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Histoire & Patrimoine
#02
RÉSUMÉ > L’Orchestre de Bretagne fête ses vingt ans. Depuis 1989, il a visité musicalement cent quarante communes de Bretagne, donné environ deux mille concerts, à Plouha et à New York, à Quimper et à Mayence, et sorti une trentaine de compact-disques. Il compte, cette saison, environ mille cinq cents abonnés. Fort de quarante-sept musiciens professionnels, il accumule les bonnes notes mais des nuages perturbent son horizon. Marie-Claire Mussat, actuelle présidente de l’Orchestre de Bretagne, raconte l’histoire au tempo mouvementé de cet orchestre de région, encore à la recherche d’une salle après deux siècles d’errance.

PLACE PUBLIQUE > L’Orchestre de Bretagne est né en 1989. Pouvez-vous nous rappeler quelques moments de son histoire?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
L’Orchestre de Bretagne est issu d’un orchestre municipal, fondé en 1981 par la volonté politique de la nouvelle municipalité d’alors, notamment de Pierre-Yves Heurtin et de Martial Gabillard. Le maire, Edmond Hervé, qui s’avouait peu mélomane, a su les entendre. C’est d’abord un petit orchestre, de vingt et un musiciens permanents. En 1989, Yvon Bourges, président du conseil régional, accepte de lui donner le statut d’orchestre régional. Il s’élargit alors à quarante-cinq musiciens. Depuis 2004, il compte deux cornistes de plus. On dit que c’est un « orchestre Mozart » parce que les vents vont par deux. Il est ponctuellement renforcé, lorsque l’oeuvre programmée exige un plus large effectif.

PLACE PUBLIQUE > Le vent est porteur, à ce moment-là?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Marcel Landowski avait déjà poussé à la décentralisation. Maurice Fleuret, qui travaille avec Jack Lang, souhaite développer la musique dans les régions.Yvon Bourges fait sienne, dans les années 80, l’idée de fonder un orchestre classique pour contribuer à la vie musicale de la Bretagne.

PLACE PUBLIQUE > Quel est son budget ?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
L’État accorde 4 750 000 F, la région et la ville, de même, la ville de Brest donne 100 000 F, somme qu’elle cessera de verser en 1992.

PLACE PUBLIQUE > Ce budget a-t-il beaucoup évolué?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Aujourd’hui, le budget est de 4 800 000 € et la répartition a évolué: la région donne la plus grosse part, 1 750 000 €; la ville 1 100 000 €; l’État 1 100 000 € ; l’Ille-et-Vilaine 93 000 € ; le Morbihan 22 000 €.… Il faut y ajouter les mécénats. Les concerts d’été, donnés au mois d’août à Rennes, sont possibles grâce à la Banque populaire de l’Ouest; l’opération Campus, qui s’adresse aux étudiants, est soutenue par la Caisse des dépôts et consignations…

PLACE PUBLIQUE > Mais revenons en arrière. D’où vient cette idée de disposer d’un orchestre? Est-ce une idée culturelle ou politique?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
À Rennes, une société de concerts est apparue vers 1730, par la volonté des grandes familles, des commerçants aisés, de la bourgeoisie juridique, de l’élite intellectuelle… Il s’agit de retenir sur place des musiciens de bon niveau, pour le plaisir de concerts mais aussi pour assurer une bonne éducation musicale aux enfants. D’autre part, une capitale politique doit compter un orchestre comme source de divertissements élevés et moyen d’éducation spirituelle.

PLACE PUBLIQUE > Il y a donc, d’emblée, le besoin d’une image valorisante?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Oui, d’autant que dès cette époque Rennes et Nantes sont en conflit de primauté. Et la rivalité se fait sentir sur des petites choses. En 1727, par exemple, pour la tenue des Etats de Bretagne, les Rennais ont bien du mal à se faire prêter des musiciens nantais…

PLACE PUBLIQUE > Cette société de concerts a-t-elle duré?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Non, il faut attendre le Président de Robien pour la relancer, vers 1760. Il l’héberge alors dans un pavillon de son jardin, disparu aujourd’hui mais que l’on pourrait situer vers la rue du Champ-Jacquet. Par la suite, elle s’est transportée dans la grande salle de la mairie. Déjà, la question d’une salle de concerts se posait à Rennes et elle n’a toujours pas été résolue! De la mairie, les concerts passeront définitivement au théâtre en 1867, à la suite de la création de la société des concerts populaires.

PLACE PUBLIQUE > Où en sommes-nous alors de la professionnalisation d’un orchestre?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Au 18e siècle, à Rennes, l’orchestre est partagé entre des professionnels et des amateurs, qui sont souvent des nobles. Les professionnels, les « gagistes » comme on dit, encadrent les autres. Au 19e siècle, il y a à Rennes l’orchestre du théâtre et l’orchestre de la société des concerts. Les musiciens passent de l’un à l’autre, selon les besoins. Les chefs de pupitres, qui sont des professionnels, encadrent leurs collègues. En 1880 est créé le Conservatoire par le maire, Edgar Le Bastard, ça change tout ! Il va former des musiciens et des enseignants.

PLACE PUBLIQUE > Qu’est-ce qu’un concert, à cette époque?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
C’est très éclectique. On programme une pièce symphonique, un trio, une mélodie, une oeuvre pour piano, on donne un mouvement d’une symphonie ou d’un concerto… Cela fait un peu patchwork. En 1830, on joue du Beethoven à Rennes, c’est la première fois. À cette époque s’édifie le théâtre, dû à Millardet. La décision a été prise par un conseil municipal issu des Trois Glorieuses, donc louis-philippard, c’est-à-dire bourgeois. Cela ne plaît pas à tout le monde, aux aristocrates en particulier, parce qu’un théâtre est un lieu ouvert au public, un lieu de mixité. De mauvaise vie, parfois… A l’époque, les villes de garnison ont souvent un théâtre et les dames de petite vertu passent pour circuler dans les étages.

PLACE PUBLIQUE > Après la fondation d’un Conservatoire, comment se professionnalise la musique, à Rennes ?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
En 1875, arrive un chef d’orchestre professionnel, un Suisse nommé André Tapponnier-Dubout. C’est une première. Bien sûr, il donne un souffle nouveau à la vie musicale rennaise, avant de devenir un « grand manitou », comme on disait de lui, parce qu’il concentrait tous les pouvoirs dans ses mains. La société des concerts périclite après son départ, en 1899, jusqu’en 1907, où un juriste musicien, Charles Bodin, la relance. Il crée une société des concerts, qu’il préside, et devient chef d’orchestre. Il dirige une trentaine de concerts et invite à Rennes de brillants musiciens, comme Georges Enesco, Jacques Thibaud, Ricardo Vinès…

PLACE PUBLIQUE > Que joue-t-on à Rennes, au concert, en ce début du 20e siècle?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
La base, ce sont les classiques (Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn…), on redécouvre aussi Bach et la polyphonie de la Renaissance, on écoute la musique française contemporaine (Massenet, Saint-Saëns, Bizet, Ropartz, Debussy…). Bodin est un homme cultivé, mais découragé par les problèmes matériels et par le manque de salle, il démissionne.

PLACE PUBLIQUE > La musique à Rennes connaîtra un pic… sous les bombes !

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Oui, parce que au début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939-1940, les orchestres de la radio se replient à Rennes. Pendant la « drôle de guerre », il y a là sept à huit cents personnes, dont Pierre Fournier, Lily Laskine, Désiré-Emile Ingelbrecht… Celui- ci, chef d’orchestre réputé, fondateur de l’Orchestre national, a passé son permis de conduire à Rennes.

PLACE PUBLIQUE > Peut-on dire que c’est ensuite un lent déclin?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
On continue à faire de la musique, la société des concerts existe encore mais il faut attendre l’ouverture de la Maison de la culture, en 1968, et, en 1977, l’arrivée d’une nouvelle municipalité pour que la culture apparaisse comme une priorité à Rennes. Et ce sera l’histoire déjà racontée, avec l’orchestre municipal, qui comptait pas mal de profs du Conservatoire. Il y aura, d’ailleurs, un malaise lorsque sera constitué, à partir de concours, l’orchestre de région.

PLACE PUBLIQUE > Au bout de cette histoire, aujourd’hui, on parle de « crise ». Comme si la situation ne s’était jamais stabilisée. Qu’est-ce qui fait que ça coince, alors que l’orchestre semble s’épanouir ?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Un orchestre coûte cher, bien sûr. L’Orchestre de Bretagne, c’est soixante et une personnes, une véritable entreprise, et ce sont les représentants de l’État et les élus (Région, Département, Ville) qui décident de son sort. Le conseil d’administration compte seize personnes, sans compter les conseillers techniques, ce sont eux qui le portent. Or, aujourd’hui, on ne cesse de dire que la culture coûte cher.

PLACE PUBLIQUE > Comme si elle devenait un luxe… Pour mieux gérer encore, que peut-on faire?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
L’orchestre s’est donné une nouvelle organisation. Il est géré par une équipe administrative et une équipe musicale (un conseiller artistique, un chef associé, un artiste associé et un compositeur associé), ce qui est une expérience unique. Il s’est efforcé de varier ses actions (saison lyrique à l’Opéra, saison de musique de chambre), d’être présent sur le terrain, par des concerts (une centaine par an, y compris dans des petites communes) mais aussi des mini-résidences, de jouer un rôle pédagogique dans les écoles.

PLACE PUBLIQUE > Une remise en cause radicale de toute cette activité est-elle pensable?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
L’orchestre est indispensable. Son existence n’est pas remise en cause. On n’imagine pas une région qui renoncerait à toutes les actions culturelles que j’ai recensées. Cela dit, il faut s’adapter à un environnement qui bouge, redéfinir nos missions peut-être. Mais est-il normal que la majorité du budget du ministère de la Culture soit destinée à Paris ? Nous sommes dans une France à deux vitesses! Les orchestres de région ont été créés pour contrebalancer cette situation; revenir en arrière semble impossible. Culturellement et économiquement ce serait grave.

PLACE PUBLIQUE > N’y a-t-il pas, aussi, le souhait de soutenir une culture « événements », qui se consomme, plutôt qu’une culture de fond, qui exige du temps ?

MARIE-CLAUDE MUSSAT >
Il ne faut pas prendre la jeunesse en otage, elle a aussi besoin d’entendre la musique qu’elle n’entend pas à l’école. Il faudrait cesser d’opposer une culture « classique » à une culture « jeune », tout comme à une culture « bretonne ». Didier Squiban, pour ne citer que son exemple, a prouvé que ces frontières ne signifient rien. Il faut cesser aussi de confondre animation et culture… L’art de la rue, ce n’est pas « la nouvelle donne », je pense. Tout cela relève surtout de la démagogie. Mais nous sommes confiants.