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Histoire & Patrimoine
#40
Édouard Ganche,
mon début
dans la médecine
RÉSUMÉ > Dans cette rubrique, nous présentons des livres négligés, oubliés, méconnus. Mémoires, lettres, essais ou romans, ils ont pour point commun d’évoquer la ville de Rennes, même d’une manière furtive, au détour d’un chapitre. Aujourd’hui, nous quittons Rennes pour le village de Baulon à la fin du 19e siècle sur les traces du médecin de campagne Auguste Ganche, tel que son fils Édouard, célèbre musicologue (1880-1845), nous le restitue dans son livre Mon début dans la médecine.

     Les amoureux de Chopin connaissent bien Édouard Ganche qui écrivit au début du siècle dernier une kyrielle d’ouvrages biographiques ou musicologiques sur le pianiste polonais. Mais peu de Rennais savent que cet éminent spécialiste, fondateur avec Maurice Ravel de la Société Chopin en 1911, a passé son enfance à Baulon, près de la forêt de Paimpont, puis sa jeunesse à Rennes. Avant de s’orienter vers la musique, Ganche s’est destiné à devenir médecin dans les pas de son père Auguste, fils d’un libraire de Rennes, venu s’installer comme médecin de campagne à Baulon en 1877. C’est dans cette commune qu’Édouard naquit trois ans plus tard et grandit en suivant son père dans ses tournées de consultation à travers les champs. Mais en 1893, le père meurt, et l’écolier de Baulon s’en va vivre à Rennes (rue des Fossés) avec sa mère qui l’initie à la musique. Après le collège et le lycée, Édouard suit le procès Dreyfus dont, âgé de 19 ans, il assure le compte rendu pour le journal La Sarthe. Il est bientôt chroniqueur littéraire et musical au journal Le Petit Rennais avant de fonder avec des copains, un éphémère bimensuel de quatre pages, L’Union littéraire. Au début de 1903, La Soubrette, une comédie en un acte qu’il vient d’écrire est jouée au théâtre municipal de Rennes, mais cette année-là sa mère meurt. Dès lors Ganche quitte Rennes pour rejoindre Paris afin d’y suivre des études de médecine, sa passion depuis l’enfance. Sa fréquentation des morgues et salles de dissection débouche sur Le Livre de la Mort, succession de nouvelles macabres qu’il publie en 1909 (rééditées en 2012 aux éditions La Clef d’Argent). Mais Ganche doit arrêter la médecine car il est atteint de surdité. Dès lors, sa carrière est vouée à la musique et à la figure de Chopin. Acharné à suivre au plus près et le plus objectivement possible l’itinéraire du compositeur, il publiera au fil des décennies partitions, études et biographies, au premier rang desquelles Frédéric Chopin, sa vie et ses œuvres, préfacé par Camille Saint-Saens (1913). Sa démarche est couronnée par une Édition monumentale de l’œuvre de F. Chopin en 14 volumes ! À Majorque, sur les traces du musicien et de George Sand, c’est lui qui retrouve la chambre de la chartreuse de Valldemossa où Chopin séjourna. Le Rennais fut aussi un homme engagé défendant le contrôle des naissances et l’éducation sexuelle à une époque où c’était loin d’être admis. Édouard Ganche1 mourut à Lyon en 1945.

« Pour partir de la capitale de la Bretagne, il était prudent d’arriver à six heures, place du Calvaire, devant un café (…) Les préparatifs du départ s’accomplissaient dans le bruit et le remue-ménage de caisses, des malles, des paniers, que le conducteur entassait sur le dessus du véhicule… »

« Le premier bourg atteint était Mordelles, à quatorze kilomètres de Rennes. Ma mère et moi, nous profitions d’un arrêt de quinze minutes pour courir chez le médecin de l’endroit, un ancien camarade du docteur Ganche. La femme du médecin de Mordelles avait cette particularité de tenir le bureau de poste. Elle ne manquait pas de nous offrir une tasse de café, que nous absorbions précipitamment. La diligence repartait pour une étape de six kilomètres… »

« L’aspect de la localité [Baulon] n’a guère changé depuis soixante ans. Ce sont les mêmes maisons banales (…) L’endroit est un peu triste, sans caractère, et les habitants ne possèdent pas un type tranché, malgré leur nature très bretonne. C’était un lieu perdu au fond des terres (…) L’homme se sentait enfermé dans le réseau serré d’une forte végétation… »

« La lisière la plus proche [de la forêt de la Musse] arrivait à cinq cents mètres du bourg (…). Elle motivait l’admiration par de magnifiques avenues de hêtres ou de pins, par ses allées et ses sentiers raboteux, déserts, couverts d’ombres (…) Personne n’abîmait ce royaume des plantes, nul n’y cassait une branche (…) La forêt ne perdait rien de sa beauté primitive. Son propriétaire s’appelait le marquis d’Armaillé. Il venait tous les trois ans chasser et pêcher pendant quinze jours. »

« Sans faire intentionnellement quoi que ce soit dans ce but, le docteur Ganche avait acquis une grande réputation de médecin (…) Les malades venaient le voir et l’appelaient de trente kilomètres à la ronde. »

     Portant comme sous-titre « Un médecin de campagne en 1889 », Mon début dans la médecine paraît en 1936, chez Denoël et Steele. Édouard Ganche se penche sur son passé breton. Délices et dureté de ce village de Baulon digne du Balzac d’Un médecin de campagne. Dédié au Pr Gustave Roussy, le récit bref, simple et élégant restitue l’éducation médicale du jeune Édouard au côté de son père, « le docteur Ganche ». Le personnage est ici érigé en héros, infatigable marcheur, faisant « aisément soixante ou soixante-dix kilomètres à pied dans une journée » pour soigner ses malades. Dès l’âge de sept ans, Édouard le suit, assistant à tout, apprenant tout et très tôt connaissant les 206 os du corps humain, toutes les pathologies et toutes les médications. Un jour où le père est absent il prescrit avec autorité ce qu’il convient pour sa mère tombée en syncope. Auguste Ganche est aussi chirurgien et pharmacien par nécessité. Mais encore arracheur de dents au tarif de 10 sous la dent, somme attribuée par principe à l’enfant. Seuls les accouchements lui sont interdits, mais il est le bienvenu aux séances de vaccination contre la variole, lesquelles sont annoncées en chaire par le curé. Le récit du fils est semé d’anecdotes sur la vie médicale « au fond des terres » et sur Baulon, son folklore, ses enterrements, ses foires, ses rebouteux, son patois. Émerge la figure héroïque d’un père admirable « médecin des pauvres » ne touchant pour prix de sa fatigue que de bien maigres paiements et parfois rien du tout. Le fils souligne le « stoïcisme inné » des paysans face à la maladie. Le même que son père quand la maladie l’emporte au grand désespoir d’un fils de treize ans.