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Dossier
#25
Des actions pour réduire la fracture numérique
RÉSUMÉ > « La fracture numérique », expression employée couramment pour désigner le fossé qui se creuse entre les personnes connectées et non connectées, est loin d’avoir disparu. Depuis 1998, de nombreuses initiatives ont lieu dans les quartiers rennais pour faciliter l’accès du plus grand nombre à l’outil informatique et aux nouvelles technologies. Ainsi, le réseau des 11 bibliothèques de quartier et les 17 pôles multimédia assurent des formations au plus près des habitants. Reportage au Pôle multimédia du quartier Cleunay –Arsenal- Redon.

     Dominique Allano est un réducteur de fracture… numérique ! Il anime depuis 13 ans le pôle multimedia de l’association des Trois Maisons, situé dans la Maison Marion du Faouët, au coeur du quartier Cleunay-Arsenal-Redon. 250 personnes fréquentent ce lieu chaque année, soit en accompagnement individuel, soit au sein de cours collectifs pour s’initier et se perfectionner à Internet. Les ressources financières ne doivent pas être un frein à ces initiatives : le tarif des inscriptions à l’année est de 14 euros, avec une participation d’un euro par séance et la gratuité existe pour les personnes bénéficiaires des minima sociaux. Ce jour-là, Dominique est entouré de Karine, Catherine et Kader, trois habitants jusqu’ici plutôt rétifs aux nouvelles technologies. « Le suivi personnalisé permet à Karine, qui regarde Internet avec suspicion, de s’enthousiasmer pour la photo numérique. Avec Kader et Catherine, grâce à la création d’un site de partage de photos, elle entre dans un véritable processus d’échange, d’entraide et d’émulation », souligne l’animateur, visiblement heureux des progrès réalisés par ses stagiaires (lire leur témoignage dans les encadrés).

     Une demi-journée par semaine, Dominique organise un moment plus convivial, joliment appelé « le thé numérique », durant lequel sont réalisées collectivement des créations numériques variées (blogs, galeries photos, diaporamas…). Par exemple, la mise en ligne du blog du « café fleurs » de Joëlle, bénévole à l’association, a permis d’élargir l’audience de l’activité mensuelle « art floral », au-delà de la dizaine de personnes présentes régulièrement à cette initiative artistique. Les jeunes du cercle Paul Bert bénéficient quant à eux d’un temps dédié pour la découverte de la photo, de la vidéo numérique, des jeux et d’Internet. Un site Web TV a été mis en place avec eux pour assurer la retransmission des évènements du quartier, rendre compte de l’action de professionnels et de bénévoles, interviewer des habitants... Ainsi, le pôle multimédia fait coup double : il sensibilise les jeunes à leur environnement tout en leur apprenant le maniement des outils du numérique.
La notion de point info service n’est pas oubliée pour autant: dans tous les pôles multimédia, une plate-forme de services en accès libre permet aux Rennais qui en ont besoin d’être accompagnés dans leurs démarches quotidiennes (recherche d’emploi, candidature en ligne, administration numérique, recherches d’informations sur Internet …). Et la demande est bien réelle : les 17 pôles multimédias reçoivent 6000 utilisateurs par an. Pour faire le point, échanger et progresser, leurs animateurs n’oublient pas de se former à leur tour : ils bénéficient d’une journée de formation mensuelle pilotée par l’association Bug et la Ville pour rester à la pointe des innovations.
    Il leur faut de surcroit s’adapter à des attentes nouvelles. Selon les utilisateurs et les professionnels interrogés, l’expression de « fracture numérique » qui date des années 2000, paraît toujours adaptée pour décrire la réalité, mais elle s’est déplacée. On observe toujours une triple inégalité: inégalité d’accès à l’ordinateur ; inégalité dans les usages de l’outil ; inégalité dans l’usage des informations issues de ces outils.

     L’évolution principale constatée depuis dix est double: d’une part, le très fort développement du niveau d’équipement des ménages (taux estimé aujourd’hui aux ¾ de la population) a modifié le taux d’accès aux TIC (techniques de l’information et de la communication). Mais d’autre part, le sentiment d’exclusion se trouve encore renforcé entre les connectés et les non-connectés, dans un environnement où les informations sont de plus en plus assurées par les services en ligne. L’exclusion culturelle vient ainsi s’ajouter à l’exclusion sociale, et bon nombre de citoyens en viennent à manquer des indispensables pré-requis pour pouvoir accéder à leurs droits fondamentaux : l’éducation, la formation, la culture, l’information, l’accès à l’administration… La pratique des TIC ne recoupe plus strictement le niveau de revenus. Kader, 61 ans, futur retraité « Jusqu’au décès récent de mon épouse, je comptais complètement sur celle-ci pour l’utilisation de l’ordinateur. Je ne viens pas régulièrement aux réunions de ce groupe mais j’y trouve une compagnie et j’y apprends certaines techniques dont j’ai besoin. Je ne lis pas la presse ni sur papier ni sur Internet. Je consulte Google quand je me pose des questions sur telle ou telle chose et c’est pour moi une ouverture. J’utilise beaucoup les mails pour échanger avec ma famille éloignée. Même si au Maghreb, on est beaucoup dans les échanges oraux, moi je préfère nettement Internet au téléphone. J’ai l’impression de pouvoir beaucoup mieux prendre mon temps pour réfléchir à ce que je veux dire. » Les personnes laissées sur le bord de la route numérique sont aussi bien des jeunes dans l’incapacité d’effectuer une recherche d’informations fiables, ou de produire un simple CV, que des personnes âgées qui se replient sur elles-mêmes, ou encore des personnes d’origine étrangère…

     Il reste donc un long chemin à parcourir sur notre territoire pour arriver à une véritable « politique volontariste d’égal accès à la culture numérique, avec une visée d’équité territoriale », pour reprendre la formule ambitieuse de la ville de Rennes. Il s’agit non seulement de réduire les inégalités, mais aussi de faire de ces nouveaux outils numériques des vecteurs de « citoyenneté renforcée, de lien social consolidé, et d’émancipation » pour les personnes « analphabètes du numérique », en les aidant à progresser dans la maîtrise de ces techniques. C’est tout l’enjeu du concept d’e-inclusion, qui est l’exact contraire de l’exclusion numérique. Les opportunités d’agir ne manquent pas. A chacun d’entre nous de les saisir !