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Dossier
#25
RÉSUMÉ > L’expérience en médiation urbaine de la ville de Rennes, puis de Rennes Métropole, permet d’illustrer les évolutions en cours dans la fabrication de la ville et la conduite des projets d’urbanisme. Les nouveaux usages issus des technologies numériques sont sources de réflexions pour la maîtrise d’ouvrage : comment intégrer ces nouveaux outils dans le processus de décision ? à quels stades des projets ces dispositifs numériques peuvent-ils être mis en oeuvre ? Comment assurer qu’au-delà de l’expérimentation, ils puissent avoir un effet sur la dimension participative de l’urbanisme rennais ?

     Au nom de quoi dialogue-t-on aujourd’hui sur les questions de la ville et de son évolution ? Nombre d’événements, de réunions publiques, d’ateliers, de ballades urbaines sont organisés dans toutes les villes de France pour mettre en débat des projets de quartier, d’infrastructures, de protection de la nature, d’équipements... Les citoyens sont appelés à donner leurs avis, mais aussi à participer plus largement à la définition de la ville de demain, qui doit rester, au nom du principe démocratique, un projet commun. Cette communication croissante autour des projets, et de la ville en général, nous renvoie à la notion d’urbanisme participatif, qui depuis les années 1970, tente d’affirmer la place des citoyens dans la fabrique de la ville. Divers textes législatifs ont conduit les collectivités locales, en charge de l’urbanisme, à instituer des espaces de débat sur les projets et politiques d’urbanisme. Les quinze dernières années ont ainsi été marquées par l’expérimentation de plus en plus aboutie de méthodes de collaboration entre les élus, les experts de l’urbanisme et les citoyens, souvent qualifiés d’experts de l’usage.
    Les arènes de débat dans une ville comme Rennes sont nombreuses : grands événements sur la ville et ses projets, caravanes des quartiers, conseils de quartiers, réunions de concertation, ateliers d’urbanisme, etc. 

Dépasser les représentations trop techniques

     L’un des enjeux de ce dialogue sur l’urbanisme est d’assurer la compréhension par le plus grand nombre de ces projets qui sont souvent complexes et techniques. En effet, la capacité à montrer ce que deviendra un quartier dans l’avenir est déterminante pour imaginer et débattre sur les évolutions proposées. C’est pourquoi, parallèlement à la démocratisation de l’urbanisme, on a assisté depuis une quinzaine d’années à un foisonnement d’expériences en matière de représentation de l’espace futur.
    Basée autrefois sur des plans d’architecture, avec leurs côtes et leurs niveaux difficiles d’accès, la médiation urbaine contemporaine s’appuie sur des outils de représentation plus intuitifs, apparaissant comme des réponses innovantes à la perplexité souvent exprimée par les citoyens, face au caractère technique des plans. Pour, notamment, répondre à ce besoin, les services de la ville de Rennes puis de Rennes Métropole se sont dotés de bases de données et d’outils qui permettent d’assurer la compréhension et l’appréhension de l’espace passé, actuel et futur.
    Le choix technologique de la ville de Rennes fut, dès la fin des années 1990, de réaliser une maquette numérique de la ville (représentation en trois dimensions) à différentes époques de son histoire et d’assurer une actualisation en continu (à partir des permis de construire) de la modélisation contemporaine. À cela s’ajoute la modélisation des projets d’aménagement.
    Ce « double virtuel » de la ville, de plus en plus réaliste, permet de contextualiser les projets d’aménagement urbain.
    Techniquement, les dispositifs mis en oeuvre à partir de ces modèles permettent de naviguer, de façon interactive, à travers la ville d’hier et d’aujourd’hui, de basculer dans le futur, de modifier son point de vue en temps réel, d’intégrer des informations et contenus multimédias, etc. Si le passage à la troisième dimension dans l’imagerie en urbanisme n’est pas récent (il suffit de penser à l’usage de la perspective en architecture), les modèles 3D de ville ont cependant constitué une avancée du point de vue de la capacité à se repérer, à reconnaitre l’espace en question grâce à l’emploi de techniques de représentations réalistes (photo texturation, point de vue du piéton, etc.). Ainsi, ces représentations 3D recèlent des potentialités nouvelles en termes de lisibilité, mais aussi d’interactivité et d’évolutivité.

     La médiation urbaine comprend un ensemble de dispositifs communicationnels (supports médias, réunions, grands événements, site internet, etc.) qui poursuivent différents objectifs : de la simple information du public, à la participation des citoyens aux processus – en passant par les stades de la consultation et de la concertation. Pour dresser le panorama de la médiation urbaine numérique de Rennes, nous suivrons ainsi un gradient allant des dispositifs d’information, aux dispositifs de concertation les plus interactifs. L’usage d’outils numériques et 3D de nouvelle génération, a-t-il un effet sur la nature des échanges ? La participation est-elle « augmentée » grâce à l’usage de ces outils numériques ?

Les grands événements de communication territoriale

     Les rencontres « Cité-forum » en 1999, « une envie de ville » en 2005 et « Viva-cités » en 2012, sont trois moments où les Rennais ont été invités à découvrir les projets d’urbanisme et à débattre sur des problématiques urbaines (développement durable, mobilités, emploi, culture, etc.). Depuis 15 ans, ces événements sont l’occasion d’expérimenter différentes variantes et fonctionnalités de la maquette, et d’impulser des évolutions qualitatives et quantitatives notables des données 3D. Dans la version de 1999 est présentée une maquette qui allie la visualisation de la ville d’aujourd’hui à celle de différentes périodes de son histoire (18e, 19e, 20e siècles). Est en jeu à l’époque la compréhension par le public de la dimension évolutive de la ville.
    En 2005, la maquette 3D est mise à l’honneur lors de l’événement « Une envie de Ville », puisque ses concepteurs permettent aux habitants de contribuer à son contenu en mettant en place un outil collaboratif de texturation des bâtiments : plus de 1000 rennais participent à affiner les textures afin de s’approcher au mieux de l’existant. Cet exercice montrait déjà que la maquette possède un potentiel collaboratif, ce qui sera repris, plus tard, dans le contexte des ateliers d’urbanisme.
    En 2012, l’événement « Viva-cités » présente au public une maquette numérique étendue à l’échelle de l’agglomération rennaise. Une table tactile permet de naviguer individuellement et collectivement dans la maquette (grâce à une re-projection sur écran) pour illustrer, en temps réel, les présentations des projets.
La maquette est partie prenante d’un dispositif qui associe des supports physiques (exposition, maquettes physiques) et numériques. Du point de vue des participants à l’événement, le dispositif est ressenti comme pédagogique, accentué par la présence à proximité de la maquette 3D d’animateurs répondant aux questions. Autour de la maquette 3D émergent de nombreux échanges qui ressemblent fort à ceux qui peuvent être recueillis lors de la concertation.

     Dernier exemple de dispositif d’information du public, la caravane des quartiers constitue un outil de « médiation numérique localisée ». Dans ces réunions d’information ponctuelles sont présentés les projets urbains du quartier, soit par les élus, soit par l’équipe de projet. La maquette 3D permet, ici encore, de visualiser les éléments du projet qui sont présentés à l’oral. Elle est également utilisée en mode historique afin de susciter des échanges sur le passé du quartier, le partage de souvenirs et des liens sociaux autour de la mémoire. Ces exemples d’usage dans un cadre d’information du public montrent que la maquette 3D est un outil qui s’adapte à de nombreux utilisateurs (commande tactile), et contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, l’âge n’est pas un obstacle à sa manipulation. Même si elle n’est pas utilisée dans le but de récolter les réactions des habitants, elle constitue là un véritable déclencheur de parole et de débat.

     Lors des réunions publiques, le dispositif numérique 3D sert de support visuel à la présentation des projets (usage collectif). L’outil se greffe ici dans une démarche de concertation bien cadrée pour aider à la compréhension des projets. L’apport pédagogique du dispositif suscite là encore paroles et débats.
    En fin de réunion, l’habitant est invité à manipuler le dispositif et son utilisation devient plus individuelle avec des questions et des problématiques personnelles. L’utilisateur navigue alors pour (re)trouver sa maison et observer comment le projet impacte son environnement direct. La présence d’un médiateur est essentielle à ce stade. Car, si un projet d’aménagement répond à des besoins collectifs, il est bon que les problématiques individuelles s’expriment et soient entendues.

      La concertation peut prendre d’autres formes et s’articuler autour du dispositif numérique pour mettre en débat le projet urbain, souvent de façon ludique, et rapporter la parole des habitants.
    Ainsi, dans l’application Web immersive multi-utilisateurs Gulliver Maurepas, les internautes sont incarnés sous forme d’avatars. Accompagnés ou non par un médiateur, ils peuvent se déplacer dans la scène 3D, découvrir le projet d’aménagement, changer leur point de vue, dialoguer en direct avec d’autres avatars, montrer des détails de la maquette avec un pointeur laser, etc. Ce dispositif, manipulable depuis un ordinateur (clavier et souris) ou par l’intermédiaire de manettes de jeux, peut être utilisé en situation de médiation physique (en présence) et en situation de médiation en ligne (à distance). Une interface d’expression permet à l’utilisateur de poster des questions et commentaires, ce qui nécessite, évidemment, d’organiser la prise en compte de cette parole.
    Le côté ludique du dispositif constitue indéniable ment un atout pour intéresser le public et l’impliquer davantage. Une manipulation intuitive sans clavier/souris participe aussi à rendre l’habitant, quelle que soit sa classe d’âge, plus actif.

     Les dispositifs numériques 3D mis en place pour les ateliers participatifs visent, dans un usage collectif, à présenter le quartier et ses éventuels dysfonctionnements, donner à voir et à comprendre le projet urbain, servir de support aux réflexions, aux échanges et enfin, à présenter les propositions conçues par les habitants eux-mêmes.
    Ainsi, les ateliers créatifs sur le secteur Banat-Prague- Volga, dans le quartier du Blosne, animés par l’IAUR (Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes) sous forme d’ateliers de réflexion thématiques, ont rassemblé professionnels de l’urbanisme et habitants, pour travailler ensemble, discuter des propositions émises et en imaginer d’autres... Un groupe de travail a modélisé ses propositions en 3D et utilisé la maquette 3D pour les contextualiser. Au moment de la restitution, au-delà de l’aspect valorisant pour les habitants – qui présentaient des propositions sous le même format que les architectes –, ce projet a été celui qui parmi tous a été le mieux compris et a suscité le plus d’échanges.

Des questions en suspens... un projet de recherche

     L’usage des technologies numériques et 3D dans le domaine de l’urbanisme devient incontournable à Rennes pour aider la décision et pour accompagner voire organiser la médiation urbaine et encourager de nouvelles formes de participation des habitants.
    Cependant, de nombreuses questions relatives à l’usage de ces nouvelles technologies restent en suspens. Un partenariat franco-québécois associant les collectivités Rennes Métropole et la Ville de Québec, les universités Rennes 2 et Laval à Québec, les entreprises privées Archividéo et Trifide, tentera de répondre à ces problématiques de façon pluri-disciplinaire dans les deux prochaines années. Le projet « 3D et médiation urbaine » labellisé par le fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée abordera 3 axes : le mode de représentation 3D d’un projet d’aménagement, l’évaluation comparative des dispositifs mis en oeuvre à Rennes et à Québec et les potentialités du mode immersif (point de vue piéton).