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Dossier
#10
Daniel Delaveau. L’intercommunalité
a sauvé les communes
RÉSUMÉ > La carte des intercommunalités doit être revue avant le 1er mars 2013. Dans chaque département, le préfet, après avoir invité les élus à réfléchir et à décider les évolutions pourra, d’abord proposer, puis imposer la création de nouvelles communautés de communes et d’agglomérations, la modification de leurs périmètres, la fusion de communautés. Après Paul Kerdraon, maire de Pacé, Michel Gautier, maire de Betton, et Françoise Gatel, présidente de l’association des maires d’Ille-et-Vilaine (Place Publique n° 8), Daniel Delaveau, président de Rennes Métropole, répond à nos questions.

PLACE PUBLIQUE> Pourquoi fallait-il revoir la carte de l’intercommunalité ?

DANIEL DELAVEAU > Mieux répondre aux besoins du citoyen, ça veut dire mieux prendre en compte sa vie concrète, quotidienne, son habitat, son travail – malheureusement, il n’en a pas toujours – ses pratiques sportives, associatives, culturelles. Le territoire vécu, le bassin de vie, sont souvent distincts des territoires institutionnels y compris ceux de l’intercommunalité actuelle. C’est pour cela que nous entrons dans une phase de rationalisation de la carte intercommunale. 

PLACE PUBLIQUE > Qu’entendez-vous par rationalisation ?

DANIEL DELAVEAU >
Un certain nombre d’intercommunalités, que ce soit ici ou à l’échelle nationale, se sont basées sur les cantons. Le canton n’est pas toujours un territoire pertinent, y compris en Ille-et-Vilaine. Des intercommunalités sont ainsi trop petites pour pouvoir agir collectivement. Et puis, sur le plan national, le législateur, a voulu aussi mettre fin à ce qu’on appelle parfois les intercommunalités défensives, c’est-à-dire ces ensemble de communes qui se sont groupées pour rester ensemble, pour ne pas partager. En général, ce sont plutôt les riches qui ont envie de rester ensemble pour éviter de partager.

PLACE PUBLIQUE > Vous en connaissez en Ille-et-Vilaine ?

DANIEL DELAVEAU >
Oui, j’en connais. Je vois des communes repliées sur leur château, sur leurs cassettes, alors qu’elles font naturellement partie du bassin de vie rennais et qu’elles en profitent.

PLACE PUBLIQUE > La coopération entre des intercommunalités ne suffit pas ?

DANIEL DELAVEAU >
Je crois que la vision qui consiste à dire «oui, nous faisons partie du bassin rennais, mais pour l’instant on est bien entre nous, passons simplement des accords avec Rennes Métropole», c’est vouloir obtenir les avantages de l’agglomération sans lui témoigner aucune solidarité. Ce qui est fondamental dans l’intercommunalité, c’est la solidarité, la subsidiarité et la stratégie, ce que j’ai appelé les « 3 S ».

PLACE PUBLIQUE > Un exemple de solidarité ?

DANIEL DELAVEAU >
Historiquement, ce qui a poussé les intercommunalités, c’est la mise en place du partage de l’impôt économique avec la taxe professionnelle unique. Avant, les écarts de richesse entre les communes de l’agglomération rennaise allaient de 1 à 67. Après, l’écart est tombé de 1 à 4. En France, c’est une référence ! C’est Rennes Métropole qui a réalisé le plus important effort de solidarité. Ce fut aussi un formidable outil à la fois pour l’intercommunalité et pour les communes : par le biais de la dotation communautaire de solidarité, elles ont pu développer leurs propres services communaux tout en profitant des services métropolitains.

PLACE PUBLIQUE > La subsidiarité ?

DANIEL DELAVEAU >
Rennes métropole n’a pas vocation à mettre son nez partout. La métropole fait seulement ce qu’une commune isolée ne peut pas réaliser. Elle favorise la mutualisation de services à l’échelle intercommunale, des services qui correspondent aux territoires vécus. La politique de déplacement, on ne peut pas l’aborder à l’échelle communale, la politique économique non plus, ni la politique environnementale, ni celle du logement.

PLACE PUBLIQUE > Et la stratégie ?

DANIEL DELAVEAU >
C’est le projet du territoire, c’est la coopération d’élus qui construisent ensemble un projet de développement durable avec toutes ses composantes, l’habitat, les déplacements, l’environnement, les politiques de solidarité sociale, etc.

PLACE PUBLIQUE > On vous accuse parfois de vouloir tuer les petites communes.

DANIEL DELAVEAU >
Le mouvement intercommunal a au contraire permis de sauver les communes. En France, on compte 20 000 communes de moins de 500 habitants. Quelle est leur autonomie si elles ne travaillent pas avec d’autres ? L’intercommunalité est une nécessité moderne, efficace, pragmatique pour l’avenir des territoires. La réforme de l’intercommunalité aurait dû avoir une vision beaucoup plus large. Quelle est la place de l’État dans le territoire ? Quelles sont ses compétences ? De quelle manière entend-il les exercer ? Et puis, de quoi notre pays a besoin à l’échelle de la communauté européenne si ce n’est d’intercommunalités plus fortes, de villes plus fortes, de régions plus fortes ? Quand je dis cela, je ne veux évidemment pas supprimer la commune ni le département ! La commune, c’est l’échelon de proximité. On peut penser aux avantages qu’aurait apportés le statut de Paris, Lyon et Marseille : une mairie intercommunale et des mairies communales. Ça a été pour l’instant écarté. Mais, je crois qu’il faudra un jour y revenir parce que c’est l’avenir. Deuxième, le département doit garder une place. Pourquoi ne deviendrait-il pas une espèce de sénat de l’intercommunalité, de coordination des intercommunalités. Le département mettrait à la disposition des intercommunalités petites et moyennes ses bureaux d’études et d’ingénierie, il garantirait la cohérence départementale d’un certain nombre de politiques, d’abord en matière sociale. Laissons donc la proximité faire ce qu’elle sait faire et gérons ensemble ce qu’elle ne peut pas faire en nous en donnant les moyens !

PLACE PUBLIQUE > Alors, combien d’intercommunalités faudrait-il en Ille-et-Vilaine ?

DANIEL DELAVEAU >
Nous en avons aujourd’hui vingt-neuf, trois communautés d’agglomération (Rennes, Vitré, et Saint-Malo) et vingt-six communautés de communes. Le département compte par ailleurs sept pays. La rationalisation doit nous amener quelque part entre ces deux chiffres. Regardons la carte ! Nous comptons une demi-douzaine de toutes petites intercommunalités de moins de dix mille habitants…

PLACE PUBLIQUE > Rennes Métropole veut-elle s’agrandir à tout prix ?

DANIEL DELAVEAU >
Contrairement à ce que certains peuvent dire, Rennes Métropole n’a pas intérêt à grossir. Mais plus Rennes Métropole s’élargit, plus elle diffuse la solidarité parce qu’il faut étendre les lignes de bus, parce qu’il faut construire des logements. On voit bien les effets extrêmement positifs d’une telle politique, y compris à l’extérieur de Rennes Métropole : Habitat 35, l’office départemental d’HLM, le dit lui-même : il peut investir dans les communes hors la métropole parce que Rennes Métropole investit sur son territoire. Voilà aussi un effet de la solidarité que certains ne semblent pas reconnaitre.

PLACE PUBLIQUE > Justement, quelle serait la taille minimale d’une intercommunalité ?

DANIEL DELAVEAU >
Le ministre de l’époque, Alain Marleix, la voyait autour de vingt mille habitants plutôt que de cinq mille. En Ille-et-Vilaine, cela peut avoir du sens. Il y a toujours des cas particuliers à prendre en compte, ceux des départements ruraux peu peuplés, des départements de montagne… Ici, il faudrait, selon moi, des intercommunalités de quinze à vingt mille habitants minimum.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez fait des appels du pied à des communes proches de Rennes Métropole ?

DANIEL DELAVEAU >
Je ne fais pas d’appels du pied mais je réponds aux sollicitations. Je ne fais pas la course pour grossir, mais il me paraît naturel qu’à terme, le Pays de Rennes, je dis à terme, pas forcément tout de suite, fasse une seule intercommunalité. Notre schéma de cohérence territoriale, un document stratégique, nous avons passé plus de deux ans à l’élaborer à l’échelle du Pays de Rennes, avec les communautés de Saint-Aubin d’Aubigné, le Val d’Ille, Liffré et Châteaugiron. Le ministre a demandé que ces schémas soient pris en compte dans l’élaboration de la nouvelle carte de l’intercommunalité. Ça paraît évident. Et puis, l’enjeu aujourd’hui est de mettre en oeuvre ce Scot. Et nous n’aurions pour le faire vivre qu’un syndicat mixte ? En matière de démocratie locale, ce n’est pas la panacée !

PLACE PUBLIQUE > Vous voyez se profiler l’adhésion de certaines communes ?

DANIEL DELAVEAU >
Des communes qui ne sont pas dans le pays de Rennes, je pense à Romillé ou à Laillé, s’interrogent sur leur éventuelle adhésion à Rennes Métropole. Quand un maire constate que 80% de sa population travaille dans l’agglomération rennaise, que les gens vont y faire leurs courses, que les enfants y sont au lycée, à l’université, c’est normal. Le maire de Romillé dit que sa commune est davantage tournée vers Rennes que vers Bécherel. C’est la réalité. Et pour moi, c’est de là qu’il faut partir, du citoyen ! Ne partons pas du point de vue institutionnel, n’ayons pas le réflexe de défendre nos petites chapelles. En période de crise et de tensions financières, les égoïsmes communaux remontent à la surface. Ceux qui vivent bien entre eux se replient dans leurs coquilles.

PLACE PUBLIQUE > L’arrivée éventuelle de Laillé au sud, de Romillé au nord-ouest pourrait entraîner d’autres communes de ces communautés…

DANIEL DELAVEAU >
Oui. D’autres s’interrogent. J’ai rencontré très officiellement tous les présidents des communautés du pays de Rennes et j’ai répondu positivement à toutes les sollicitations des maires ou des présidents de communautés. J’ai échangé avec de nombreux maires. C’est dire notre disponibilité. L’enjeu fondamental, c’est de se projeter dans les dix-vingt ans qui viennent, de préparer l’avenir. Des efforts de mutualisation seront de toutes façons indispensables. Je préfère anticiper que subir.

PLACE PUBLIQUE > La réforme veut aussi supprimer les discontinuités territoriales. La commune du Verger est séparée de Rennes Métropole dont elle fait partie.

DANIEL DELAVEAU >
Nous sommes très attachés à ce que Le Verger reste dans la métropole. Ça peut se faire de différentes façons, soit par voie législative, comme lors de la création de la communauté d’agglomération en 2000 ; soit par l’arrivée d’une commune qui assurerait cette continuité territoriale. C’est envisageable.

PLACE PUBLIQUE > La réforme de la gouvernance des communautés est également à l’ordre du jour.

DANIEL DELAVEAU >
Aujourd’hui, les conseillers communautaires sont désignés par les conseils municipaux. Demain, ils seront élus directement au suffrage universel par le biais de ce qu’on appelle le scrutin fléché. Leurs noms seront indiqués sur les listes des candidats à l’élection municipale. Au moins l’électeur de base élira en même temps ses conseillers municipaux et ses conseillers communautaires.

PLACE PUBLIQUE > Que pensez-vous de la création de pôles métropolitains destinés à favoriser la coopération de communautés d’agglomération ?

DANIEL DELAVEAU >
J’ai participé, sur le plan national, à une réflexion sur ce sujet-là. L’idée a été fortement défendue par Gérard Collomb, le maire de Lyon, dans le cadre de la coopération avec Saint-Etienne. Elle est reprise aujourd’hui par Nancy et Metz. Elle peut peut-être nous intéresser, mais cela reste un syndicat mixte même si l’étiquette a changé.

PLACE PUBLIQUE > Ça serait une formule adaptée à la coopération entre Rennes et Saint-Malo ?

DANIEL DELAVEAU >
Oui, pourquoi pas ? Entre Rennes et Nantes, aussi. Mais ce qui compte, ce sont les actions que l’on mène, pas la forme institutionnelle que ça prend. Ce que l’on fait entre Rennes et Nantes, à la limite, ça peut aussi devenir à terme une espèce de pôle métropolitain puissant pour l’Ouest.

PLACE PUBLIQUE > Quelle image Rennes entend donner aux communes qui se posent des questions sur leur adhésion ?

DANIEL DELAVEAU >
Je veux leur dire que le développement de Rennes Métropole est un atout exceptionnel pour le développement de l’ensemble du territoire, qu’il ne faut pas perdre de vue que Rennes a des responsabilités de capitale régionale et que son développement est un facteur essentiel pour le développement de la Bretagne toute entière. Quand Rennes Métropole investit dans le TGV, le métro, le logement, l’université, les initiatives d’excellence, c’est tout bénéfice bien sûr pour les habitants de la métropole mais ça l’est aussi pour l’ensemble de la Bretagne. L’avenir économique est lié à la cohésion sociale et donc à la capacité d’accueil des populations. C’est tout le sens de notre politique du logement et de notre stratégie de développement durable. Je comprends et je trouve tout à fait légitime les interrogations sur le projet ou sur la gouvernance, de la part de communes qui ne connaissent pas bien le fonctionnement de Rennes Métropole. Mais nous avons – nous aussi – des grandes et des petites communes. Nous avons mis en place une organisation qui permet un dialogue et un fonctionnement démocratique. C’est la conférence des maires, ce sont des commissions ouvertes à tous les conseillers municipaux, c’est aussi le fait que la métropole n’a pas vocation à s’occuper de tout.

PLACE PUBLIQUE > Les commissions ouvertes à tous les conseillers municipaux sont des commissions officielles ?

DANIEL DELAVEAU >
Oui. Prenons les transports. Eh bien, les adjoints aux transports de chaque commune même s’ils ne sont pas conseillers communautaires peuvent venir à la commission. Ce n’est pas le cas partout en France. Mais Rennes a toujours été en avance. C’est vrai que la machine métropolitaine est une grosse machine. Mais, c’est aussi une chance pour les communes d’avoir à leur disposition tous les services, de formidables outils d’ingénierie et des moyens juridiques. Même quand on est une commune de 5 000 habitants, on ne peut pas avoir des spécialistes sur tous les sujets du droit de l’urbanisme ! Ce qui est important aussi, c’est que la coopération intercommunale recherche le consensus en permanence. Le consensus, ce n’est pas forcément l’unanimité mais c’est la recherche de l’intérêt supérieur. J’observe d’ailleurs que sur les grands dossiers, il y a un très large consensus à Rennes, bien au-delà des clivages politiques partisans.

PLACE PUBLIQUE > Le schéma des zones de vie qu’avait réalisé l’agence d’urbanisme est-il toujours d’actualité ?

DANIEL DELAVEAU >
C’est un excellent outil de travail. Je pense en effet qu’à terme nous devrions avoir une dizaine ou douzaine d’intercommunalités correspondant mieux aux zones de vie, avec au centre une intercommunalité métropolitaine forte. Je crois aussi aux réseaux de villes, à ce que nous avons engagé avec Saint-Malo, avec Nantes, avec l’espace métropolitain Loire-Bretagne qui réunit Brest, Angers, Nantes, Saint-Nazaire. Demain, les villes au sens large, les agglomérations, les métropoles auront un rôle de plus en plus important à jouer dans les territoires.

PLACE PUBLIQUE > Vous ne parlez pas du réseau des villes moyennes dont dispose la Bretagne ?

DANIEL DELAVEAU >
C’est bien sûr une richesse pour la Bretagne. C’est pour ça que je crois au renforcement de l’espace métropolitain autour des grandes métropoles qui font vivre le réseau des villes moyennes, Vannes, Lorient, Saint-Brieuc, Quimper, Saint-Malo. Le monde, les cultures, les modes de vie, les populations changent très vite. La ville-territoire, c’est une nouvelle façon de vivre la ville. Si on veut que notre pays prenne mieux sa place en Europe et dans le monde il a besoin d’une nouvelle phase de décentralisation autour des régions et des intercommunalités.