800-1871) qui masque le tambour de la coupole, le dédoublement du dôme de la couverture permettant d’atténuer une pente qui aurait été trop forte avec un autre mode de couvrement.
     La salle de spectacle située à l’étage, à l’instar de celle de l’Opéra de la rue Le Peletier construite par son maître François Debret à Paris en 1820, est desservie par deux escaliers massifs en granit qui épousent la forme de la rotonde. Dans la tradition des théâtres à l’italienne, sa silhouette en fer à cheval, son parterre, ses baignoires, ses loges et ses balcons ne sont pas sans rappeler le théâtre des Nouveautés du passage Feydeau (1827). Malgré les nombreuses critiques que dut subir Charles Millardet, en particulier à cause des dépassements de frais entraînés par la construction, la salle fut inaugurée le 29 février 1836 et son utilité ne devait plus être remise en cause.

      Le monument commémoratif dédié aux citoyens Vanneau et Papu, morts à Paris lors des journées de juillet 1830, est aussi une oeuvre à forte portée symbolique signée Charles Millardet, qui fit preuve d’un grand sens de la mise en scène et de la composition. Dominant le carré Du Guesclin dans les jardins du Thabor non loin de l’entrée de la place Saint-Melaine, il s’adapte à la déclivité du terrain et s’inscrit dans un demi cercle constitué d’un muret à degrés en schiste violet et d’une exèdre en granit. Composé de deux soubassements carrés, d’une colonne et d’une statue de femme brandissant une lance et tenant la charte symbole du nouveau régime (due à Jean-Baptiste Barré), il est orné de motifs antiques revisités, de couronnes de feuilles, de palmettes ou encore de têtes de sphinx. Dégradée depuis longtemps, la colonne vient d’être restaurée.

     L’épisode de la reconstruction du pont de Berlin, fut son dernier grand chantier public. L’expérience malheureuse fut supervisée par une commission élargie comprenant des membres de la Commission publique et des architectes des Ponts et Chaussées révélant le manque de confiance accordée à l’architecte. Conçu en 1833 comme un monument urbain dans la perspective de la place de l’hôtel de ville, reliant la partie basse et la partie haute de la ville, le pont empruntant ses références à Palladio et Scamozzi s’écroula en 1837 et dut être reconstruit pour être rouvert à la circulation en 1839, à la veille des travaux de canalisation de la Vilaine.

     La carrière de Charles Millardet fut courte. Il fut démis de ses fonctions en 1843 après s’être battu pour valoriser le statut d’architecte de la ville et surtout pour clarifier les attributions liées à sa fonction qui à cette époque n’étaient pas très bien définies. Il quitta Rennes avec la réputation d’avoir toujours été un talentueux dessinateur mais un piètre gestionnaire. Le maire Emmanuel Pongérard9 évoquait ainsi ses faiblesses : « Il a toujours péché par défaut d’exactitude dans ses appréciations des dépenses, de régularité dans son travail, de surveillance dans l’exécution des projets » mais il lui reconnaissait toutefois « l’étoffe d’un homme de talent » . Il mourut en juillet 1847, alors qu’il venait d’être nommé architecte de la ville de Valenciennes quelques mois auparavant.