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Dossier
#25
Hugues Aubin, capteur de tendances numériques
RÉSUMÉ > Il est le « Monsieur Numérique » de l’agglomération rennaise. Depuis près de 20 ans, ce touche-à-tout inclassable et passionné décrypte les mondes virtuels et les nouvelles technologies. Chargé de mission à la ville de Rennes et à Rennes Métropole, Hugues Aubin sait rendre accessibles les innovations les plus pointues. Rencontre avec un hyperconnecté.

     Si vous vous intéressez un tant soit peu à Internet, au numérique et aux logiciels libres, vous l’avez forcément déjà croisé au détour d’une exposition ou d’une conférence. à Rennes, le garçon qui parle avec aisance et des mots parfois compliqués d’un avenir connecté et radieux, c’est lui ! Hugues Aubin pour l’état-civil, Hugobiwan Zolnir pour les autres. Et ils sont nombreux –près de 4 000 sur Twitter, tout de même- à le suivre sous cette identité issue des mondes virtuels de Second life. Dans la vraie vie, Hugues Aubin, 44 ans, est chargé de mission TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) à la ville de Rennes et à Rennes Métropole. Le titre fait sérieux, voire un brin ennuyeux. Tout le contraire de son titulaire, qui a conservé intact un enthousiasme adolescent pour partager ses dernières trouvailles.
    Vous en doutez ? Voilà ce qu’on pouvait lire sur son compte Twitter le 26 juillet dernier : « J’ai enfin acquis un eeg portable mindwave de chez @neurosky. De quoi s’agiter les méninges :-) Ca fait très longtemps que j’attendais ça. » Rassurez-vous, moi non plus je n’ai pas tout compris ! Renseignement pris, il s’agit d’un électroencéphalographe, qui permet de capter les décisions émises par le cerveau pour les transmettre à un ordinateur, par exemple. Tout un programme !
    En fait, ce qu’il y a de bien avec Hugues Aubin, c’est qu’il réussit à se mettre à la portée de son interlocuteur pour lui faire partager sa passion. Bien sûr, au détour d’une phrase, il utilisera forcément quelques expressions « geeks » réservées aux initiés 2.0. Mais dans l’ensemble, son souci constant de la pédagogie force le respect. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il ponctue régulièrement ses démonstrations d’un « Tu vois ce que je veux dire ? » qui vaut validation.

     Cette attitude s’explique sans doute par son itinéraire. Car au commencement, rien ou presque ne destinait le jeune Hugues à tutoyer les lignes de codes informatiques et à côtoyer les avatars numériques. « J’ai eu un parcours scolaire en zigzag », reconnaît ce titulaire d’une… maîtrise de philosophie. Après avoir enchainé de nombreux petits boulots à la sortie de l’Université de Tours, ce parisien d'origine croise la route d’une autre forte personnalité : Jean-Marie Corteville, le fondateur de l’agence Azimut communications, à Lorient. C’est chez lui qu’il effectue son service civil en tant qu’objecteur de conscience. Nous sommes en 1993, l’époque du Minitel triomphant. « Azimut se définit alors comme une association télématique citoyenne. Je me retrouve pour la première fois devant des ordinateurs et des claviers. Avec Jean-Marie, nous disposons 150 Minitels en libre service gratuit dans des lieux publics du pays de Lorient pour permettre aux habitants d’interroger une base de données d’informations locales », raconte Hugues Aubin. Et ça marche ! Les connexions affluent, la demande d’une information de proximité en ligne est bien réelle.
    Un an plus tard, Jean-Marie Corteville se fait visionnaire : il décide de basculer tous ses services du Minitel vers Internet. Au mitan des années 90, Hugues Aubin entend ainsi parler pour la première fois de l’association rennaise Bug, qui se positionne exactement sur le même créneau. Mais à cette époque, il n’a toujours pas mis les pieds à Rennes. Il se démène pour inciter les associations du pays de Lorient à créer des adresses mails et des noms de domaines Internet. Sans grand succès, au départ. « La réponse est toujours la même : “J’ai déjà un fax et je n’ai rien à dire aux Américains ! ” Ce type de réaction m’a beaucoup servi. Cela fait quinze ans que lorsque je parle d’innovations, cela suscite d’abord de l’incrédulité ! » analyse Hugues Aubin. « Je l’ai vécu lors de l’arrivée des téléphones mobiles munis de caméras, des blogs, des réseaux sociaux, de la géolocalisation, des objets libres aujourd’hui… Finalement, j’y trouve plus de motivation que de découragement. »

     En 1999, notre homme se transforme en… « mercenaire », selon ses propres termes. Il met le cap sur Landerneau et rejoint le groupe privé Alcyon, numéro 1 du matériel et du médicament vétérinaire, en tant que chef de projet Internet. « Je découvre le monde du commerce électronique. J’apprends énormément, seul avec un stagiaire. Alors que j’ai été recruté pour alimenter le site Internet, je crée un portail grand public non commercial sur les animaux de compagnie. Tout le monde croit que nous sommes dix ! », raconte-t-il avec le sourire du pensionnaire qui a joué un bon tour au surveillant du dortoir.
    C’est à cette époque qu’il apprend à parler la langue du Web, à générer du trafic, à échanger de la publicité entre différents sites… Pourtant, si le succès semble au rendez-vous, la motivation, elle, décline rapidement. « Il me manquait le sentiment de servir les autres, d’exercer un rôle social au niveau du territoire », lâche Hugues, soudain sérieux. Toujours en veille sur d’éventuelles opportunités, il apprend que la ville de Rennes recrute un webmaster… Il se porte candidat et remporte le job. Nous sommes en 2000, à la veille de l’éclatement de la bulle Internet : Hugues Aubin est rattaché à la direction générale de la communication de la ville. Embauché comme contractuel, il découvre les arcanes de la fonction publique territoriale. Et tout de suite, les idées jaillissent. Sidéré de constater l’incompréhension mutuelle qui règne entre les communicants et les informaticiens, il ne cesse de lancer des ponts entre ces deux univers. Il s’entoure de jeunes stagiaires talentueux (une habitude qui ne le quittera plus), et développe une méthode aux allures de franc-tireur qui permet d’aller vite et de faire bouger les lignes administratives.

     Il découvre, au passage, de véritables pépites. Le guide Vivre à Rennes en fait partie. Il s’agit d’un annuaire papier, issu de la collecte minutieuse par les directions de quartiers rennaises d’une masse considérable d’informations locales. « à l’époque, j’apprends que Rennes a été la première ville modélisée en 3 D. La maquette Citévisions de 1999 a même fait l’objet d’un article dans le New York Times ! J’imagine alors de croiser les adresses du guide avec la maquette », raconte Hugues Aubin. La réalité augmentée, qu’on n’appelle pas encore ainsi, fait ses premiers pas à Rennes. Parallèlement, le chargé de mission tente un pari fou : il contacte Sony Entertainment Europe, le concepteur des fameuses consoles de jeux PlayStation. Son idée : proposer au géant nippon d’héberger la maquette 3D sur les PS2, car « à l’époque, on compte davantage de possesseurs de PS2 que d’ordinateurs fixes, surtout parmi les ménages à faibles revenus avec enfants », souligne-t-il. Sony ne donnera pas suite à cette demande inattendue. Mais la volonté de diffuser largement la culture numérique ne se démentira pas. Un CD-Rom de la maquette 3D, copiable librement, est distribué à plus de 600 000 exemplaires durant plusieurs années. C’est aussi l’époque où Hugues Aubin invite les Rennais à se transformer en « bêta-testeurs » pour améliorer la maquette numérique à partir de leurs propres observations.
    Alors qu’il se passionne actuellement pour les imprimantes 3D et l’aventure collective du LabFab (lire l’article d’Anne Chevrel à ce sujet page 58), Hugues Aubin n’en oublie pas pour autant toutes ces aventures pionnières menées depuis une dizaine d’années dans une agglomération rennaise transformée pour l’occasion en vaste terrain de jeu numérique. Impossible de toutes les citer ici, mais mentionnons tout de même l’expérience des blogs (en 2005, avec « Tout Rennes blogue ! » et plus de 6500 objets postés sur la ville).
    « Je ne suis spécialiste en rien », résume Hugues Aubin. « Pour moi, l’innovation c’est l’hybridation de choses anciennes. Mon but, c’est que chacun puisse s’approprier des dynamiques de collaboration durable. » Aujourd’hui, cet électron libre jouit d’un positionnement atypique dans l’organigramme de l’administration municipale. Mais finalement, le cadre importe peu. Il sait bien qu’ici ou ailleurs, le champ des possibles numériques est infini.