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Histoire & Patrimoine
#02
De la salle omnisports
de Louis Arretche
au nouveau Liberté
RÉSUMÉ > Le Liberté, édifice phare et avant-gardiste, sera inauguré le 21 novembre. Il jouit aujourd’hui d’une seconde vie. Cinquante ans après la construction de ce qui était alors la salle omnisports, la réhabilitation du Liberté respecte-t-elle l’oeuvre initiale de Louis Arretche, architecte et urbaniste prolifique?

     Quel centre concevoir pour une ville en refondation dans les années d’après guerre? Dès son élection, en 1953, Henri Fréville, maire de Rennes, s’interroge sur le développement du centre-ville. Et il décide de créer un nouveau coeur de ville sur le Champ-de-Mars. Ancien champ de foire du temps où la ville s’est développée en étroite coopération avec le monde rural, le Champ-de-Mars, fait face à la caserne du Colombier. Ancien champ de manoeuvres militaires, il rappelle aussi des accents guerriers qu’élus et habitants souhaitent oublier.
     Afin de gagner en modernité et en attractivité, Henri Fréville propose d’y concevoir un stade, symbole des vertus de dépassement, de compétition et de culture du corps. Le 26 avril 1956, le conseil municipal approuve la réalisation d’une salle omnisports pour accueillir de grandes manifestations sportives, des spectacles, des forums et des congrès. L’architecte Louis Arretche est retenu pour la concevoir. Yves Perrin l’assiste et assure la conduite de l'opération. C’est l’époque où sont bâtis les édifices qui représentent l'architecture en béton de l'après-guerre, la chapelle Notre-Dame-du-Haut de Ronchamps (1955), oeuvre de Le Corbusier, le Cnit (1958) ou encore le Palais des sports de Grenoble (1967) conçu par les architectes Junillon et Demartini.

     Faisant écho au Cnit à la Défense, Louis Arretche met en oeuvre un procédé innovant de double voûte de béton, une prouesse architecturale qu’autorise le béton post-contraint. L’architecte utilise également un système de poteaux-poutres en béton armé qui permet d’accélérer le chantier. La salle omnisports est composée de deux parties accolées, en ailes de papillon. D’une longueur de 78 m, l’édifice prend place au nord du quadrilatère formé par le Champ-de-Mars. Construit par les entrepreneurs Brochard et Gaudichet, l’ouvrage est inauguré le 21 octobre 1961 par Maurice Herzog, secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports, en présence du maire, Henri Fréville.
     La salle omnisports devient vite un bâtiment-clef dans le paysage architectural rennais. Il est l’un des rares à mettre en oeuvre une telle technicité. Innovant tant par sa technique que par sa forme, l’édifice frappe par son originalité. Intriguant, dérangeant, il n’est pas du goût de tous : en témoignent les courriers de nombreux Rennais fustigeant l’oeuvre d’Arretche, la qualifiant de « verrue » dans la ville. Situé au dos du centre-ville, le Liberté est à la jointure du coeur historique rennais et du nouveau quartier du Colombier au sud. Cette situation géographique, ce positionnement frontal expliquerait que les Rennais ne se le soient pas unanimement approprié. Jugé inesthétique par certains, le Liberté est perçu comme le fruit d’une architecture purgatoire où le béton serait roi. Ainsi, depuis plusieurs années, le Liberté a été l’objet de controverses, certains prônant sa destruction, d’autres consentant à son éventuelle rénovation.
     D’usage exclusivement sportif à l’origine, la salle omnisports a acquis une fonction polyvalente. Elle est le témoin de grands événements politiques, culturels et sportifs. Bon nombre de Rennais, par exemple, ont encore en mémoire le discours qu’y prononça l’ancien président de la République, François Mitterrand, en février 1985. Accueillant les grands spectacles nationaux et internationaux en tournée, ainsi que les principaux événements locaux – tels que les Transmusicales, le festival de cinéma Travelling ou encore les Tombées de la nuit – la salle peut contenir 5 500 personnes et accueille 250 000 visiteurs chaque année. Le Liberté est également une salle polyvalente abritant salons, expositions, événements sportifs. Afin d’assurer une qualité optimale pour les spectacles musicaux, la salle a connu d’importants travaux pour améliorer l'acoustique en 1989 et installer un gril technique en 1996.
     Malgré ces transformations, la démolition du Liberté est toujours envisagée. Mais pour la mairie, conserver le Liberté, c’est préserver la mémoire de la ville: la salle omnisports fait partie du patrimoine contemporain, qu’il faut conserver et rénover tout en lui attribuant de nouveaux usages. C’est le choix de la réhabilitation plutôt que celui de la muséification. Si la ville choisi de maintenir un équipement culturel en coeur de ville, c’est aussi, plus qu’un choix architectural ou patrimonial, l’expression d’une volonté politique de mettre la culture à portée de tous. Mais comment donner un sens nouveau au bâtiment tout en respectant son architecture initiale? Comment faire revivre un patrimoine, certes contemporain, mais dépassé?
     L’intervention des architectes Jean et Losfeld, a consisté à saisir l’oeuvre d’Arretche afin de la réinterpréter. Ce travail préalable de longue haleine est le gage d’une réhabilitation réussie: comprendre l’histoire, la structure, le contexte dans lequel a été conçu le bâtiment avant de le transformer. Ne dit-on pas que transformer, c’est conserver?
     L’enjeu de la réhabilitation était de redonner au Liberté une fonction unique, conférant au bâtiment un usage précis. Car si la polyvalence est un atout pour le bâtiment, elle peut également lui être préjudiciable. La polyvalence peut mener à réaliser un non-bâtiment, c’est-à-dire un bâtiment qui servirait à tout événement. Or, la forme et la configuration d’une salle ne peuvent être en adéquation avec tous les usages.

     L’aménagement de l’esplanade par l’Agence Nicolas Michelin & Associés (Anma) a débuté en 2004 tandis que les travaux de rénovation du Liberté ont commencé fin 2006. En intégrant l’ancienne salle omnisports au projet d’aménagement de l’esplanade Charles de Gaulle, le Liberté retrouve une nouvelle fonction centrale. Aujourd’hui proche d’autres équipements culturels (tels que le multiplexe cinématographique, les Champs Libres, le 4 Bis), le Liberté nouveau s’ouvre sur l’esplanade Charles de Gaulle qui est désormais la plus grande place de la ville de Rennes (162 x 180m). L’agora selon Rennes Métropole est un espace d’échanges et de débats, un lieu de synthèse de l’action publique en somme. L’esplanade Charles de Gaulle, parfois nommée esplanade des cultures et le Liberté remplissent cette fonction de rencontres autour de la culture.
     Le nouveau Liberté possède une grande salle, dont les configurations et les jauges varient jusqu'à 5 200 places. Le gymnase-haut de l’ancienne salle omnisport a été transformé en une petite salle de spectacles, nommée l’Étage, d’une contenance de 1 200 places (400 places assises et 800 places debout). La grande salle est principalement dédiée aux spectacles en tournée alors que la petite salle est davantage vouée aux musiques actuelles et productions locales.
     Pour répondre aux contraintes de l’implantation d’une salle de spectacles en centre-ville, la Ville de Rennes, maître d’ouvrage, a dû anticiper la desserte des lieux (métro, bus) et le stationnement ainsi que les problèmes liés au bruit.
     Par la réhabilitation de l’une de ses réalisations majeures, la signature Louis Arretche est toujours présente à Rennes. Entre permanence et mouvement, entre préservation et création, la rénovation du Liberté reflète l’esprit du projet urbain selon la Ville de Rennes. La structure d’origine conservée est un clin d’oeil à l’ère de l’architecture béton, tandis que le nouvel usage du bâtiment tentera d’inscrire le Liberté dans son époque.