<
>
Dossier
#24
Les intermittents, un statut à défendre
RÉSUMÉ > Le statut des intermittents du spectacle est parfois décrié car coûteux pour la société. Beaucoup d’idées fausses circulent sur ce dispositif d’aide à la création artistique qui concerne 1 233 personnes en Ille-et- Vilaine. Qui sont ces intermittents? Comment fonctionne ce régime d’indemnisation? Quel est son avenir? Réponses et point de vue de Gaby Bonnand.

     Ils sont artistes ou techniciens. Metteurs en scène, acteurs, comédiens, chanteurs, danseurs, musiciens, techniciens…, tous ceux et toutes celles qui nous permettent de goûter à la richesse de l’expression culturelle à travers le cinéma, le théâtre, la chanson, la comédie, la musique… Voilà qui on nomme quand on parle des intermittents du spectacle.
     Derrière ce terme, deux choses s’entrechoquent : un statut administratif et des métiers.

     Le statut n’est pas nouveau. Il veut prendre en compte la spécificité des métiers du spectacle. La création du régime salarié intermittent pour les cadres et les techniciens du cinéma date de 1936, du Front Populaire, sous le vocable de « salarié intermittent à employeurs multiples ». À l’époque le cinéma avait du mal à trouver, pour des durées courtes, des techniciens de différentes professions, qu’il s’agisse de menuisiers ou de peintres par exemple pour les décors de films. D’où la création de ce que l’on peut appeler une dérogation au droit commun du travail, avec la mise en oeuvre de règles spécifiques d’indemnisation des salariés de ce secteur.
     Au milieu des années 60, la dérogation est encore élargie aux techniciens de l’audiovisuel et du spectacle. Puis c’est au tour des artistes à la fin des années 60. Cette dérogation devient un statut qui intègre le régime d’assurance chômage créé en 1958 comme régime spécifique, sous forme de deux annexes. Une, appelée Annexe 8 concerne les ouvriers et les techniciens « de l’édition phonographique, de la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio, de la diffusion et du spectacle ». Une autre, dite annexe X, concerne les artistes.

     Ce régime permet aux ressortissants de ce statut, pour les périodes sans salaires ou sans cachets, de percevoir une indemnisation de la part de Pôle emploi sous la condition d’avoir réalisé 507 heures au cours des 319 jours précédents pour les artistes, et 304 pour les techniciens. Entrent aussi en ligne de compte des périodes de stage et des heures d’enseignement sous certaines conditions.  
     Sur les 2 678 artistes et techniciens qui ressortent du statut des intermittents fin 2011, en Bretagne, ils sont 1 233 en Ille-et-Vilaine. Près de la moitié du total régional. C’est aussi le signe du dynamisme culturel de Rennes et des alentours. « L’Ille-et-Vilaine est un territoire où il y beaucoup de création », note Arnaud, acteur et metteur en scène. La création, voilà l’autre visage de l’intermittence. Celui d’hommes et de femmes qui exercent de véritables professions pour lesquels ils se sont formés, comme Arnaud qui a fait l’école du Théâtre national de Bretagne. Rien que pour le théâtre, l’agglomération Rennaise compte 80 compagnies professionnelles.

     Arnaud a fondé, il y a quelques années, une de ces compagnies, Indiscipline. Avec elle, il a mis en scène À nos étoiles d’après le poème d’une jeune auteure autiste, Babouillec. La compagnie a coproduit la pièce avec le TNB et L’Aire Libre. « Un travail important, la création a duré deux ans et pendant ce temps là, il faut vivre, indique Arnaud. J’ai été saisi par l’authenticité de cette pièce, et par les émotions que ce travail entre un auteur autiste et un metteur en scène est capable de faire passer. »
     Pas simple d’expliquer à la fois le statut et le métier : « Quand on me demande ce que je fais, je ne dis pas je suis intermittent. Je dis que je suis acteur et metteur en scène », dit Arnaud. « L’intermittence, poursuit-il, ce n’est pas l’alternance entre des périodes de travail et des périodes d’inactivité. Quand je suis indemnisé par l’Unedic, je suis en travail et en recherche d’emploi. Mais mon emploi dépend aussi de la création que je réalise. Si il n’y avait pas ce régime, je ne pourrais pas créer de spectacle qui nécessite du temps pour pouvoir le produire, le coproduire ou le diffuser ».

     En effet le terme intermittent peut laisser penser que ses bénéficiaires n’exercent pas à temps plein. Les métiers d’artistes ne seraient que des petits boulots « Ce n’est pas la réalité. Ce qui est difficile à vivre parfois, c’est qu’on nous met dans des cases », nous dit Jean, clown, comédien, conteur. Son passage par les beaux-arts lui a permis d’avoir plusieurs cordes à son arc. Il fait ce métier d’artiste depuis 1996, date de sa démission d’une entreprise où il était ingénieur informatique. Actuellement, en répétition pour une pièce qu’il va jouer au festival d’Avignon, il travaille tous les jours. « En plus il faut que je cherche d’autres contrats pour la suite. On apparaît comme des gens super aidés par Pôle emploi. En fait pour trouver des contrats, il faut aussi créer. Sans ce statut on ne pourrait pas. On a le sentiment que notre travail n’est pas reconnu à sa juste valeur ».

Hyper-flexibilité et polyvalence nécessaires

     Entre hyper-flexibilité, réalisation de soi et participation à la vie de la cité par son travail, ce statut de l’intermittence est assez révélateur de questions qui se posent au monde du travail dans son ensemble. Peut-être plus qu’ailleurs la polyvalence et le développement de nouvelles compétences sont importantes. Jeanne en est convaincue. « J’ai la chance d’être polyvalente. Danseuse, chanteuse, je fais aussi du théâtre. C’est d’ailleurs l’écriture qui m’a amenée au théâtre. Je fais aussi du comique qui connaît un regain. En temps de crise comme actuellement, soit on appartient à une famille, on est reconnu et on est demandé. Soit on est polyvalent. Soit en ne s’en sort pas. Ceux qui galèrent sont ceux qui ne sont pas polyvalents ».
     Si tout le monde reconnaît la spécificité des métiers du spectacle, la question de la répartition de la charge pour financer le statut est une question. « Notre public est divers et l’on s’adresse à tous. Or la charge est mal répartie puisque tout le monde ne cotise pas au régime, seuls les salariés du privé le font », rappelle Jean. Cette vraie question a conduit en partie à la réforme de 2003, réforme très ancrée dans les mémoires.

     Lors des négociations de 2003, sur la convention d’assurance chômage, on a modifié la période de référence pour calculer les 507 heures ouvrant droit au versement d’indemnités. Celle-ci est passée de douze mois à dix mois (ou dix mois et demi suivant les cas). Ce changement a donné lieu à une mobilisation des intermittents qui y ont vu un durcissement des conditions d’accès au statut. Mobilisation qui a conduit à l’annulation de plusieurs festivals.
     Dans le même temps, la réforme a provoqué une modification de l’architecture du régime. Au statut financé jusque-là par l’assurance chômage est venu progressivement s’ajouter un fonds financé par l’État. Et la signature de la convention assurance chômage renégociée en 2006 n’a été possible qu’à deux conditions exigées par les signataires. D’un côté un engagement ferme de l’État pour rendre pérenne ce fonds créé à titre transitoire en 2003. D’autre part, un engagement de la profession de mieux organiser l’intermittence, notamment par de véritables négociations de conventions collectives.
     Le 1er janvier 2007, le fonds est devenu le Fonds de professionnalisation et de solidarité (FPS). Financé par l’État, il comporte un volet indemnisation qui prolonge celle de l’assurance chômage sous certaines conditions, et un volet professionnalisation et social.

     On peut considérer que la solidarité interprofessionnelle qui se manifeste à travers le régime de l’assurance chômage est d’autant plus acceptable que la profession s’engage à s’organiser et à se structurer. Et que l’État fait jouer la solidarité nationale au bénéfice de ces salariés du spectacle.
     Pour autant, la situation des artistes et des techniciens du spectacle ne se résume pas au statut. Le budget de la culture qui est en baisse a pour conséquence de diminuer le montant des salaires. « Depuis que j’ai commencé, ils ont chuté de 25 %, estime Arnaud. Ce qui a des conséquences énormes sur les indemnités qui sont versées, puisque c’est à partir des salaires qu’elles sont calculées ».

     Au-delà du dispositif de soutien aux artistes, qui doit reposer sur le triptyque: solidarité professionnelle, solidarité interprofessionnelle et solidarité nationale, le secteur doit aussi s’organiser pour mieux permettre à des « artistes émergents » de travailler et de percer. Et Arnaud de développer l’idée de fabrique. « Dans le spectacle vivant il faudrait créer des fabriques, des lieux de réalisation, de création. Des sortes de pépinières qui permettraient à des artistes de travailler. C’est ce que j’essaie de faire en fédérant des jeunes artistes. »
     En fin d’année, début d’année prochaine, la négociation sur la convention assurance chômage va avoir lieu. La question du statut des intermittents va revenir sur la table. Parions sur l’intelligence de tous les acteurs pour que le spectacle reste vivant. La profession, l’interprofession (régime chômage) et l’État ne pourront se renvoyer la balle. Les raisons d’espérer n’existent que par l’action concertée des trois parties.