2040, est-ce loin? Vingt-huit ans en arrière nous font remonter à 1984. Vingt-huit ans en avant nous conduisent à cet horizon qui n’est autre que l’échelle d’une génération désormais. En vingt-huit ans, la pyramide des âges se déforme en raison des naissances et des décès mais aussi des entrées-sorties de population. Ce qui vaut pour les ménages vaut aussi pour les entreprises (créations-innovations-successions-maintiens-fermetures).
L’attractivité de Rennes vis-à-vis de l’extérieur, la concurrence avec d’autres villes proches, la gravité interne de la vie urbaine dans l’agglomération rennaise et les choix politiques de redéploiement sont des forces majeures qui s’exerceront sur cette échelle de temps. La Datar vient de publier « des images de la France en 2040 ». Selon elle, une Mercapôle est un territoire à gouvernance faible, une zone où les solutions de marché à l’américaine l’emportent… Une Regiopôle est dotée de compétences étendues dans les domaines des transports, de la santé, du développement durable et du développement économique.
Des scénarios construits sur la base des tendances lourdes déjà à l’oeuvre, mais aussi à partir d’éléments de mutations difficiles à prévoir aujourd’hui et de volonté plus ou moins forte de développement durable à l’Ouest de la France, permettent de dégager deux vues panoramiques sur Rennes en 2040. Une vue triste de Rennes noyée dans un système incontrôlé de Mercapôles (dérégulés au sein d’une globalisation galopante). Une vue optimiste de Rennes bien placée au sein des Regiopôles et Archipôles (à gouvernance resserrée et maillés dans des archipels territoriaux aux compétences renforcées). La deuxième vue serait évidemment la plus souhaitable!
Scénario 1, en 2040, l’économie française souffre de la perte de ses emplois industriels et la société est éclatée en communautés avec forts particularismes, chaque communauté étant installée dans la défense de situations de plus en plus précaires et injustes (les inégalités de tous ordres se sont fortement accrues).
La ville est composée de différents périmètres où l’on a vu se développer des pratiques ségrégatives après les troubles économiques et sociaux de 2014-2015 qui ont fait suite à l’éclatement de la zone euro. Rennes sert de plateforme logistique de deuxième catégorie à tous types de flux commerciaux (marchandises, services) au service d’entreprises domiciliées dans les lointaines capitales asiatiques. Administrativement parlant, Rennes ne conserve qu’une partie des fonctions de métropoles régionales, la région Grand-Ouest étant désormais écartelée entre Brest, Nantes, Caen et Angers.
La péri-urbanisation est généralisée, le paysage est banalisé, les dernières exploitations agricoles des communes environnantes ont cédé la place à des espaces de logement ou d’activités diverses. Les moyens consacrés à une politique de spécialisation des espaces, de constitution de couloirs verts, de réservation pour les loisirs sont devenus insuffisants… et les communes sont désormais conduites à n’investir que dans des fonctions plus primaires d’entretien de voiries et de contribution aux dépenses de sécurité. La seule ressource fiscale est le foncier bâti ce qui a arrêté l’accession aux grands logements et la dé-cohabitation entre parents et enfants majeurs.
La mobilité a régressé car la deuxième ligne de métro n’a pu être terminée faute de finances publiques locales et d’accès à l’endettement de la banque européenne d’investissement : les coûts pétroliers pour les voitures personnelles étant inaccessibles à une grande partie de la population ont entraîné le repli sur les quartiers ou les communes périphériques.
Les jeunes essaient d’aller faire leur vie ailleurs. La ville s’ennuie quand elle n’est pas troublée par des incidents urbains.
Scénario 2. En 2040, il n’est pas dit que Rennes est devenue une super-métropole régionale. Les villes de Saint- Malo, Vitré, Laval, et aussi de Vannes-Lorient, Saint Nazaire et Nantes ont été très attractives également, Brest est une métropole Mer (commerce et plaisance, industrie des énergies renouvelables) orientée à l’international. Cet équilibre du territoire à l’Ouest a été voulu. Entre 2012 et 2040, les choix politiques des élus locaux rennais n’ont jamais été « Big Rennes is beautiful »! La région Bretagne, par son dynamisme et son exemplarité citoyenne, a pu choisir d’adopter les compétences optionnelles qui en font une région plus autonome et responsable (l’acte trois de la décentralisation n’a développé que la possibilité de compétences facultatives aux régions en raison de la faiblesse de la gouvernance dans certaines régions françaises).
En accord avec l’autre métropole régionale, Nantes, et les villes moyennes de Bretagne, c’est la métropole rennaise qui a servi de premier point d’appui à la nouvelle stratégie de développement urbain durable. Passer de 400 000 habitants à 600 000 n’a pas été neutre, la grande ceinture verte à été préservée mais la densité de population a été accrue intra-muros (250 000 habitants) et dans quelques communes voisines (Saint-Jacques de la Lande par exemple). La croissance a résulté aussi du choix de plusieurs communes limitrophes d’intégrer la « ville »: ces communes se sont rendu compte que l’agglo était le meilleur moyen de partager les décisions citoyennes et socioéconomiques de la vie de tous les jours.
Les bases taxables sont le foncier bâti mais aussi les activités économiques soumises à la contribution économique territoriale. Les besoins d’ancrage territorial renforcé des entreprises rennaises, grandes, moyennes ou petites font que cette taxe est considérée comme contrepartie normale aux services fournis par les infrastructures publiques et l’accès aux compétences d’une « intelligence d’oeuvre » très appréciée en raison de la performance du système universitaire rennais (académique et professionnel). Les entreprises de recherche sont nombreuses aux sorties de l’incubateur placé à la sortie des laboratoires de recherche et à Rennes-Atalante 2100.
La croissance de Rennes a continué d’être aussi la conséquence de la perte relative d’attractivité des grandes villes d’Ile-de-France. Le volontarisme d’une dépense publique locale importante a payé: à une heure de « Paris- Issy-les-Moulineaux-nouvelle gare TGV », on trouve la gare « LGV Rennes-portes de la Regiopôle-Bretagne » Aux alentours desservis par des voies piétonnes, deux lignes de métro, des plateformes intermodales et des parkings de dégagement des voitures vers l’extérieur, on travaille toujours mieux à Rennes.
Et surtout on y vit mieux avec des services publics locaux qui se sont développés en quantité (écoles, piscines, stades, jardins publics, lieux culturels) et en qualité (accès facile, conditions tarifaires adaptées aux différents publics). La question des réponses à la demande croissante de mobilité interne a été résolue par des offres bien calibrées de bus et de métros, le co-voiturage et le vélo gratuit et une nouvelle offre commerciale de proximité ou de livraison à domicile.
Concernant le logement, tous les nouveaux immeubles sont « passifs » au plan de l’énergie depuis 2022 et les émissions de carbone ont diminué de 80 % c’est-à-dire un peu plus que la moyenne française. L’eau chaude est d’origine solaire à 75 %. Les nouveaux habitants des nouveaux immeubles en centre-ville n’ont pas nécessairement accès à un garage et les parkings-relais sont beaucoup plus nombreux et surtout dotés de navettes bien cadencées. Les comportements ont radicalement changé par rapport à l’utilisation des énergies fossiles depuis l’instauration de la taxe carbone en 2017 avant les élections présidentielles. L’empreinte carbone régresse encore chaque année.
Rennes est un exemple d’intelligence territoriale urbaine et de bonne gouvernance. On observe toujours plus de gouvernance participative, vie associative et de réseaux sociaux, les services publics locaux sont optimisés par des process de suivi-évaluation des réalisations et des résultats de l’action publique; l’argent public est efficacement alloué aux priorités du futur, les politiques publiques sont toujours considérées comme perfectibles et des referenda locaux peuvent aussi les contester ou demander leur réforme.
Les proximités géographiques favorisent la vie en ville, dans toutes ses dimensions (dont la dimension culturelle avec les salles spécifiques et les médiathèques) et pour toutes les générations. La vie associative dans toutes ses modalités (y compris avec des salles immersives de réunion à distance) structure la vie des populations, les groupes d’appartenance et surtout la prise en charge de nombreuses activités para-éducatives, culturelles, paramédicales, para sportives, les loisirs.
Les nouveaux emplois sont dans l’intelligence et la connaissance (les Eds comme éducateurs), la santé (les Meds comme médico-sociaux), et la culture et les médias. Les éducateurs de la maternelle à l’université sont devenus des créateurs et des éditeurs de connaissances ouvertes à tous. Rennes a toujours eu une longueur d’avance pour l’« open data »,n mais on est bien au-delà de la première cantine numérique: ce sont des plateformes de données et de connaissances qui enrichissent en temps réel les flux de données de toutes sortes qui permettent de mieux agir dans sa vie professionnelle et ses loisirs.
Les médias locaux sont à la pointe des éditions continues d’échanges d’informations et de connaissances sur tous supports par tout un ensemble d’experts recrutés par les nouveaux journalistes (l’édition papier du grand journal local est maintenue mais le lectorat participe à la création de pages interactives indexées par mot clé et réactualisées en permanence).
Les plus anciens se souviennent du slogan inventé au tournant des années 2010: à l’époque, on était passé du slogan de « vivre en intelligence » à « ville de tous les savoirs et compétences »!