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Contributions
#06
Hommage à l’écrivain Jean-Paul Hameury (1933-2009)
RÉSUMÉ > Poète, essayiste, romancier, le Rennais Jean-Paul Hameury est mort en 2009. Le silence regrettable qui entoure l’œuvre de cet écrivain majeur vient d’être rompu par une série d’hommages. Puisse l’avenir lui rendre justice.

Un soir d’avril 2010. Café des Champs Libres à Rennes.

Lecture de poèmes.

     Comme nos avoirs sont pauvres
     dans les déserts d’aujourd’hui.
     Malgré les fumures des ans
     nulle eau nulle herbe
     aux promontoires de nos vies
     Nos empreintes sont effacées
     et nos sillages dissipés.
     Voyez quelles pluies acides choient
     de ce ciel trop peint
     sur la poussière de nos chemins.

     Dans la salle, cinquante personnes. Unies dans le silence de l’écoute, elles célèbrent l’amitié avec un poète disparu. Il s’appelait Jean-Paul Hameury. Bien peu le connaissent, ce Rennais disparu en février 2009. Il est pourtant l’auteur d’une trentaine de livres souvent remarquables: poèmes, essais et romans. Ceux qui sont là ce soir ont rencontré son œuvre. Ils en apprécient le prix et la rareté. Ils redoutent l’effacement d’une parole essentielle qu’ils savent menacée par le tumulte de l’époque. Ils espèrent que la série d’hommages rendus à Rennes en ce printemps 2010 aidera à pourfendre l’oubli.  

     Un frisson d’initiés parcourt l’assistance. « L’oeuvre de Jean-Paul Hameury est une mise en mots du monde. Elle cherche à dire ce qui est, là où lumière et ténèbres sont indissolublement liés », avance le poète Michel Dugué, tandis que l’écrivain Jean de Chauveron, s’exclame: « C’est le plus grand poète de la deuxième moitié du 20e siècle. Tellement et si injustement méconnu. Sa poésie, ça chante! C’est extraordinaire!»
     Qui était donc Jean-Paul Hameury? Bien qu’il répugnât aux notices biographiques, l’on sait qu’il est né en 1933 à Saint-Quay-Portrieux. Qu’il fut d’abord instituteur en Normandie, puis à Romillé avant d’enseigner le français au collège de Cesson-Sévigné, localité où il résidait.
     Il écrivait depuis toujours. Il attendit longtemps avant de publier. Sa carrière – mot inapproprié – doit beaucoup à sa rencontre avec un autre poète, Yves Prié, fondateur des éditions Folle Avoine à Bédée. C’était en 1982, deux ans après la création de cette maison: « Tout de suite, à le lire, j’ai été frappé par sa voix particulière, sa très grande simplicité dans l’expression », témoigne l’éditeur. « Entre nous, une amitié s’est créée avec le temps. Il savait où il allait. Et je savais où il allait. »

     Dès lors presque tous les livres de Jean-Paul Hameury furent édités chez Folle Avoine, dont onze recueils de poésie. Le dernier, Errances (2008), est le plus significatif car il présente un choix, effectué par l’auteur lui-même, du meilleur de son oeuvre poétique.
     Yves Prié: « Ses livres, il les écrivait très vite, d’un seul jet. Après venait un impressionnant et long travail de reprise, de modification, d’émondage, pour aboutir à ce qu’il voulait à savoir la lisibilité, l’écriture juste et plus encore, l’authenticité. »
     « Authenticité », ce terme galvaudé, l’éditeur en donne sa conception dans un texte qu’il a placé en exergue sur son site Internet [www.editionsfolleavoine.com] : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la forme pour elle-même, mais plutôt la relation entre l’expérience d’un individu et l’expression qu’il va en donner. Cette conjoncture secrète entre la personne et la forme qu’elle élabore, c’est ce que j’appelle l’authenticité. »

     Le formalisme, qu’il rejetait, fut l’un des grands sujets de Jean-Paul Hameury. Au point d’en faire un livre lumineux qui vaut manifeste: L’échec de Mallarmé (1998): « En s’installant au coeur du langage, (Mallarmé) espéra faire de son oeuvre une réalité plus pure, plus vraie que l’univers lui-même. » Or « il est temps, écrit Hameury, que nous recommencions à nous exprimer non pas dans le langage mais grâce à lui; que, cessant de le considérer comme une fin, nous le voyions de nouveau comme un moyen ».
     Il faut l’admettre, « les mots, évidemment, ne sont pas les choses. Le mot “arbre” dans un poème, ne prétend pas remplacer l’arbre réel, il prétend à mieux: nous permettre de voir cet arbre tel que nous ne savons pas le voir. Le poème n’est donc pas mimésis, il est création d’un monde où les choses cessent d’être enfouies sous les conventions du regard et de l’esprit, où les étiquettes, les préjugés et les a priori de toute sorte, auxquels nous nous fions par habitude, prennent fin. »

     Poète dans la lignée des Hölderlin, Rilke, Jacottet, Jean-Paul Hameury ne renie pas seulement le formalisme, il rejette le « je »: « Selon lui, dire « je », ce n’est pas de l’écriture. L’écriture, cela consiste à trouver un ton propre qui s’inscrive en même temps dans une tradition littéraire », note Yves Prié.
     C’est aussi pourquoi le geste poétique de Jean-Paul Hameury est inséparable de sa démarche d’essayiste. Il n’aura de cesse d’interroger l’acte de création. Notamment celui de la peinture. Un recueil Peinture et Réalité (1990) et surtout Edward Hopper (1992), son livre le plus connu, illustrent cette réflexion pleine de finesse. Il tente d’arracher le peintre américain Hopper (1882-1967) à la mode où l’enferme l’actuel « kitsch décoratif » pour « montrer combien furent lucide son regard et prémonitoires ses tableaux ». Hopper ne parle pas d’un monde nostalgiquement révolu, il annonce un monde à venir, le nôtre, celui de la fêlure, du manque et du vide.

     Hameury et le monde, ce n’est pas une mince affaire. Il fut un observateur critique, caustique, de notre époque. Plusieurs livres, les Marginalia, rendent compte de cette attention aiguë. « Toute sa vie, raconte Yves Prié, il accumula dans des carnets, des notes personnelles, des coupures de presse, des aphorismes. La lecture quotidienne des journaux l’alimentait pour dénoncer une société qui renie ses valeurs ». Il y avait en lui du Cioran ou du Thomas Bernhard. Un questionnement infini, indigné. « Surtout, ne pas laisser passer les faux-semblants, ne pas se laisser berner par les illusions ».
     Chez lui, poursuit Yves Prié, « ce regard critique n’était ni une posture ni une complaisance dans la noirceur. C’était avant tout une question de lucidité. Cette lucidité qui est une forme d’exigence par rapport à soi-même, même si cela ne conduit pas toujours à une position facile et défendable. »
     En écho, résonne l’aphorisme vachard ciselé par Hameury: « Les imbéciles appellent la lucidité pessimisme ». Ce que son ami éditeur traduit ainsi: « Ce n’était pas un ronchon. C’était quelqu’un qui avait de l’humour et qui savait vivre, je vous assure...»

     Nul doute que sa notoriété a pâti de son intransigeance: « Il y avait chez lui l’idée que la création exige une mise à distance, que c’est la condition nécessaire pour dire le réel et le dire sans concession ni compromission. Mais pour autant, il n’était pas enfermé dans sa tour d’ivoire. »
     Yves Prié, désigné comme exécuteur testamentaire de Jean-Paul Hameury, pense que l’avenir lui rendra justice. Que l’engagement de sa personne, son refus de la facilité, la simplicité de ses mots finiront par trouver un écho élargi. D’autres textes de l’écrivain, dans les cartons et ultérieurement publiés, aideront aussi à l’expansion de sa voix.

     L’éditeur de Folle Avoine a raison. Comment passer à côté de celui qui écrit? « L’éthique de l’artiste consiste à tuer l’esthète qui sommeille en lui ; à préférer constamment la vérité à la beauté et la rigueur à l’éloquence. »
     Comment être insensible à cette invite? : « Je m’adresse à tous ceux qui, dans ce “monde administré” où règne désormais sans partage “l’industrialisation de la culture”, continuent de croire que la parole poétique peut encore résister à l’emprise des discours mercantiles dominants, s’opposer à ce qui menace l’intégrité de l’être humain et combattre les forces négatives qui, en tous lieux, ne cessent de subvertir la pensée et d’aggraver la vacuité des existences. »
     Et comment ne pas méditer chaque jour en souriant cet impeccable dilemme “hameurien” ?
     « Que faire? Vivre en philosophe atrabilaire ou en porc satisfait ? »