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Dossier
#24
Deux acteurs, deux générations une conversation
RÉSUMÉ > Dialogue sur le théâtre entre deux acteurs : Odette Simonneau et Yann-Sylvère Le Gall. Nous sommes le vendredi 24 mai 2013 à Melesse, dans la maison d’Odette, un ancien débit de tabac où elle est née. Où son père fut charron avant de devenir buraliste et marchand de journaux, à l’issue la Grande Guerre.

PLACE PUBLIQUE > Avant cette rencontre, vous vous connaissiez tous les deux?

ODETTE SIMONNEAU > Oui, j’ai suivi le travail et l’évolution d’Ocus. Chaque année je les redécouvre et à chaque fois je me dis combien je serais incapable de faire ce qu’ils font! Nous, on allait au conservatoire, on faisait les fables de La Fontaine et puis quelques pièces de théâtre. On se tenait bien droit! On apprenait quand même à bien articuler, mais c’était assez statique. J’ai beaucoup appris avec Hubert Gignoux, le premier directeur de la CDO. J’ai beaucoup panouillé. Je crois que j’ai dû être la plus grande « panouilleuse de France »! Les panouilles, ce sont les tout petits rôles! C’est jouer les utilités! Dans vingt pièces, si j’ai eu soixante répliques, c’était beaucoup!

PLACE PUBLIQUE > Et vous Yann-Sylvère, panouillez-vous?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Je découvre le mot… Moi, je travaille dans deux théâtres, dans la création collective avec Ocus et avec des textes d’auteurs au théâtre de Pan. Le travail du texte m’intéresse énormément. Être passeur, c’est le métier que l’on apprend au Conservatoire.

ODETTE SIMONNEAU > Mais dans votre Compagnie, vous fabriquez des spectacles de A à Z.

YANN-SYLVÈRE LE GALL > On est auteurs, puis metteurs en scène et en plus interprètes. Mais les fonctions tournent entre nous. On se cherche, sans certitude d’avoir trouvé la solution. On se diffuse tranquillement. D’abord le département, puis la Bretagne, et maintenant le Grand Ouest… De Bordeaux à la Normandie. Bientôt plus loin encore. Bien sûr, c’est un processus qui prend du temps…

PLACE PUBLIQUE > Vous, Odette Simonneau, ce n’est pas tout à fait votre histoire?

ODETTE SIMONNEAU > Le CDO (Centre dramatique de l’Ouest devenu plus tard la Comédie de l’Ouest) m’a demandée parce qu’ils m’avaient vue au Conservatoire et c’est surtout au CDO que j’ai fait ma formation. Mais ne n’y ai jamais été permanente! Comme il fallait bien vivre, j’ai fait du théâtre forain, jouant par exemple Les deux orphelines. On était dans les années 55! J’avais vu des roulottes sur le Champ de Mars et près de l’une d’elles un panneau où était écrit: «Demandons comédienne pour jouer les deux orphelines dans les patronages »! Chaque acteur faisait trois ou quatre rôles, mais moi la débutante, je ne faisais que l’orpheline! On m’a dit: venez répéter demain. J’ai essayé d’apprendre mon texte et suis revenue le lendemain dans la roulotte! Il y avait là deux femmes et trois chaises! Je me suis étonnée: « les acteurs ne sont pas là? » Non, me répond-on, ils font autre chose. En fait, j’ai compris bien après que pendant ce temps, ils prospectaient dans les villages, cherchaient des salles, nouaient des contacts. J’ai donc répété avec deux femmes et trois chaises pour me retrouver le lendemain au patronage de Guipel avec une troupe qui s’appelait La Comédie de Paris!

PLACE PUBLIQUE > Comment cela s’est-il passé alors au patronage de Guipel ?

ODETTE SIMONNEAU > Comme décor il y avait une forêt qui représentait les extérieurs de Paris et puis la bâche se retournait… Une porte et une fenêtre y étaient dessinées. On m’avait donné une jupe que je mettais par-dessus, un fichu sur la tête, les deux femmes, c’était pareil. Mais les acteurs tenaient au moins quatre rôles, comment pouvais-je les reconnaître dans chacun de leurs rôles? L’un me dit: « tu vas dire hélasss ». Et quand tu diras « hélass », je comprendrai que tu ne sais pas qui je suis! Alors je disais « hélass » et il s’approchait et me murmurait: « Je suis Pierre! » C’était du travail au canevas! Eux inventaient beaucoup! Chacun s’arrangeait avec le texte! Toute cette expérience m’a aidée. Ces comédiens de roulottes, évidemment, ne comprenaient pas qu’on puisse répéter trois semaines ou un mois à la CDO, ils se demandaient bien ce qu’on pouvait en faire! Mais ces acteurs étaient des professionnels! Ils ne faisaient que cela. Ils faisaient tout.

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Déjà un théâtre assez physique!

PLACE PUBLIQUE > Votre compagnie, Ocus, renoue d’une certaine manière avec ce théâtre forain?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Oui, avec l’itinérance, le chapiteau, les caravanes…

ODETTE SIMONNEAU > J’ai vu des troupes de très grande qualité qui allaient ainsi de village en village. Elles ne jouaient que des mélos. Mais il y en avait de très bonnes ! Ces gens là, la télévision les a tués.

PLACE PUBLIQUE > Et vous, à Ocus vous cassez les téléviseurs ?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Oui, à la masse! On ne casse pas les télés tous les jours. Mais les gens ont besoin de se retrouver. C’est Claire Laurent dans la Compagnie qui dit: « Ne laissons pas les écrans tuer les berceuses ». Ça prend du temps de mobiliser les gens. Quand ils rentrent du travail, ils n’ont pas envie de remettre le manteau pour sortir. Pourtant, il y a encore du monde sur les gradins! Pour nous, c’est une nécessité de proposer notre regard sur le monde. Les gens ont besoin de rêver. Rêver dans le sens de l’évasion, mais aussi rêver dans le sens politique.

PLACE PUBLIQUE > Quand on regarde le message que voulait porter la CDO en Bretagne, en allant d’une ville l’autre, au fond, vous ne quittez pas l’objectif l’objectif de Jean Vilar, militant et politique?

ODETTE SIMONNEAU > C’était le théâtre populaire mais je ne suis pas sûre que tous les comédiens le pensaient. Ils étaient aussi là pour gagner leur vie.

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Il faut sans doute aussi des meneurs et des comédiens ayant moins de sens politique mais dont le théâtre est le métier, la passion. L’amour du théâtre, c’est le moteur principal !

ODETTE SIMONNEAU > C’est ce mélange qui est agréable! Cet amour du théâtre, ce besoin de se cultiver, encore que parfois, quand je vais au TNB, je me dis parfois que ce sont quand même des bobos, mais pas seulement ! Il n’y a que le TNB à pouvoir accueillir des pièces qui sont des expériences, des créations. Là je suis pour, totalement, y compris pour des pièces que les gens n’aiment pas ! Ça crée la dispute, le débat, c’est absolument nécessaire. Mais d’un autre côté, j’aimerais aussi que le TNB accorde un peu plus de place à des compagnies inconnues ou qui débutent. Qu’ils leur fassent confiance. Ce serait bien qu’une fois par an ils se mouillent pour des gens comme cela, des gens qui ne touchent pas de subvention de la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) !

PLACE PUBLIQUE > C’est le cas d’une compagnie plus jeune comme Ocus ?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > C’est vrai que nous ne sommes pas soutenus par la Drac. On n’a que dix ans d’existence. Chaque chose en son temps! Il y a plus de 400 compagnies en Bretagne, dont seules une trentaine sont conventionnées ou bénéficient d’aide à la production. Mais nous bénéficions d’autres soutiens: en plus des institutionnels, il y a les gens, les voisins, le public! L’appel au mécénat populaire a très bien fonctionné et ça nous donne confiance.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez raison d’insister sur le temps. Vous voulez dire aussi que politiquement, socialement, les effets ne se révèlent, pour vous et le spectateur, que dans le temps long?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Au spectacle, la fin n’existe pas ! Certes, il y a des applaudissements. Mais rien n’est fini. Tu rentres chez toi, tu n’es plus tout à fait le même. Tu es quelque chose en plus.

PLACE PUBLIQUE > Voilà une vision presque initiatique du spectacle, il transforme… Est ce que vous, Odette Simonneau, le théâtre vous a transformée?

ODETTE SIMONNEAU > Moi, je ne me suis jamais prise au sérieux. Je ne me considère pas comme un personnage important. D’ailleurs, plus je vais plus je m’aperçois qu’il y a plein de choses que je ne sais pas faire. Tiens, j’aimerais aller vous voir travailler, Yann-Sylvère.

PLACE PUBLIQUE > C’est un comble! On pensait faire dialoguer ici un artiste qui a de l’expérience et un jeune acteur qui se lance. Or, c’est Odette Simonneau qui dit au jeune acteur qu’elle aimerait le voir au travail !

ODETTE SIMONNEAU > Un comédien qui proclame « j’ai du métier », il faut qu’il arrête! Parce qu’on apprend tout le temps ! En plus, le théâtre change. Quand vous écoutez par exemple Gérard Philipe et sa façon de parler ! On était tous admiratifs devant sa voix, sa personnalité! Maintenant ça ne vaut plus une tune!

PLACE PUBLIQUE > Revenons à vos débuts. D’où vous est venue l’idée de faire du théâtre Mme Simonneau?

ODETTE SIMONNEAU > J’étais très timide et pensais qu’aller au conservatoire m’aiderait à combattre cette timidité. Il paraît que, très jeune, je disais que je voulais faire du théâtre. Mais de cela je ne me souviens pas. Je crois que chanter m’aurait beaucoup plu. Petite fille et adolescente, j’aimais chanter. D’ailleurs, on me demandait de chanter dans des fêtes à Melesse ou ailleurs. C’est comme ça que c’est arrivé: j’ai eu la chance même si j’ai subi de grandes périodes de chômage. J’ai fait des sondages d’opinion! Et m’y suis beaucoup amusée! Je ne regrette pas ces années- là. A l’époque on allait frapper aux portes. C’était formidable! Je rechargeais mes accus en faisant cela. Je rencontrais des personnages. Une galerie de portraits !

PLACE PUBLIQUE > Et vous Yann-Sylvère, d’où vous est venue l’idée de faire l’acteur ?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > À cause de Damien, un ami d’enfance, à la maternelle! Il m’a dit « allez, je ferais bien du roller, tu t’inscris avec moi ? D’accord. » Et puis l’année d’après : « Je m’inscris au théâtre, tu t’inscris avec moi ? D’accord ». Assez vite, j’ai senti qu’il se passait là quelque chose qui m’intéressait. J’avais 6 ou 7 ans. C’était au théâtre de la Gâterie à Saint-Grégoire. Pendant sept ans, j’ai eu Bertrand Culerier comme professeur de théâtre. Avec lui, j’ai appris que le théâtre était un métier humain. Puis je me suis du coup inscrit au lycée-théâtre et ensuite au conservatoire où j’apprenais avec Daniel Dupont. En parallèle, Ocus naissait. Avec le temps, on s’est aussi construit avec la Compagnie.

ODETTE SIMONNEAU > Avec qui travailles-tu à Ocus ?

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Le noyau de l’équipe, c’est Anna, Claire, David, Laurence, Mélanie, Camille, Mélinda et Ludivide. Tous complémentaires. C’est avec Anna Hubert qu’on a créé la Compagnie. On s’est rencontrés au lycée Jean-Macé. Toujours ce même ami d’enfance, Damien, qui me disait « il y a une fille dans mon collège, elle est passionnée comme toi! » Et pendant tout mon collège, j’ai entendu parler d’une Anna! Il lui avait aussi parlé de moi. Quand j’ai retrouvé Anna en seconde, je la connaissais déjà sans l’avoir rencontrée! Avant le bac, on animait des ateliers pour le plaisir. On nous a proposé de nous payer et cet argent nous a permis de créer la compagnie, d’acheter des décors. D’autres personnes se sont ajoutées, d’autres sont parties. Une vie de compagnie, c’est fluctuant.

ODETTE SIMONNEAU > Heureusement que c’est fluctuant. Quand on travaille tout le temps avec les mêmes, année après année, il y a des tics qui s’installent !

YANN-SYLVÈRE LE GALL > C’est pour cette raison que je ressens le besoin d’être appelé ailleurs. J’aimerais qu’on m’appelle pour faire mon métier de comédien. J’aimerais être juste l’interprète.

ODETTE SIMONNEAU > Alors que moi, tu vois, je n’ai jamais été que cela: l’interprète! J’ai joué à la Comédie de SaintÉtienne. C’est là que j’ai rencontré Jean-Claude Drouot qui m’a mis en scène dans le monologue Je me suis tue. Je suis allée à Saran, près d’Orléans, où j’ai joué Scènes de chasse en Bavière, mis en scène par Patrice Douchet. Et puis à Paris où l’on a fait un spectacle sur Tchernobyl d’après Svetlana Alexievitch.

YANN-SYLVÈRE LE GALL > J’ai « panouillé » un petit peu, moi aussi. À l’Opéra de Rennes, à trois reprises. Convoqué en tant qu’acteur professionnel mais en réalité tu es là comme figurant… C’était très agréable d’arriver et d’observer une grande maison comme l’Opéra de Rennes. Et en même temps, c’est une petite équipe. On y rencontre des costumières, des habilleuses, des coiffeuses, des maquilleuses ! Des gens que j’ai revus pendant trois ans, tous d’une gentillesse et d’un professionnalisme hors pair ! Mais ces métiers disparaissent. Daniel Dupont me parlait d’un cordonnier qui lui avait fait des chaussures à sa pointure, à sa forme. C’était le dernier cordonnier en France qui bossait dans un théâtre! Un cordonnier de théâtre! À l’Opéra de Rennes, le directeur vient dans les coulisses. Il te connaît. C’est une petite maison dans laquelle tu entres. Le théâtre crée cela! Chacun sa place: tous les techniciens et Sébastien Bourdon l’excellent régisseur général.

ODETTE SIMONNEAU > Un technicien de la Compagnie d’Orléans m’avait dit: on a vu beaucoup d’acteurs de passage, mais « c’est toi qui remportes la palme! » Cela veut dire que pour moi, le théâtre c’est une troupe. Quand je joue Je me suis tue, Béatrice Laîné me suit. Elle est costumière mais crée aussi les décors. Si elle n’était pas là, le spectacle ne serait pas ce qu’il est. Ça m’est arrivé de lui dire: « ah, ce soir je me suis sentie bien… » Et elle, spontanément de me rétorquer: « pourtant ce n’est pas vrai! Là, t’as fait ceci ou cela… » Ça remet les choses en place.

YANN-SYLVÈRE LE GALL > Si j’ai réussi à faire du théâtre, au bout du compte, c’est parce que j’ai rencontré Anna Hubert. Tout seul je n’y serais peut-être pas allé! Il faut du courage pour en faire sa vie, aller sur scène et travailler avec tous les autres corps de métier. Sans elleje n’aurais pas fait de théâtre. Et inversement ! On se l’est dit. On le sait. Maintenant on est plus assagis, mais il y a toujours cette envie de travailler ensemble.