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Dossier
#10
RÉSUMÉ > Mais pourquoi donc les « Rennopolitains » peinent-ils à s’approprier leur territoire ? Eh bien, comme dirait Houellebecq , c’est qu’ils n’ont pas la carte. La carte de Rennes Métropole ? Oui, le dessin mental, l’image scolaire, la représentation graphique apte à figurer la réalité d’une zone administrative dont on oublie qu’elle est surtout un espace de vie et de circulation.

     Le sondage Sofres commandité par Rennes Métropole pour les 40 ans de l’intercommunalité rennaise atteste de l’adhésion molle de ses quelque quatre cent mille habitants à la noble structure fédératrice dont il s’agit. Et ne nous plaignons pas! Comparé à celui d’autres contrées, le score d’appartenance à notre métropole bretonne est jugé remarquable par les sondeurs. Il faut comprendre que cette affaire-là se joue pour une bonne part dans l’imaginaire. La Sofres n’a pas tort de noter que l’institution Rennes Métropole à la chance d’avoir édifié de ses mains un totem irréfutable, un emblème fondateur, un « média » hyper-populaire : le métro . C’est lui qui « booste », semble-t-il, notre sentiment d’adhésion.  

     Mais ce symbole ne suffit pas. Il en faut d’autres pour « faire » un territoire. Les spécialistes disent qu’il faut surtout une « histoire », disons un récit fondateur, un « storytelling » un peu héroïque propre à imprégner les mémoires, un « roman » destiné à instiller une culture commune. Raté, pour Rennes, car on ne voit pas quel conte de fées se profile à l’horizon enchanté de son origine.
     Alors que reste-il ? À défaut d’histoire, la géographie. On en revient à la carte et au territoire. La carte de Rennes Métropole a des trous. Son territoire s’effrite sur ses marges. Sa frontière est floue, déchiquetée, par définition changeante. Bref inassimilable par la conscience. Même le bon élève ne peut la « retenir ».
     Proposons ici de passer de Houellebecq à Régis Debray en nous référant à son petit ouvrage faussement réac’, Éloge des frontières. Diabolisée dans un monde où tout se veut désormais « sans frontières », la vieille démarcation politico-spatiale garde une fonction qui n’est pas foncièrement de clôture, terme honni. La fonction de la frontière est avant tout symbolique : elle trace une ligne qui définit un dedans et un dehors, un en-deçà et un audelà. C’est la perception partagée de cette trace ténue, de cette limite ouverte à toutes les porosités, à tous les échanges, qui construit l’identité de ceux qui vivent à l’intérieur. Cette perception fait défaut à Rennes Métropole dont la frontière est absente, invisible, inconnue.
     Pour que le territoire échappe à l’abstraction (toujours redoutable car elle éloigne le citoyen du collectif qu’il partage), il faudrait aux confins des 37 communes qui la composent révéler la carte du contour métropolitain. Randonner en boucle le long de cette « frontière » ignorante d’elle-même. Imaginer mille astuces ou animations pour « exprimer » ce tracé fantôme et nourrir notre nécessaire « sentiment géographique ».