À Rennes comme ailleurs, la périurbanisation amène les ménages à s’installer toujours plus loin de la ville-centre. Ce mouvement débute au cours des années 1960, s’amplifie dans les années 1970, marque le pas dans les années 1980 pour repartir ensuite. Depuis 2000, la dilatation de l’agglomération rennaise touche les limites de l’aire urbaine et les franchit.
Au fil des dernières décennies, les trois territoires emboîtés de Rennes, de Rennes Métropole et de l’aire urbaine de Rennes ont tous enregistré de fortes croissances démographiques. Mais ces progressions sont toujours plus marquées au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Rennes centre vers les autres communes de Rennes Métropole, puis vers le reste de l’aire urbaine. Entre 1982 et 2006, la commune de Rennes a gagné 15 000 habitants, le territoire de l’agglomération hors Rennes en a gagné 71 400 et l’ensemble des autres communes de l’aire urbaine de Rennes en a gagné 62 800.
Ce périurbain en plein développement est d’ordinaire perçu comme l’espace de la classe moyenne, celle des ménages à deux revenus moyens, à deux enfants d’âge moyen, à deux voitures, le tout dans une maison-jardin. Ce profil existe bien sûr, mais il n’est pas le seul. En fait, on observe de grandes disparités entre les communes de l’agglomération. Elles accueillent des populations dont les capacités économiques sont très différentes. Par ailleurs, certaines communes doivent aujourd’hui faire face au vieillissement de leurs habitants, alors que d’autres accueillent de nombreux jeunes ménages et sont en phase de croissance démographique.
Les offres de services à la population ou la proximité aux emplois sont d’autres éléments qui varient grandement d’une commune à l’autre. L’image d’un périurbain qui serait bien organisé en « couronnes » socialement homogènes est insuffisante. Il faut la compléter d’une approche en terme de « mosaïque » rapprochant géographiquement des communes aux dynamiques sociales différentes, voire divergentes.
Dans ce contexte, nous voulons attirer l’attention sur de nouveaux enjeux sociaux émergeant dans ces territoires d’une périurbanité diverse, ainsi que sur l’apparition de réponses institutionnelles innovantes.
Le premier enjeu est lié à l’augmentation du nombre des allocataires de minima sociaux. La majeure partie d’entre eux est toujours installée dans la ville-centre, où se situent les logements HLM. Ainsi, en 2005, 82 % des ménages fortement dépendants des prestations1 et 85 % des bénéficiaires du RMI sont concentrés à Rennes. Mais depuis quelques années une légère augmentation des allocataires se fait ressentir sur la périphérie rennaise. Entre 2004 et 2005, le nombre d’allocataires fortement dépendants des prestations est en augmentation dans l’ensemble de l’agglomération, de l’ordre de + 5,3 % mais Rennes n’enregistre une hausse que de 4,3 %, contre 10,1 % pour les communes périphériques. Concernant les bénéficiaires du RMI, on observe le même type de tendance. Entre 2005 et 2008, la tendance est à la baisse à Rennes, la population passant de 5 428 à 5 084 personnes; elle est à la hausse sur les communes de périphérie, de 1 225 à 1 300 personnes. Même orientation en matière de chômage. Les demandeurs d’emploi rennais représentent les 2/3 des chômeurs de l’agglomération. Toutefois, entre 2003 et 2006, on note une légère augmentation du nombre de demandeurs d’emploi dans l’ensemble de la périphérie (+ 242) alors qu’il baisse à Rennes (– 517).
Cette tendance, encore mesurée et même infinitésimale dans certaines communes, selon laquelle des populations relevant de l’aide sociale sortent de Rennes, est pour partie liée aux caractéristiques du Programme local de l’habitat. Pour lutter contre les déséquilibres territoriaux, le PLH adopté en 1995 par l’agglomération rennaise encourage la construction de nouveaux logements, et notamment de logements locatifs sociaux, dans les communes périphériques. De fait, 15 % des logements livrés entre 1999 et 2005 à « Rennes métropole hors Rennes » entraient dans cette catégorie. « En 1980, les gens ne comprenaient pas pourquoi il fallait construire des logements sociaux. Depuis dix ans, ils voient leurs enfants habiter ces logements », note un élu.
Ce n’est là qu’un premier élément d’un diagnostic « social » du périurbain, qu’il faut élargir à d’autres problématiques émergeantes. Un second volet est orienté vers les nouveaux besoins de la population, qu’il s’agisse des habitants déjà installés, en particulier les personnes âgées, ou des habitants en cours d’implantation, parmi lesquels les ménages de jeunes actifs avec enfants mais aussi les familles monoparentales sont surreprésentés.
L’accroissement du nombre de personnes âgées est un des changements démographiques les plus importants du tournant du siècle. L’enjeu concerne spécialement « le quatrième âge », les plus de 80 ans, qui se développe plus rapidement que la tranche des personnes de 60 à 65 ans. Pour le pays de Rennes, l’Insee estime que le nombre des plus de 80 ans devrait presque doubler au cours des vingt prochaines années, passant à 24 000 personnes en 2020 et à 35 000 personnes en 2030. À l’échelle de Rennes métropole, c’est bien dans les communes de périphérie que l’augmentation des plus de 65 ans est la plus forte, de presque 30 % entre 1999 et 2005.
Le vieillissement de la population périurbaine est essentiellement lié au départ des enfants. Les maisons individuelles sont occupées par leurs propriétaires depuis les années 1960. Pour chaque famille, le même processus se répète: les enfants grandissent, partent et les parents restent et vieillissent sur place. Un élu témoigne: « On a perdu 300 habitants entre 1999 et 2005. Aujourd’hui, plus de 20 % de la population est à la retraite ». Les communes des première et seconde couronnes, qui se sont développées dans les années 1960 et 1970, doivent, pour la première fois, gérer les besoins d’une population vieillissante. Ces personnes âgées ont en effet des besoins en logements adaptés et en services à la personne, qu’il s’agisse, entre autres, d’aide et de soins à domicile, de télémédecine et d’aide aux déplacements. Les professionnels susceptibles d’intervenir sont d’autant plus sollicités que la fragilisation des relations intrafamiliales et les recompositions familiales font craindre des ruptures de solidarité intergénérationnelle. Par ailleurs, la hausse de l’activité salariée des femmes et l’allongement de leurs carrières les rendent de moins en moins disponibles pour les soins et l’accompagnement des personnes âgées.
L’essor de l’activité salariée des femmes a aussi des répercussions sur l’organisation de la vie quotidienne des familles. La prise en charge de la petite enfance n’est plus assurée de la même façon. En 1999, la grande majorité (86 %) des femmes de 25 à 49 ans vivant dans le bassin d’emploi de Rennes était active; ce taux d’activité devrait encore progresser. Il en résulte des besoins croissants en garde d’enfants, renchéris par le développement de toutes les formes d’emplois atypiques (intérim, CDD, temps partiel, etc.) qui concernent particulièrement les femmes. L’accueil des enfants, qui doit alors s’envisager non seulement à temps plein mais aussi à temps partiel et en horaires atypiques, est un enjeu primordial pour soutenir les jeunes ménages, leur accès et leur maintien dans l’emploi. La situation des mères de familles monoparentales est la plus complexe. Elles doivent concilier la charge d’un (des) enfant(s) et une activité professionnelle qui est souvent à temps partiel et en horaires atypiques. Le taux de familles monoparentales est à la hausse dans presque toutes les communes périurbaines, de l’ordre de + 30 % entre 2000 et 2004. Pour cette population, la capacité à rester dans l’emploi dépend beaucoup de la fiabilité des aides à la garde des enfants.
Dans l’agglomération rennaise, le nombre de déplacements par jour et par personne est à la hausse, en particulier les déplacements dits « de rocade », qui n’ont ni leur origine ni leur destination dans Rennes. En dix ans, ce sont ces déplacements de périphérie à périphérie qui ont le plus augmenté, de l’ordre de + 55 %. La voiture capte l’essentiel de ce marché de la mobilité périurbaine et pourrait conforter sa position. En effet, les déplacements sont de moins en moins liés aux trajets domicile - travail (qui représentent seulement 15 % de l’ensemble des navettes quotidiennes) 6 et sont motivés par les achats, les études, les loisirs, l’accompagnement d’enfants, etc. Or ces déplacements sont plus dispersés à la fois dans l’espace et dans le temps, bien au-delà des « heures de pointes » favorables aux transports collectifs.
Les distances parcourues en voiture par les habitants du périurbain sont importantes. Actuellement, pour les seuls déplacements domicile – travail au sein de Rennes Métropole, habiter au pourtour de l’agglomération signifie, pour un ménage bi-actif, parcourir 78 km par jour. Pour les budgets modestes ou fragiles, l’utilisation de la voiture et son entretien sont un gouffre. Une estimation des coûts de déplacement des ménages bi-actifs montre que, pour les seuls trajets domicile-travail, la facture varie, selon la localisation du domicile, de 52 € à près de 300 € par mois. Si l’on considère le taux d’efforts cumulés du logement et du transport chez les accédants à la propriété, les sommes en jeu grèvent sérieusement le budget familial. Un primo-accédant moyen consacre presque la moitié de son revenu mensuel aux deux seuls postes du logement et du transport. L’étalement urbain engendre un risque de surendettement des ménages les moins fortunés.
Ces enjeux sociaux en tension dans le périurbain sont aujourd’hui repérés par les professionnels. De la dépendance des personnes âgées à l’aide à la mobilité, du soutien aux familles monoparentales au développement des services à la personne et au domicile, l’élargissement des problématiques impose des réponses novatrices en termes d’action sociale. Un travail de veille orienté vers des besoins qui n’entrent pas encore dans des dispositifs opérationnels devient nécessaire. Plusieurs indicateurs militent en ce sens. Par exemple, les services d’aide sociale des communes sont de plus en plus souvent amenés à soutenir par des aides financières facultatives des familles aux revenus trop élevés pour bénéficier des dispositifs légaux mais dont les budgets sont trop justes pour leurs charges mensuelles. Par ailleurs, une enquête de 2009 de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale montre combien les CCAS et les CIAS sont fréquemment confrontés à de nouvelles catégories d'usagers en processus de précarisation, notamment des personnes qui ont un emploi et un revenu mais qui connaissent des difficultés sérieuses du fait d’un divorce, d’une panne de voiture, d’une augmentation du carburant ou du loyer. « Madame X vit seule avec un enfant. Elle réside à Mordelles et travaille à Vezin-le-Coquet. Sa voiture est tombée en panne mais elle n’avait pas l’argent nécessaire pour la réparation. Elle faisait du stop tous les matins dès 8 h pour aller au travail. Elle n’allait pas tenir longtemps et risquait de perdre son emploi. Elle a donc bénéficié d’un secours hors dispositif pour réparer sa voiture. » Cette situation racontée par un travailleur social est en voie de banalisation.
Il faut observer aussi, que dans un périurbain où règne un certain entre-soi et où les sociabilités ne transitent plus forcément par l’espace public (place du village, bistrot, fêtes…) mais par des espaces privés (loisirs, associations, parents d’élèves…), le risque d’isolement est réel. Il ne concerne pas uniquement les personnes âgées. La précarité peut entraîner des phénomènes de stigmatisation et pousser certaines personnes au repli sur soi. Dans ce registre, une élue évoque la fragilisation des personnes lors d’une séparation ou d’un divorce: « Ce moment déjà difficile à vivre s’accompagne souvent d’une baisse de revenus et d’une rupture des liens sociaux. Il faut intervenir vite, avant que la situation empire. »
Cette diversité croissante d’enjeux encore peu visibles, situés en amont des dispositifs sociaux existants, appelle le développement de modalités d’action territoriale. C’est l’objet du Centre intercommunal d’action sociale à l’ouest de Rennes qui regroupe sept communes : Bréalsous- Montfort, Chavagne, Cintré, Saint-Gilles, Le Rheu et Mordelles ; Vezin-le-Coquet a rejoint la coopération en 2008.
Depuis la loi d’orientation pour la Cohésion sociale du 18 janvier 2005, les communautés de communes et d’agglomération sont légitimes à conduire une politique sociale à l’échelle intercommunale. Cette démarche reste pourtant rare en France, où seulement 5 % des petites communes sont membres d’un CIAS, la plupart d’entre elles étant rurales.
Le CIAS à l’ouest de Rennes (200 salariés), créé en 1965 – ce qui fait de lui l’un des plus anciens de France - trouve son origine dans la volonté politique des élus locaux de travailler ensemble pour une plus grande solidarité. À travers les différents champs d’intervention: action sociale, insertion, petite enfance et personnes âgées, cette action sociale intercommunale mutualise des moyens et des capacités d’intervention dont les communes ne pourraient disposer en propre. Les élus considèrent que cette expérience de coopération leur permet d’atteindre la bonne échelle d’un territoire périurbain parcouru en tout sens de mobilités. Ils trouvent aussi dans le CIAS la possibilité d’accéder à des outils précieux (rapports d’activité, observations sociales proposées par l’Association pour la promotion de l’action et l’animation sociale) permettant d’élaborer une vision globale des changements à venir sur leur territoire. Le CIAS a récemment souhaité s’engager dans une démarche d’analyse des besoins sociaux alliant observation sociale et diagnostic partagé. Au cours de l’année 2007, une première étape d’évaluation a mobilisé les acteurs du territoire sur la détermination des enjeux prioritaires. Une autre étape permettra bientôt d’associer les habitants à la réflexion autour de questions concrètes telles que les solutions d’accueil pour la petite enfance ou les aides à la mobilité quotidienne. Ces démarches participatives constituent aussi le cadre d’une codéfinition du lien social dans un périurbain en mutation.