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Dossier
#35
Entretien avec Sébastien Sémeril : « Le récit urbain est indispensable pour partager des valeurs communes »
RÉSUMÉ > Au-delà des aspects techniques et réglementaires, la fabrication de la ville obéit d’abord à une construction politique. Quels sont les ingrédients de cette vision ? Sur quels ressorts s’appuie le récit urbain ? Quels sont ses enjeux, comment les mots peuvent- ils traduire une « envie de ville » ? Rencontre avec Sébastien Sémeril, adjoint à l’urbanisme de Rennes.

     On le savait mordu de sport et fervent supporter du Stade rennais. Depuis les élections municipales de mars 2014, Sébastien Sémeril s’est découvert une nouvelle passion : l’urbanisme. À tout juste 40 ans, l’ancien adjoint (PS) aux sports dans le mandat précédent occupe désormais la fonction stratégique de premier adjoint à la maire de Rennes, délégué à l’urbanisme. Et depuis quelques mois, il multiplie les interventions en conseil municipal et lors de rencontres avec les professionnels pour présenter les nouveaux projets rennais.
    « L’urbanisme incarne le rôle d’un élu : il s’agit d’anticiper l’avenir et gérer le quotidien. Il faut accompagner le développement de la ville, avec humilité, car c’est une grande responsabilité que de penser la ville de demain », souligne-t-il d’emblée. L’emphase est calculée, et au fil de l’échange, l’élu précise sa vision, testant au passage l’efficacité d’une formule, l’écho d’une référence ou la pertinence d’un concept.
    Simples éléments de langage ou conviction affirmée ? Ce qui pouvait au départ apparaître comme un exercice de style bien rodé se transforme au fil des mois et des projets en une mise en perspective cohérente. À sa manière, et sans renier son style personnel, Sébastien Sémeril entend bien raconter une histoire urbaine.
    « Le récit urbain, nous en avons tous besoin ! À Rennes, nous avons cette chance d’avoir des perspectives démographiques très positives. Cela nécessite de construire ce récit urbain afin d’emmener la population dans les projets. La ville n’est pas un objet froid, neutre et non identifié mais bien un élément organique. L’urbanisme n’est pas une politique en soi, il est au service des politiques publiques. C’est la structuration de la ville qui va permettre d’insuffler des orientations politiques précises : le logement, la présence d’équipements, d’espaces publics, la capacité à organiser des événements… », énumère-t-il, en insistant sur le temps long nécessaire à la mise en oeuvre de ces projets. Pour l’élu, le récit urbain vise avant tout à partager des valeurs communes, une identité, en reliant sans cesse l’histoire passée et le projet à construire.

     Il le sait, dans ce récit, certains mots sont piégés : la densité et la hauteur en font partie. « Il ne faut pas nier les critiques des habitants. Mais il faut faire de la pédagogie pour expliquer les enjeux des villes. À une époque où la moitié de l’humanité vit en ville, le fait urbain devient une problématique universelle », rappelle Sébastien Sémeril. Alors, il cherche à convaincre par l’exemple et la mise en perspective.
    « La ville a longtemps été conçue d’un point de vue strictement fonctionnel, avec comme objectif premier depuis l’après-guerre, d’en faciliter l’accès à la voiture. Désormais, apparaissent de nouveaux enjeux, liés à l’écologie, au bien-être, à la qualité de vie... La ville redevient désirable, on l’envisage comme un prolongement de son chez-soi, et cette évolution peut faciliter le débat avec les habitants », constate-t-il.
    Selon lui, la densité, pour être acceptée, doit impérativement s’accompagner de services et d’un traitement qualitatif, en refusant l’uniformisation et la standardisation des formes urbaines. À Rennes comme ailleurs, la question sensible de la hauteur revient souvent dans les débats publics. « Il existe une forme de compromis par le bas, qui amène à penser que le collectif de 5 étages – le fameux R +4 double attique – est le compromis accepté par tous : par les promoteurs car l’investissement est équilibré, par les élus par ce que ce n’est pas trop haut, par les habitants parce que l’ombre projetée n’est pas trop grande ! Mais ce compromis peut être dangereux pour l’avenir de la ville », souligne l’élu, qui fait sienne la maxime des anciens maires de Rennes : « une ville qui ne construit pas est une ville qui exclut ».
    Comment, dès lors, passer du discours aux réalisations concrètes ? En quoi cette vision politique fondée sur la notion de ville inclusive, qui accueille au lieu d’exclure, va-t-elle se transformer en projet urbain ? D’abord, d’après Sébastien Sémeril, en poursuivant les initiatives qui fondent l’approche rennaise depuis des décennies. Le programme local de l’habitat, qui permet d’imposer du logement social dans toutes les nouvelles opérations métropolitaines, assure cette mixité sociale en la répartissant sur l’ensemble des communes de l’agglomération. Le renouvellement urbain se poursuit également à l’échelle des quartiers prioritaires du Blosne et de Maurepas, reconnus comme tels par les dispositifs nationaux de l’ANRU fin 2014, avec 400 millions d’euros de financement à la clé au cours des dix prochaines années.

     Il faut aussi s’intéresser à la réalité sociologique des habitants. « Aujourd’hui, un foyer sur deux est occupé par une personne seule à Rennes, et un sur trois dans la métropole, rappelle l’adjoint à l’urbanisme. Or, s’il est possible de choisir la solitude, on peut aussi subir l’isolement. En créant du lien social, les espaces publics jouent un rôle essentiel dans la lutte contre cet isolement. Hélas, ils ont été longtemps traités de manière strictement fonctionnelle. À présent, aux côtés de la maîtrise d’ouvrage, les services de l’urbanisme doivent aussi appréhender la maîtrise d’usage. Cela nécessite de partager sa connaissance avec la population ».
    Ce discours s’apparenterait-il à du populisme urbain, vaguement démagogique ? « Non, c’est au contraire de la rencontre urbaine », rétorque Sébastien Sémeril. C’est d’ailleurs guidé par cette conviction qu’il défend l’idée de l’intensité urbaine, en renforçant les usages de la ville. Le futur aménagement des Portes Mordelaises illustre parfaitement, selon lui, ce parti pris. « Ce projet est symbolique de ce que nous voulons faire : il s’agit d’insuffler de nouvelles continuités dans la ville. C’est d’abord un travail patrimonial à l’endroit même où se trouve l’origine historique de la cité. Nous aurions d’ailleurs pu nous arrêter à la mise en valeur des murailles. Mais je ne crois pas à la vocation uniquement mémorielle du patrimoine, c’est pour moi un art vivant. Si l’on veut amener un récit autour du patrimoine – il suffit de constater l’engouement des Rennais pour les fouilles archéologiques – il faut aussi créer des fonctionnalités nouvelles. Aménager une promenade, retourner les terrasses des restaurants de la rue Nantaise vers la muraille remise en monumentalité, c’est créer un nouveau lieu de vie », poursuit l’élu, qui n’hésite pas à qualifier cette démarche d’« extendeur » du centre-ville.

     Derrière le néologisme à la mode se cache une conviction : la volonté d’étendre le centre-ville à la dimension d’une ville en croissance. Déjà, au cours des mandats précédents, le mouvement avait été engagé vers le sud de la ville avec l’aménagement de l’Esplanade Charles-de-Gaulle au début des années 2000. Une tendance amplifiée aujourd’hui aux quatre points cardinaux. Un peu plus au sud encore avec le quartier de la gare et EuroRennes. Au nord, avec la place Sainte-Anne et le futur centre des Congrès et à l’est, avec l’aménagement des berges de la Vilaine et des anciennes friches de Baud-Chardonnet. Sans oublier l’ouest, avec le Mail François-Mitterrand, qui s’apprête à retrouver sa vocation première de promenade piétonne et devrait proposer prochainement toute une série d’animations ludiques et familiales, notamment le dimanche.
    Tous ces travaux s’articulent avec la construction de la seconde ligne de métro. « Je suis convaincu qu’après sa mise en service, nous assisterons à l’extension du plateau piétonnier, à la demande des Rennais eux-mêmes. Celuici sera rendu possible par la refonte du plan de circulation des bus. Imaginez la place du Champ-Jacquet sans bus et sans voitures ! », confie l’élu avec gourmandise.

     Et les formes architecturales, dans tout cela ? Serontelles, demain, plus audacieuses, plus colorées, plus variées ? Sébastien Sémeril affirme vouloir encourager la diversité et l’expérimentation en redonnant toute leur place aux architectes. Ce devrait être le cas dans la future ZAC de l’Îlot de l’Octroi, qui vient d’être créée en mai 2015 en bordure de Vilaine près de la rue de Lorient. Sa proximité avec la Mabilais, quartier général de la French Tech Rennes, pourrait encourager les initiatives autour des bâtiments intelligents autonomes en énergie. De même, un soin particulier sera accordé aux futurs immeubles qui viendront compléter les abords des stations de métro, notamment place Sainte-Anne et place Saint-Germain. Et puis, Sébastien Sémeril en est convaincu, certains quartiers vont poursuivre leur métamorphose à la faveur du renouvellement urbain. Le Blosne et Maurepas bénéficieront bientôt de nouvelles opérations d’aménagements susceptibles de les rendre à nouveau attractifs.
    Ainsi, combien de Rennais savent-ils que le Blosne est le quartier le moins dense de Rennes, et qu’il pourrait, dans quelques années, accueillir une avenue des cultures du monde, offrant le meilleur de la gastronomie internationale grâce au talent de ses habitants ? Qu’à Maurepas, une expérimentation est en cours avec des architectes et de futurs propriétaires, sous l’égide de l’aménageur public Territoires, pour construire des maisons de ville à moins de 300 000 euros ? Qu’en 2019, les Prairies Saint- Martin réaménagées offriront un véritable poumon vert en coeur de ville, propice aux activités natures, sportives et conviviales ? Reste à montrer la cohérence de ces travaux au long cours, qui souffrent parfois d’un manque de mise en perspective globale. C’est tout l’enjeu du récit urbain, qui vise à la réappropriation de la ville et de son projet par les habitants. « J’aimerais, demain, que les Rennais soient fiers de prendre des photos de leur ville et de leur quartier, comme les touristes ! », conclut l’élu. Une autre manière de défendre les couleurs de sa ville, non dans un stade, mais dans la rue.