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Contributions
#10
Dix ans de rénovation.
Le nouveau destin
du Blosne
RÉSUMÉ > La population du Blosne est en baisse. Le quartier ne correspond plus aux besoins d’aujourd’hui. La rénovation qui va commencer s’étalera sur quinze ans. Elle passera par de nouvelles constructions et par l’implantation de nouvelles activités. La population y sera associée selon une méthode originale : des ambassadeurs du quartier récolteront les avis, un atelier urbain est ouvert, un voyage d’études a conduit une centaine d’habitants à Berlin, et un livre est en préparation pour raconter l’histoire du Blosne.

     « L’architecture des Trente Glorieuses fut porteuse d’un projet social irremplaçable »
     Rem Koolhaas, in d’Architectures, 190, octobre 2010 
     « Une ville achevée est une ville morte »
     Antoine Grumbach à Rennes le 7 décembre 2010      

     Les Zup ne sont plus des glacis figés, destinés à devenir des banlieues oubliées. Le Blosne, au sud de Rennes, cherche discrètement une troisième voie : une métamorphose à la fois de son histoire – larguer définitivement l’étiquette peu reluisante de Zup pour celle indécise de quartier – et de son espace bâti. Programmée il y a 50 ans, cette Zup fut formatée par des préoccupations, des demandes et des horizons d’attentes qui n’ont plus cours aujourd’hui. Ces marques de fabrique, si elles n’étaient pas gommées, risqueraient de se transformer en stigmatisations durables.       
     Cette dérive est apparue comme un péril sérieux : les responsables ont voulu l’endiguer. Pour se retrouver dans ce projet urbain en cours de lancement, on tirera trois fils successifs : d’abord les symptômes qui ont décidé à engager une opération de réajustement du secteur, ensuite les pistes possibles pour refonder un territoire urbain, enfin quelques modes opératoires pour une intervention refondatrice.

     La Zup-Sud s’est construite de 1967 à 1980. On disait qu’elle allait réunir dans ses 8 000 logements l’équivalent de la ville de Saint-Brieuc. Michel Marty, l’urbaniste du Blosne, fit avancer son plan avec l’esprit de ne pas le figer. Pour preuve, il exigea de travailler avec les architectes des promoteurs pour agencer et mettre en cohérence les projets de réalisation. Il décida aussi de laisser un espace vide avec la volonté explicite de permettre aux habitants d’y programmer ce qu’ils souhaiteraient. Ainsi naquit le Triangle en 1985.
     Mais, depuis, le monde qui tenait ensemble cette organisation a changé. D’autres ensembles se sont édifiés : la Poterie, les Longs Champs, Beauregard... Ils offrent des conditions d’accueil plus contemporaines. Les implantations d’immeubles (moins élevés, construits en bord de rue selon de nouvelles trames comme l’îlot ouvert...) y dessinent des paysages moins rigides. Les doctrines d’urbanisme se sont profondément renouvelées. Il est difficile aujourd’hui de soustraire la lecture d’un secteur comme le Blosne à la grille de la « ville soutenable ». Autre mutation rennaise qui bénéficie au Blosne : l’arrivée du métro. Il désenclave le secteur et met ses habitants à sept minutes du centre-ville.
     Dans ce contexte favorable se sont glissés des facteurs d’une autre coloration. Le passage du monde de la Zup à celui d’un quartier a fortement été soutenu par les élus et les habitants sans trop savoir quel pourrait être l’indice nécessaire pour en avérer l’accession. D’autant que lui colle à la peau plusieurs étiquettes : celle d’abriter les « sudistes », expression qui accréditait une vague idée sécessionniste ; celle d’un grand corps malade auquel on applique tous les remèdes publics successifs : DSQ, politique de la ville, Anru et des périmètres de traitements (Zus, Zep…) ; celle aussi d’être le secteur rennais cosmopolite qui abrite la part la plus forte de la population immigrée (peu importante à Rennes) et où se manifestent des poussées de ghettoïsation recherchée par telle ou telle nationalité (la petite Turquie). La disparition des activités de production électronique, le mono-fonctionnalisme du secteur amplifie la fonction de grand dortoir, d’espace endormi.
     Bref, une image extérieure peu reluisante tandis que celle que s’en font les habitants se colore de moins de couleurs sombres. Une des conséquences de ce divorce a été la difficulté d’y maintenir la population, et l’arrêt pur et simple des constructions d’immeubles depuis les années 80. Quelques indicateurs sur la Zus (la partie centrale du Blosne) révèlent un état dépressif préoccupant ; la population est passée de 9 357 habitants en 1999 à 8 832 en 2006 ; les ménages non imposés sur le revenu grimpent de 51 % (2005) à 56 % deux ans plus tard et le Blosne accueille plus du quart des chômeurs rennais. Les responsables locaux ont perçu qu’il fallait procéder non pas à l’application de cautères mais à une intervention beaucoup plus radicale.

     Un bref retour sur l’organisation du Blosne invite à la «ré-forme». On y perçoit la superposition de deux modèles. Le premier est typiquement issu du mouvement moderne. Habiter d’abord : les logements étaient conçus pour n’être qu’une étape dans un parcours résidentiel. Travailler ensuite : 600 ha de zones industrielles, sans compter Citroën La Janais, sont à proximité immédiate.
Se cultiver le corps et l’esprit : les espaces verts riverains des immeubles y satisfont. Circuler, enfin : c’était le temps de la bagnole conquérante, et tandis qu’on planifiait l’accès au centre de Rennes par autoroute, la Zup offre des artères de grand gabarit. Pour décongestionner ce centre, elle accueille quatre grandes pénétrantes (Nantes, Crimée – Fréville, Châtillon, Vern), ensuite trois grands boulevards (Grimault, Yougoslavie, et Bulgarie-Portugal) parallèles à la rocade.
     Le second modèle, venu de Norvège mais aussi de la ville de Radburn (New Jersey à 50 km de New York) inspirée de l’américain Clarence Perry, organise des unités de voisinage pour contrecarrer et l’effet de masse induit par l’immensité de l’opération (300 ha) et le déferlement de voitures. Pour ce faire, des îlots de 400 m de côté sont délimités par des voies rapides contenues à leur périphérie ; logements et centres commerciaux s’établissent sur le pourtour avec de généreux parkings (deux places par ménage), quand les équipements scolaires, les espaces de jeux, les salles de sports et de réunion sont situées à l’intérieur de l’îlot pour permettre aux piétons de se déplacer sans risques.
     Cette forme a répondu à des attentes et modelé les mentalités. Les habitants du Blosne sont venus d’autres quartiers de la ville, mais aussi des campagnes et des pays du tiers monde ; et ils ont trouvé une organisation spatiale rassurante, quasi villageoise, à ce point qu’aujourd’hui, on se sent autant du Landrel ou de Torigné que de Rennes. Mais, forme transitionnelle vers la ville, elle n’est plus en adéquation avec ce doit être l’esprit d’un grand quartier de Rennes.
     Le défi consiste à transformer une opération des trente glorieuses en un ensemble urbain de vie ; en clair, insuffler un dynamisme capable de fixer une population visible, sur des espaces communs à tout le Blosne : des commerces et des espaces sociaux, culturels... qui retiennent des clientèles de tout le secteur ; des espaces publics qui attirent la foule, donnent envie de sortir sur une rue, sur une place (d’ailleurs inexistante) et non un parking. Alors, on imagine des immeubles non plus désorientés (des fenêtres sur 360°, sans focalisation aucune), mais qui privilégient un devant bordé par de l’espace public et un arrière de desserte, plus en retrait, plus intime.

Une très faible densité : 37 logements à l’hectare

     À diverses reprises dans le passé, élus et professionnels de l’aménagement ont qualifié le Blosne de « cité-jardin ». Non pas pour faire de la rhétorique, mais bien parce qu’au regard de sa composition, ils pouvaient légitimement en parler ainsi. En dressant le bilan de Zup, la Semaeb montrait que sur les 340 ha de l’opération, 115 étaient des espaces verts. Les immeubles de quinze étages, posés sur de la verdure, entourés parfois de grands arbres, semblent égarés dans une chlorophylle très présente. La verdure accompagne des chemins piétonniers et des pistes cyclables tout au long des 4 km séparant à l’est le parc des Hautes-Ourmes et au sud-ouest celui de Bréquigny, passages conçus pour permettre aux piétons d’échapper au côtoiement des voitures. En déplacement doux, on peut aussi rallier toute la façade sud, le long de la rocade où se tiennent promenades, collines et bosquets, stades et circuits de plein air.
     Autre argument qui abonde dans le sens de la cité jardin : la faible densité. Avec 37 logements à l’hectare, le Blosne est très loin de Villejean (qui évolue vers les 80) ou à plus forte raison de la place du Parlement (180 logements/ ha). Pour évoluer vers l’éco-quartier contemporain, il faudra injecter quelques modifications substantielles. D’abord, augmenter la densité de manière raisonnable, car celle-ci devrait contribuer à plus de présences, et donc de services susceptibles d’attirer les clients vers le quartier.
     Cela passe à terme par l’installation d’un centre ou d’un front urbain de quartier visible, repérable, à la qualité architecturale indéniable. Ce front urbain doit bénéficier de l’aubaine que constitue le métro et l’aménagement des accès aux stations. Favoriser, comme dans les pays anglo-saxons et scandinaves, l’implantation de bureaux et de services, gros employeurs, à proximité de ces stations devrait freiner de manière durable l’usage de la voiture dans le quartier. Enfin, aller dans le sens de l’écoquartier suppose de repenser les espaces verts conçus de façon généreuse mais hors des usages contemporains. En particulier, le travail paysagiste doit être éco-responsable, c’est-à-dire qu’il doit d’abord favoriser les déplacements doux à l’échelle du Blosne. Ensuite, il convient d’inscrire les parcs en réseaux, non seulement pour les chemins de desserte de proximité mais aussi pour des circuits au long cours tant pour les humains (pistes de randonnées...) que pour les animaux auxquels on ménagera des dispositifs pour éviter les effets d’insularité.

Des activités, des étudiants, du frottement culturel

     La Zup avait intelligemment mis en oeuvre un réel brassage des standings de logements, rapprochant les catégories sociales. Mais, à la juxtaposition spatiale des groupes sociaux ethniques dans les immeubles, il convient de substituer une réelle mixité qui puisse trouver des formes d’expression culturelles autres que l’usage des paraboles qui enferment dans des mondes étrangers et parallèles ; le frottement culturel doit pouvoir aussi se faire sur le lieu de résidence : les habitants originaires des diverses contrées du monde sont des Français du quartier. Mais, il convient d’activer d’autres leviers pour lutter contre la tendance du Blosne à n’être qu’un immense dortoir.
     L’inflexion donnée à l’usage des tours de la place de Prague peut déclencher de nouvelles dynamiques. La collaboration des bailleurs acquise, les numéros 1et 2 de la place pourraient accueillir, aux sept premiers étages, des étudiants. Le numéro 3 voisin se transformerait en bureaux mis à disposition de quatre organismes d’aide à domicile (Assad, Rennes Santé, Sadaph – Paralysés de France, Domicile action Rennes Sud) ainsi qu’Ipso, une école d’aides-soignants qui s’installerait à Rennes.
     Ces arrivées conforteraient la spécialisation en santé qui se dessine pour le quartier : on imagine une cohérence de vie et des collaborations avec l’hôpital-sud et son personnel, de nouveaux besoins en services et commerces. Cette cohérence pourrait être culturellement appuyée par le recyclage des locaux communs résidentiels de proximité, une synergie renforcée de l’ensemble Triangle, Ty Blosne et Maison des Squares par l’arrivée d’un nouvel équipement tel que le conservatoire de musique.

Cinq cents habitants à une réunion d’information

     Ces quelques bribes ouvrent certes de nouveaux horizons pour le Blosne. Mais, pour éviter de réduire les idées à des rêves, la question de la méthode devient lancinante : comment faire de la « ville durable », comment susciter et soutenir un nouveau et puissant enthousiasme, chez les habitants du quartier, pour un Blosne pleinement inscrit dans la ville et constitutif de la ville ? En faisant appel à Ronan Désormeaux, paysagiste, et à Antoine Grumbach, un architecte-urbaniste illustre depuis les années 1980, militant de la reconstruction de la ville européenne et du quartier comme composante essentielle, les responsables rennais, et notamment l’élu du quartier, Frédéric Bourcier, étaient conscients de l’obstacle à surmonter. Aussi ont-ils introduit dans le contrat qui lie la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre, une clause qui offre une place dans le jeu participatif aux habitants maîtres d’usage.
     L’urbaniste a défendu ses convictions lors de la réunion publique qui a réuni cinq cents personnes le 7 décembre 2010 au Triangle : « Une ville terminée est une ville morte. L’inachèvement du Blosne s’inscrit dans un horizon de construction de la ville sur la ville. La Zup constituait une première installation. Les générations qui s’y succèderont y ajouteront d’autres couches, autour de ce qui bouge le moins : les boulevards et les rues. À l’époque de la construction, on ne sentait pas la nécessité d’espaces publics ni des équipements de rencontres (cafés, cinémas). Ils sont devenus indispensables pour vivre ensemble. Il faut faire du bâti le levier d’animation ; ainsi faut-il retravailler les rez-de- chaussée des immeubles, proposer des escaliers en façades… ».
     Cette procédure ouvre la possibilité d’un processus à inventer pour passer d’une somme hétérogène de demandes à un horizon d’attentes partagé. Une batterie d’initiatives est en cours de lancement qui vise souvent à interpeller les habitants : initiatives d’associations par l’intermédiaire d’artistes qui ont pu s’installer sur le site de Prague ou distribuer des panneaux et recueillir de micro- observations, faits ou témoignages pour les convertir en visites-surprises. Mais l’essentiel de la démarche se fait par des actions qui tournent autour de sollicitations où les confiances et les intérêts se sondent et s’éprouvent.

Le voyage à Berlin et l’atelier urbain

     Le premier outil a été, du 20 au 25 mai dernier, le voyage d’une centaine d’habitants volontaires à Berlin, dans le grand ensemble Marzahn11–Hellersdorf, érigé au temps de la RDA et que les autorités berlinoises ont entrepris de transformer progressivement depuis le milieu des années 1990. Ce voyage a permis aux participants de se connaître en explorant ensemble un monde étranger. Au retour, cet évènement passager s’est transformé en un moment fondateur grâce à la création des « ambassadeurs ». 104 candidatures ont été reçues pour 50 postes. Pour tenir quel rôle ? Sans se substituer à la mission des associations, l’ambassadeur « est un porteur de parole, un générateur d’idées. Il assume la fonction de mieux faire connaître le projet auprès des habitants, jusque dans les micro-secteurs du quartier, et d’entendre les réactions, les suggestions pour nourrir le projet ». Un travail de décantation et de regroupement thématique d’images venues de Berlin et susceptibles d’inspirer le Blosne a été entrepris. Viennent ainsi les « rez-de-jardin » (paysages et usages fourmillant des pieds d’immeubles), les balcons, la couleur sur les immeubles, les espaces de jeux à la « berlinoise » et avec de l’eau et de la « patouille », des instances de discussions inspirées du management de quartier... Le voyage se répètera chaque année.
     Le second outil remarquable et permanent est l’atelier du projet urbain. Installé sur le parvis du Triangle, il assure lors de ses permanences l’accueil du public, la circulation des informations, le recueil des paroles, la présentation des documents qui témoignent de l’état et des avancées du projet. Puis diverses initiatives se mettent en route comme autant de chantiers d’accompagnement : réalisation d’une maquette du quartier, vidéos, balades urbaines, diagnostic des potentiels et des manques, mise en place d’ateliers créatifs, de groupes de réflexion thématique (évolution des espaces et des usages, ville et nature, mobilités, évolution du bâti, réalisation des jardins de proximité, réflexion sur la localisation d’un «citystade »...

     Arrêtons-nous un moment pour donner un sens à l’Histoire de l’urbanisation du Blosne en cours de rédaction. Trois principes l’orientent. D’abord, ce travail répond à une envie nouvelle qui affleure ici et là : demande de conférences, d’expositions ; le temps des débuts s’éloigne, les populations se renouvellent, la curiosité sur les origines s’attise. Le récit à faire constitue aussi la récapitulation de la vie sociale du secteur, la mémoire d’un passé commun partagé. Mais, c’est aussi la transmission d’un héritage, un capital que la génération des pionniers lègue aux générations qui se succèdent sur les lieux.
     Ce tuilage des âges impose de s’organiser en conséquence, par exemple en mélangeant des volontaires, anciens militants, ambassadeurs, pour éplucher les archives, susciter et recueillir des témoignages, imager les ruptures de paysages... Réaliser une histoire qui puisse être une référence suppose encore de faire coopérer les passionnés et les professionnels qui savent réaliser un ouvrage. Bref, mener une action de cet ordre fait écho à d’autres modes d’action en France. Nous pensons à Patrick Bouchain, architecte qui saisit l’opportunité d’une opération architecturale (Le Lieu Unique à Nantes, la Condition Publique à Roubaix...) pour en faire une opération rassemblant les initiatives culturelles (colloques, expositions, recherches diverses). Mais, se pencher sur son passé, occasion de redécouvrir le sens de la forme du Blosne, vise au-delà à permettre aux habitants et en particulier aux ambassadeurs de diffuser mais aussi d’apporter un concours éclairé, argumenté à ceux qui portent la conception du projet urbain.
     Ainsi, l’opération urbaine pourrait être un rendez-vous dynamique entre la ville maître d’ouvrage, l’équipe Grumbach – Désormeaux, dont la feuille de route de maîtrise d’oeuvre est arrêtée pour les dix ans à venir, et la maîtrise d’usage des habitants du Blosne. Avec cette ambition de faire passer ce quadrant sud-est de Rennes d’un certain repli local à davantage d’ouverture ce qui se manifestera par la densification en habitants, en propositions de commerces et services, en diversification sociale, professionnelle ethnique et culturelle qui doit se manifester spatialement, en urbanisation accrue passant notamment par une centralité plus lisible, une mise en réseau de parcs repensés au-delà du Blosne, une ouverture.