Le terme est né outre-Atlantique et ne serait, aux yeux de certains, qu’un énième feu de paille médiatique dans une société à la recherche de nouveaux paradigmes. Pourtant, les makers sont de plus en plus nombreux à se définir eux-mêmes comme des bricodeurs, synthèse foisonnante du bricoleur et du codeur informatique. Le maker serait donc un curieux, prêt à décortiquer un programme informatique pour le comprendre, comme il le ferait d’une simple cafetière. Mais cette curiosité vise, avant tout, à lui permettre de fabriquer lui-même tous ces objets du quotidien qui intègrent de nouvelles technologies.
Si ces bricoleurs d’un nouveau type ont aujourd’hui le vent en poupe, c’est en grande partie du fait des imprimantes 3D, grâce auxquelles, disent-ils, fabriquer des objets à domicile deviendra aussi courant que de retoucher des photos. Certains produisent déjà leurs propres meubles, pièces de vaisselle ou jouets numériques dans leur garage.
Le coté novateur du mouvement tient pourtant moins à ces technologies qu’à l’esprit qui le caractérise. Les makers prônent l’open source, la libre disponibilité pour tous des schémas de fabrication des objets qui nous entourent, sans restriction de copyright. John Lejeune, responsable du LabFab de l’école des Beaux-Arts, met en avant la notion de capacité citoyenne, ce que les anglo-saxons appellent empowerment. Il s’agit de partager son savoir et de bénéficier des découvertes de la communauté, pour retrouver la possibilité de faire ou de réparer soi-même. « Je fais souvent l’analogie avec l’alimentation. On exige, aujourd’hui, de savoir ce qu’il y a dans nos assiettes. C’est la même chose pour les objets. On consomme bien sûr, mais on veut savoir quoi. » Cesser d’être consommateur et devenir acteur, en somme.
Derrière cette préoccupation s’inscrit aussi la volonté d’aller vers un monde plus durable qui contournerait l’obsolescence programmée des objets usuels. En comprenant le fonctionnement des programmes de nos téléphones ou de notre électroménager, les makers acquièrent la capacité de prolonger la vie de ces machines, que l’industrie voudrait nous voir renouveler régulièrement.
L’idée fait son chemin. Trop lentement aux yeux des makers militants. Certaines collectivités voient pourtant dans la création de lieux où les makers peuvent échanger et fabriquer, un enjeu d’animation de la vie du territoire. Le LabFab (comme laboratoire de fabrication) de l’école des Beaux-Arts, a déjà vu passer une cinquantaine de bricodeurs depuis son ouverture en mars 2012… et près de 4 000 curieux, en juin 2013, lors de la fête Tu imagines ? Construis ! Il revendique pleinement cette vocation de valorisation des savoirs faires des habitants. Lieux de transmissions intergénérationnelles, de mutualisation des compétences et d’animation d’une ville : on retrouve là tous les critères d’un « bon » équipement de proximité.
En juin dernier la ministre chargée des PME, de l’Innovation et de l’Economie numérique, Fleur Pellerin a lancé un appel à projet national visant à soutenir le développement de LabFab et d’Espaces Publics Numériques dans toute la France. En 2012, vingt des 150 LabFab recensés dans le monde étaient français. Un collectif composé de Rennes Métropole, des universités rennaises, de la CCI et d’associations s’est constitué pour y répondre. Richard de Logu, qui pilote le projet pour l’association BUG, y voit une formidable opportunité pour Rennes. « Il faut profiter de cet appel à projet pour créer des ateliers dans les équipements de proximité. On y fera de la pédagogie, de la formation, du prototypage. Ces ateliers constitueront un réseau, un LabFab étendu à l’échelle de l’agglomération.» La réponse du ministère est attendue à la mi-octobre, mais quel que soit le montant des subventions obtenu, le projet de création de tels ateliers dans les quartiers est d’ores et déjà en marche.
Le projet du ministère de l’économie numérique vise, avant tout, à développer l’innovation économique en proposant ce type de services aux entreprises, et plus particulièrement aux TPE et PME. Elles pourront, au sein de Tech Shops, utiliser fraiseuses, découpes laser et imprimantes 3D pour produire leurs prototypes. Ghislain Castellan, jeune ingénieur chez Isocycle, une startup rennaise, utilise le matériel du LabFab : « Je travaille actuellement sur les pièces d’un vélo. Je les conçois sur un logiciel de dessin et au lieu de les fabriquer sur une machine-outil classique, je les matérialise grâce à l’imprimante 3D. C’est moins cher et ça me permet d’avoir très vite en main la pièce que j’ai conçue. Je peux tout de suite tester son ergonomie. »
Un maker malouin, Bertier Luyt, a été l’un des premiers en France à se positionner sur le secteur de l’accompagnement et de la fourniture d’imprimantes 3D aux entreprises. Fin 2011 il crée FabShop, une star-tup qui compte aujourd’hui neuf salariés « Les entreprises ne peuvent pas rater cette révolution. C’est un formidable accélérateur de la conception et de la production. Un seul exemple : Local Motors, un fabricant automobile américain a réussi à concevoir et fabriquer une voiture en quelques mois là où il faut, en général, plusieurs années. Il s’est appuyé sur une communauté d’ingénieurs, de designers et de simples fans de voitures, tous makers impliqués dans ces nouvelles technologies. » Convaincu qu’il faut diffuser cette nouvelle façon de travailler, le FabShop organisera, les 11 et 12 octobre prochain à Saint-Malo, une Mini Maker Faire, un rendez-vous entre ateliers, démonstrations et conférences, ouvert aux entrepreneurs, mais aussi au grand public et aux scolaires.
Le travail collaboratif n’efface pas toujours le rêve de la start-up. Certains makers l’avouent à demi-mots : l’enjeu est de dépasser le stade du bricolage génial pour déboucher sur un projet entrepreneurial. Ils aimeraient pouvoir tirer des revenus de leurs innovations, trouver un modèle de diffusion et de commercialisation… tout en laissant plans et schémas en libre accès.
C’est là un paradoxe et une difficulté majeure pour le mouvement, tiraillé entre la volonté de partage de l’innovation et la crainte de sa récupération par le secteur économique classique. Alors, protéger ou pas ? John Lejeune écarte sans hésiter cette option : « Est-ce que quelqu’un s’étonne qu’il n’y ait pas de brevet sur les crêpes ? Il y a des crêperies partout dans le monde, beaucoup de gens vivent de cette activité. Chacun a sa propre recette sans qu’il y ait eu besoin de la figer. On devrait pouvoir fonctionner de la même manière avec les technologies numériques. »
Si, comme lui, nombre de makers remettent en cause l’économie de la rente issue de ces brevets, ce point ne fait pas consensus. La question de la propriété intellectuelle de l’innovation se posera, sans doute, avec d’autant plus de force que les réalisations de makers se feront plus nombreuses.
Site Internet du LabFab rennais : www.labfab.fr