<
>
Dossier
#11
Entre Rennes et Saint-Malo, l’urbanisation suivra le rail
RÉSUMÉ > En observant la ligne de chemin de fer Rennes – Saint-Malo, Thérèse Delavault-Lecoq, urbaniste, note le manque d’attention porté aux cyclistes dans les gares qui, au contraire, déroulent le tapis rouge devant les voitures et elle tire de la proximité entre le canal et la voie ferrée l’idée d’un nouveau tourisme alternant la pratique du train et celle du vélo. Plus encore, elle invite les communes, à la lumière des exemples de Montreuil-sur-Ille, de Combourg et de Dol-de-Bretagne, à entendre ce que les nouvelles mobilités leur disent de leur développement urbain.

     Quelles conséquences le développement du trafic des trains et l’aménagement des gares et haltes ferroviaires a-t-il ou suggèrerait-il en matière d’urbanisation ?

     Dans une Bretagne démographiquement dynamique, Rennes métropole concentre une part importante de la croissance. Son attrait engendre une demande de logements qui éloigne de plus les zones d’habitat. En résulte un éclatement résidentiel où les territoires se distinguent par les modes de transport qui les relient à la ville centre et par de multiples polarisations issues d’un maillage sé- culaire de villes petites et moyennes.

     Plus on s’éloigne de la capitale régionale, plus on se rapproche de l’un ou l’autre de ces centres qui disposent d’un autre facteur dominant d’attraction. Il en est ainsi du littoral : à soixante-dix kilomètres de la capitale régionale, Saint-Malo tient une place particulière dans le réseau de villes. Les dernières statistiques de l’Insee révèlent à quel point les populations situées dans « l’entre-deux » Rennes – Saint-Malo sont sous l’influence des deux villes, une influence qui agit tant sur les pratiques de loisirs que sur l’emploi.
     En matière de déplacement, l’État et les collectivités locales mènent désormais une politique active de transports en commun. Outre la réduction des consommations d’énergie et de gaz à effet de serre produit par les automobiles, le transport en commun répond à une demande sociale : il permet aux populations captives – jeunes et personnes âgées – de se déplacer de façon autonome.
     Le train présente pour cela de nombreux atouts par rapport à la voiture. Econome pour le budget familial, il l’est aussi en fatigue car le temps de transport est temps de détente. La population ne s’y trompe pas ; en Bretagne, le TER se révèle de plus en plus attractif1 à la faveur d’une politique régionale volontaire d’augmentation des fréquences, de matériel roulant de meilleure qualité, de tarifs attrayants, de rénovation des gares et des haltes.
     Une analyse de la ligne Rennes – Saint-Malo nous offre de nombreux éléments de réflexion.

     La gare est, par définition, un lieu d’intermodalité. Après un voyage en train, la marche, le vélo, la voiture, le bus nous permettent d’atteindre ensuite notre destination. La voiture tient aujourd’hui une place primordiale. En présentant sa politique d’aménagement des gares et des haltes, la région Bretagne décrit son action en faveur d’un relais par « cars, taxis, voitures ». La visite des lieux nous montre en effet que des parkings ont été aménagés tout près de la sortie des quais.
     Le cyclisme ne semble faire l’objet que d’une faible attention : au mieux, quelques accroche-vélos permettent de déposer sa machine. Outre leur nombre réduit, ces équipements ne favorisent pas la pratique du deux-roues. D’une part, les réseaux cyclables entre la gare et les secteurs urbanisés sont loin d’être systématiques et nos territoires vallonnés sont parfois difficiles à parcourir. Le vélo électrique, depuis peu sur le marché, propose une réponse. En minimisant la fatigue à la fin d’une journée de travail, il peut susciter l’envie de changer ses habitudes en faveur du deux-roues.
     Mais son coût justifie des parkings sécurisés. Pour être tenté d’utiliser son vélo par tous les temps avant de prendre un train pour aller travailler, il faut aussi pouvoir le protéger de la pluie, déposer un vêtement adapté, un casque; donc disposer de vestiaires. Un local à vélo protégé et équipé est nécessaire. Cela a un coût. Mais pour éviter d’en construire, on avance que le nombre des cyclistes est actuellement insuffisant. Entre la poule et l’oeuf, il appartient cependant aux collectivités locales de précéder la demande. Un local modeste pourrait suffire dans un premier temps, si l’on prévoyait du terrain pour étendre la construction au fur et à mesure des besoins.
     Chez nos voisins européens – particulièrement aux Pays-Bas où l’usage du vélo est beaucoup plus répandu – les parkings accueillent plusieurs centaines de deux-roues à proximité des gares alors que le terrain n’y est ni plus disponible ni meilleur marché…

     Est-il indispensable de garer sa voiture devant la gare ? Dans les grandes gares urbaines, le voyageur doit souvent faire 500 mètres à pied à la descente d’un train pour atteindre un autre moyen de transport (tram, bus, taxi, vélo, auto). C’est le cas de l’accès par TGV (le train lui-même fait environ 200 m de long), mais aussi de nombre de trains de banlieues qu’utilisent tous les jours les travailleurs de la région parisienne. Personne ne s’étonne de cette distance à parcourir, quand les voyageurs sont souvent munis de bagages lourds ou que ce parcours à pied s’insère dans un déplacement quotidiennement long.
     Faut-il dans une petite commune disposer de sa voiture à la descente du train ? Un rayon de 500 m tracé autour de la gare d’une petite agglomération montre que l’ensemble du centre se situe à cette distance. Or, dans une halte ou une petite gare, on passe directement du quai à l’extérieur et la sortie se trouve souvent dans l’axe d’arrêt d’un train par ailleurs composé de seulement quelques voitures. La distance de sortie est minimale et s’apparente à celle d’une sortie de métro. Pourquoi alors ne pas reculer les parkings ?
     Cette disposition aurait plusieurs conséquences positives : les résidents de la commune qui habitent près de la gare seraient moins tentés d’utiliser leur voiture au profit de la marche ou du vélo. Le centre communal serait débarrassé du flux des véhicules étrangers à la vie du bourg. Le site de la gare serait libéré pour le stationnement des vélos et pourrait prendre une place majeure comme espace public porteur d’activités commerciales, d’équipements, etc. Dans les grandes villes aujourd’hui, on sait que l’intermodalité est un facteur d’échanges et donc de centralité. À son échelle, la gare d’un bourg ou d’une petite ville peut aussi jouer un rôle dynamique au sein de la commune.

La randonnée facile : en train et à vélo

     D’autres perspectives plus inattendues peuvent se révéler. La ligne ferroviaire Rennes – Saint-Malo présente une particularité : entre Betton et Saint-Germain-sur- Ille, la voie ferrée frôle le canal d’Ille-et-Rance, s’en rapproche et le croise même en plusieurs endroits. Et les gares sont très proches du canal et de son halage qui accueille autant le piéton que le cycliste. Cette disposition permet d’envisager des relais entre voie ferrée et canal pour offrir aux promeneurs des parcours fractionnés.
     On peut imaginer partir de Rennes, descendre à Betton, prendre le halage à vélo jusqu’à Montreuil-sur-Ille. Monter à Saint-Médard-sur-Ille, prendre le halage jusqu’à Saint-Germain-sur-Ille et y reprendre le train, etc. Et proposer ainsi des circuits de promenade qui permettent aux urbains d’aller sans voiture découvrir la campagne. Le temps des loisirs mérite également l’attention en matière de nouvelles mobilités. Ces offres peuvent aussi favoriser le développement touristique des communes en leur permettant de jouer un autre rôle que celui de bourgs dortoirs pour les travailleurs rennais.

Petites gares : aménager les deux rives

     De façon générale, les réseaux ferrés ont contourné les bourgs. Avec le développement de l’urbanisation, la gare est progressivement intégrée dans le système urbain où la voie ferrée intervient comme une fracture. Cependant, une halte ferroviaire ou une petite gare diffèrent fondamentalement d’une grande gare par l’épaisseur du réseau. Vers les villes convergent plusieurs lignes et le trafic est soutenu. Par sa dimension, le site de la gare est difficile à franchir, comme à Rennes. Le réseau ferroviaire constitue une frontière urbaine que les projets de restructuration tentent de minimiser : les passages aériens pour piétons ou souterrains peinent cependant à réduire la fracture. La gare, point central d’une intermodalité qui promeut les relais vers les transports en commun, ne favorise généralement qu’une rive.
     Au contraire, sur le parcours d’une ligne isolée (ce qui est le cas de la ligne entre Rennes et Saint-Malo, mis à part le croisement de Dol-de-Bretagne), on ne trouve qu’une ou deux voies aisément franchissables. Passages pour piétons et vélos peuvent facilement être construits en souterrains. C’est ainsi qu’on accède aux multiples quais d’une grande gare. Cette disposition permettrait d’assurer la continuité du cheminement quand s’urbanise la rive opposée au bourg.

     Par ailleurs, le croisement de la ligne avec les voies automobiles se fait généralement à niveau. Il n’y en a souvent qu’un, le plus souvent à proximité immédiate de la halte. Contrairement aux sites des grandes gares, la halte est donc un carrefour. Structurellement, dans l’armature viaire de l’urbanisation, ce croisement constitue un goulet d’étranglement qui concentre le passage.
     Cette disposition favorise l’effet de centralité du lieu, mais peut aussi apparaître comme une contrainte dans l’organisation urbaine. Cependant, la périodicité de fermeture du passage à niveau n’étant liée qu’à une seule ligne de train, même dans le cadre d’une fréquence de desserte d’une demi-heure, cette fermeture occasionnelle de la voirie ne perturbe pas trop le trafic automobile. On pourrait peut-être imaginer de créer d’autres franchissements de voie à niveau pour assurer un meilleur maillage du réseau communal.

Jusqu’à 500 mètres autour de la gare : un fort potentiel stratégique

     C’est leur intégration au système métropolitain qui justifie le développement des communes situées sur les lignes ferroviaires entre les deux agglomérations. Plusieurs données agissent sur une urbanisation résidentielle liée à l’emploi. D’abord, la fréquence des dessertes agit sur l’attractivité des agglomérations : les mieux desservies disposent d’un potentiel de développement accru. Par ailleurs, les relais de mobilité à partir de la gare s’ajoutent au temps du transport en commun et les différents types de déplacement induisent des rayons progressifs de diffusion. Celui du piéton est a priori fixe et estimé à environ 500 m : dans ce rayon toute densification du logement ne peut que favoriser les économies d’énergie.
     De son côté, pour être efficace, le rayon de diffusion du relais motorisé dépend du temps déjà parcouru, de la distance – temps entre quai et stationnement, et de l’inertie de la voirie locale. Des études font apparaître que les individus tendent à limiter leur trajet quotidien à partir d’un seuil de distance – temps : la loi de Zahavi3, par exemple, identifie ce seuil à trois quarts d’heure. En admettant cet effet de seuil, plus le temps passé en transport en commun a été long, plus le rayon de diffusion d’un mode relais sera court. Ainsi, en accentuant l’inertie du temps de trajet relais, le champ de diffusion automobile se restreint et favorise la densification.

     Trois exemples de centres-villes, compris dans des communes à dynamique démographique positive de plus de 2 000 habitants entre Rennes et St-Malo, permettent parfaitement d’illustrer ce propos.
     À Montreuil-sur-Ille, une nouvelle Zac est prévue pour accueillir 700 à 800 habitants. Elle se situe dans le rayon de 500 m autour de la gare, facilitant son accès à pied ou à vélo. Ici comme ailleurs, la halte ferroviaire est, hélas, aménagée comme un parking. Dans ce cas précis, dans un rayon de moins de 500 m, des parkings relais dégageraient le centre des trafics automobiles. Le temps d’accès au véhicule depuis la gare de Rennes atteindrait quant à lui un maximum de trois quarts d’heure, maintenant l’accessibilité attractive.
     À Combourg, la gare, reliée à Rennes comme à Saint- Malo en moins d’une demi-heure, est située en limite d’agglomération à une distance d’environ 1,5 km du centre historique. Cette situation favorise un secteur d’urbanisation à l’est. Contraint par la traversée du centre, l’accès au secteur ouest ajoutera un temps de trajet de l’ordre d’au moins 20 minutes quel que soit le mode de transport utilisé en aggravant la circulation automobile dans le centre. Dans cette commune un développement résidentiel dense à proximité de la gare est attractif pour une population de travailleurs mobiles.
     À Dol-de-Bretagne, la gare est située au sud d’une ville plus compacte. Le maillage des voies contraint à traverser le centre pour rejoindre les plus grandes routes. Cette situation est pénalisante en termes de diffusion pour des trajets quotidiens quand 30 minutes séparent déjà l’accès à la capitale régionale. Elle devrait entraîner une urbanisation résidentielle dense à proximité immédiate de la gare et une faible diffusion sur la couronne urbaine pour des populations qui travailleraient à Rennes ou Saint- Malo. On pourra, à l’inverse, considérer qu’il résulte du temps d’accès aux villes principales, une attractivité propre à cette petite ville. En lui conférant une autonomie plus importante, cette situation devrait lui conserver un rôle polarisant par rapport aux communes périphériques.
     Il apparaît désormais indispensable de penser les lieux de l’urbanisation par rapport à la mobilité croissante des individus. Quand les services de santé se concentrent de plus en plus dans des centres hospitaliers régionaux, que le commerce mondialisé produit une polarisation autour des grandes enseignes, que les bassins d’emploi sont liés aux réseaux interrégionaux et internationaux, tout individu vit aujourd’hui à une échelle régionale qui lui impose une mobilité accrue vers les villes principales.
     Il faut que le regard auto-centré du développement d’une urbanisation décidée à l’échelle communale fasse plus largement place à une réflexion sur les liens aux grands centres urbains en intégrant la nécessaire mutation qui doit intervenir dans les modes de transports. Ce changement de paradigme dans l’urbanisme local apparaît d’autant plus indispensable à entreprendre dès maintenant que le renchérissement des coûts de l’énergie risque à terme de limiter à terme les possibilités de déplacement d’une grande partie des populations habitants les périphéries urbaines, qui pourrait se voir marginalisées par sa difficulté à accéder aux grands centres.