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Rennes des écrivains
#09
Michel Renouard :
fantômes, crachin et galette-saucisse
RÉSUMÉ > Né à Dinan en 1942, Michel Renouard a passé son enfance dans cette ville où il fut élève des Cordeliers. Après des études à la faculté des lettres de Rennes, il devint agrégé d’anglais, puis docteur d’État. Un temps journaliste, il s’orienta vers l’enseignement : d’abord au collège Saint-Vincent, ensuite au lycée Bréquigny, puis en Angleterre, au Kenya, à Poitiers et à Rennes 2. Spécialiste de l’Inde britannique et de sa littérature, il créa à Rennes le laboratoire de recherche Sahib (Société anglo-indienne et histoire de l’Inde britannique) ainsi que la revue Les cahiers du Sahib.

Michel Renouard (suite)

     Michel Renouard est aussi l’auteur d’une quarantaine de livres dont beaucoup publiés aux éditions Ouest-France : Aimer le Finistère, Guide de Bretagne, Nouveau guide de Bretagne, Art roman en Bretagne, Aimer le Finistère, Aimer le Poitou-Charentes, Histoire et civilisation de la Méditerranée et, prochainement, Naissance de l’écriture. On lui doit également des ouvrages pédagogiques sur l’Inde et la littérature indienne anglophone. Enfin, il est l’auteur d’une quinzaine de romans, notamment des romans policiers comme La Java des voyous, Les castrats de Bombay, Requiem sur le campus, Le Bouillon de minuit, parus chez Alain Bargain. Derniers titres en date : Terminus Montparnasse (éditions Gisserot, 2006), L’Indien du Reich (éditions Privat, 2007) et Le Broyé du Poitou (éditions Gisserot, 2009).

    Ayant vécu à Rennes et Saint-Grégoire de 1961 à 2007, Michel Renouard vit aujourd’hui au Mans et est chargé d’enseignement à l’Institut catholique de La Roche-sur-Yon.

     De Paul Féval à Dominique Fernandez, en passant par Jean Sulivan et Gérard Prémel, tous les écrivains liés à Rennes l’ont noté: la capitale du crachin et de la galettesaucisse préfère le sport à la littérature. Ici, sur les bords bétonnés de la Vilaine, tapis rouge, flatteries de croupe, biffetons et flonflons sont réservés à ceux qui tapent dans un ballon. C’est sur le stade que bat le coeur de la ville.
     Adolescent, je rêvais d’entrer à l’école de journalisme de Lille (j’y fus d’ailleurs admis) puis de jeter l’ancre à Rennes, où ma mère était née et où mes parents avaient vécu, quand mon père menuisier travaillait rue Auguste- Blanqui. Faute d’argent, je dus faire une croix sur Lille. Par une petite annonce parue dans Ouest-France, l’école Saint-Vincent me recruta comme professeur d’anglais, et j’y pris mes fonctions le 19 septembre 1961. Heureuse époque où le bac suffisait pour enseigner et où la didactique n’existait pas ! Au reste, prêt à tout, j’aurais aussi bien accepté un poste en français, histoire, italien ou philosophie (matière que j’allais enseigner plus tard, à la Lande-du-Breil, où je remplaçai au pied levé Gérard Pourchet). Comme disait une religieuse enseignante, dont la polyvalence multicarte faisait l’admiration de la fédération Cornettes, « pour enseigner, mes soeurs, il suffit d’avoir une leçon d’avance! »

Une jeunesse multicarte

     Et c’est ainsi, avec moi aussi une leçon d’avance, que je finançai mes études. Seuls les privilégiés de l’enseignement d’État connaissaient les voies royales (IPES et Normale Sup’). Du reste, venant des Cordeliers, il ne me serait pas venu à l’esprit d’enseigner dans l’école du diable. Mon salaire était insignifiant (j’étais maître auxiliaire bachelier « au pair », l’école m’assurant le gîte et le couvert). Pour mettre du beurre dans les épinards, j’étais donc aussi journaliste: correspondant d’Europe 1, collaborateur de Dominique Lapierre pour Paris brûle-t-il ?, pigiste à Bretagne Dimanche (c’est en auto-stop que j’assurais mes reportages) et, la nuit, rue du Pré-Botté, je supervisais au marbre l’édition de Pontivy d’Ouest-France. Bref, j’avais un pied dans deux des plus vénérables institutions rennaises : Saint-Vincent et Ouest-France.
     Bien sûr, je suivais aussi des cours place Hoche: anglais, italien, suédois, allemand et russe (ah, cher M. Rabotine!). Ce qui ne m’empêchait pas d’être chef scout… Et, comme j’avais encore du temps libre, j’écrivais des romans. J’étais à Saint-Vincent quand, en 1964, parut mon premier livre, Lumière sur Kerlivit. Des loisirs? Parfois une opérette, grâce aux billets que me refilait Henri Terrière.

Rennes m’attendait

     Sous la pression de ma femme, j’entrai, en 1969, à l’Éducation nationale (premier poste à Bréquigny). Puis, recruté à Rennes 2 après un galop d’essai à Poitiers, j’entrepris la rédaction d’une thèse, d’ailleurs consacrée à un journaliste. Il m’arrivait d’être infidèle (Carlisle, Nairobi, Saint-Brieuc, Poitiers et Amherst) mais, où que je fusse, je savais que Rennes m’attendait. Plus tard s’ajouterait une activité éditoriale, puisque je fis partie de la première équipe des éditions Ouest-France, aux côtés de Jean-Paul Gisserot, Henri Sicot, Bernard Louviot et de la douce Anne-Marie Séchet. J’étais à Chantepie, le 17 juin 1976, quand un camion vint y dégorger les palettes de mon Guide de Bretagne.

En froid avec la ville

     Rennes est la ville où j’ai passé l’essentiel de ma vie. Enseignant l’anglais, l’histoire de l’Inde britannique et la littérature anglophone (de Beowulf à Lolita), j’y ai eu quelque 5000 élèves ou étudiants et je lui ai consacré cinq romans, écrits rue Ange-Blaise ou rue Ginguené. Sur quarante livres publiés, trente-six furent rédigés à Rennes ou Saint-Grégoire. J’y ai vécu Mai-68, m’y suis marié, y ai élevé mes enfants et y ai présidé dix-sept fois… le jury du bac de Pondichéry. Reste que mes rapports avec la capitale du crachin se sont peu à peu dégradés. Que nous soyons aujourd’hui en froid, elle et moi, est une évidence, puisque je m’en suis éloigné. Prudent, je campe à sa périphérie et, par mes espions, je sais tout ce qui s’y passe. Mes romans y sont le plus souvent introuvables, mais à Rennes c’est la loi du genre: il n’est bonne plume que de Paris, Vladivostok ou Paramaribo.

Un jour, je reviendrai

     Est-ce d’ailleurs à la ville que j’en veux? C’est aussi, bien sûr, au temps qui file et à ces fantômes qui m’empêchent de retrouver cette ferveur qui était la mienne quand, du train, après un long séjour au Kenya ou en Inde, j’apercevais le belvédère de Saint-Vincent. Un vingt-deuxième déménagement me ramènera bien un jour à Rennes pour un dernier tour de piste, et j’y retrouverai le crachin, la rue de Paris et le pont de Nantes. Afin d’être adoubé rennais, j’assisterai même aux matches de football, une galette-saucisse à la main. Pour le reste, je me contenterai de changer de trottoir quand j’apercevrai un fantôme. Les mauvais souvenirs finiront par se dissiper. Ne resteront que les meilleurs, et il me suffira de tendre l’oreille pour percevoir, « frisson d’eau sur de la mousse », la lointaine musique des neiges d’antan.