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Initiatives urbaines
#07
Jean-Pierre Pranlas- Descours : la vertueuse
et la tumultueuse
RÉSUMÉ > Après Alexandre Chemetoff, Jean-François Revert, Nicolas Michelin, Jacques Ferrier et Philippe Madec, Jean-Pierre Pranlas-Descours est le nouvel invité de cette série consacrée aux architectes et urbanistes étant intervenus à la fois à Rennes et à Nantes.

« À Saint-Jacques, je me suis souvent senti comme le « Monsieur Jourdain » de l’écoquartier! »

Jean-Pierre Pranlas-Descours est architecte-urbaniste.  

L’urbaniste des territoires partagés

     Né en 1956 à Paris, Jean-Pierre Pranlas-Descours a suivi ses études à Versailles à la charnière des décennies 70 et 80 dans une école d’architecture alors partagée entre les règles strictes de la composition urbaine enseignées par Philippe Panerai et l’expressionnisme architectural développé par Henri Gaudin. Gaudin plutôt que Panerai, nous a-t-il dit, même s’il se souvient avoir « louvoyé » au cours de ses études et avoir été également marqué par les cours de Jean Castex sur le baroque.
     Un « voyageur », diplômé en 1982, dans la foulée lauréat des Albums de la Jeune Architecture en 1984, et un séjour à la Villa Medicis en 1986-87, juste avant le concours initiatique pour le prolongement de la Diagonal à Barcelone, gagné en 1989 mais par principe « les Barcelonais n’avaient besoin de personne »! Et « le premier véritable concours », c’était à Saint- Jacques-de-la-Lande, près de Rennes, en 1992, là où Jean-Pierre Pranlas-Descours, avec les paysagistes Bruel-Delmar, aura posé dans la Zac de la Morinais sur près de vingt ans les jalons d’un nouveau centre, ni plus ni moins.
     Les grands principes :
     – des îlots d’une centaine de mètres de côté, inspirés par l’exemple barcelonais,
     – un noyau central de quatre îlots regroupant immeubles de logements collectifs, équipements et services,
     – un mail Léon-Blum structurant les liaisons nord-sud et bordé d’immeubles de logements collectifs, trois étages en général,
     – à l’ouest de ce mail, sans doute la partie la plus intéressante et la plus complexe où les îlots articulent à nouveau du collectif, du logement intermédiaire et des maisons individuelles groupées, en ménageant des transitions graduées vers la campagne environnante. Certaines opérations y sont remarquables, en particulier, au sud, les maisons à patio conçues par Jean et Aline Harari et livrées en 2009 qui parviennent à conjuguer élégamment densité et intimité. Le plan-masse y est conçu de façon à ce que l’on n’y longe jamais deux R + 1 en vis-à-vis, qu’un mur bas succède toujours à un mur haut, que les grandes maisons implantées au sud n’ombragent pas les plus petites et qu’aucune façade principale ne regarde vers le nord. Le tout pour une densité de 64 logements à l’hectare…
     Ce chantier au long cours, dix-huit ans, aura accompagné la trajectoire et le destin d’un jeune adjoint chargé de l’Urbanisme depuis 1983, puis maire de 1989 à 2007, Daniel Delaveau, désormais maire de Rennes. De 1992 à 2010, sur 70 hectares, 2500 logements sont sortis de terre, des équipements publics, un parc de 35 hectares… Jean-Pierre Pranlas-Descours a vu son vaste chantier nominé au Prix européen d’urbanisme en 2006. L’architecte y construira d’abord des logements et le petit centre commercial qui ouvre ses portes en 1997. Puis le premier bâtiment public du nouveau quartier, situé juste au croisement des deux axes principaux, les rues Camille- Claudel et André-Malraux : une médiathèque en bois d’acajou et d’érable, béton blanc et sol d’ardoise sélectionnée pour le prix de l’Équerre d’argent en 2000 dont la façade reprend le rythme ternaire des immeubles environnants : soubassement, corps principal et attique. Viendront ensuite un immeuble de logements livré en 2003 et 129 logements collectifs en accession ainsi que 12 maisons groupées tout juste achevés l’an dernier.

« Vous avez dit “ville-archipel” »?

     À Nantes, dans le nouvel « écoquartier » de la Bottière- Chénaie dont Jean-Pierre Pranlas-Descours a également posé les grands principes et accompagné les premières constructions depuis 2003, le premier édifice public fut une école primaire qui vient tout juste d’être livrée – l’école suivait de très près la médiathèque à Saint- Jacques. Visiblement séduit, le critique d’architecture Dominique Amouroux l’a visité récemment pour une livraison de Place Publique Nantes en se demandant toutefois « quelles raisons poussent à urbaniser 35 nouveaux hectares plutôt qu’à densifier les zones déjà urbanisées » . Et ajouterions-nous, n’y avait-il pas quelque paradoxe à construire un « écoquartier » sur d’anciennes tenues maraîchères qui auraient pu contribuer à l’autonomie alimentaire d’une métropole de plus en plus dépendante de ses flux d’approvisionnement? Mais à lire l’entretien que nous a accordé Jean-Pierre Pranlas-Descours, on constate très vite que ces questions n’épargnent personne et qu’une partie de sa mission aura justement consisté, à Saint- Jacques comme à Nantes, à donner les raisons et le sens de la construction d’un nouveau quartier, « éco » ou conventionnel là n’est pas la question.
     À l’occasion d’une exposition, pionnière sous bien des aspects, qui se tint en 2002 au Pavillon de l’Arsenal à Paris dans la foulée de l’élection de Bertrand Delanoë, le commissaire scientifique Pranlas-Descours y disait souhaiter « aborder l’archipel métropolitain non comme un projet inachevé, mais tel une diversité de lieux où se mêlent des projets complexes et des situations échappant à toute pensée urbaine globalisatrice » . Intitulé de cette exposition, L’Archipel Métropolitain. L’archipel, vous avez dit ville-archipel ?

PLACE PUBLIQUE > Rennes la vertueuse et Nantes plus tumultueuse, la comparaison vous semble juste?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Il est vrai que Rennes garde toujours un peu cette image de « premier de la classe », capitale de la Bretagne par choix politique. Rennes sera donc toujours un peu le « bon élève » tandis que Nantes demeure la capitale historique. Et il est troublant que la géographie elle-même confirme ce profil. Il n’est pas jusqu’à l’adaptation au sol et l’organisation morphologique qui reflètent deux formes de pensée et deux mentalités différentes !

PLACE PUBLIQUE > Quel rapport à l’eau, et à leur fleuve, ces deux villes entretiennent-elles ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Sur ce plan-là, c’est une évidence: là où le fleuve tour à tour stabilise et déstabilise les développements nantais au fil des siècles, à Rennes on a couvert sans états d’âme la Vilaine pour en faire un parking. La rivière a été neutralisée, point.

PLACE PUBLIQUE > Comment se noue le rapport centre-périphérie au sein de ces deux agglomérations ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Quand je suis arrivé à Rennes il y a vingt ans, c’était une ville sans banlieue, extrêmement compacte, enserrée dans sa rocade avec seulement quelques quartiers excentrés. En revanche, à Nantes, Saint-Herblain et Rezé avaient atteint depuis longtemps déjà les 50 000 habitants sur un territoire qui s’équilibrait déjà différemment. À Rennes, le premier quartier qui était en train d’affirmer sa centralité-périphérique, si je puis dire, c’était Saint-Jacques-de-la-Lande à travers une centralité qui n’était plus liée au lotissement. Cesson-Sévigné existait déjà, mais sur le modèle un peu classique du lotissement cossu, tandis que Saint- Jacques construisait autre chose, quelque chose comme une prise de territoire autour d’une urbanité dense dans un rapport ambigu conjuguant extra-territorialité et intraterritorialité puisqu’une partie de Saint-Jacques se trouve à l’intérieur de la rocade de Rennes. Un territoire à la fois détaché et rattaché qui s’incarne dans le destin politique de l’ancien maire, Daniel Delaveau: il a inventé la ville à l’extérieur avant d’arriver aux commandes de la ville-centre. Son destin politique était en quelque sorte inscrit dans son projet intellectuel de donner un centre à Saint-Jacques.

PLACE PUBLIQUE > Le parallèle avec le parcours de Jean- Marc Ayrault est troublant…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
En effet, il a suivi ce même déplacement de Saint-Herblain à Nantes, mais dans des configurations urbaines et à travers des époques différentes. Et puis Rennes a toujours été à gauche alors que Jean-Marc Ayrault a succédé à un maire de droite. L’un est arrivé dans le conflit, l’autre dans la continuité, et je sens à Saint-Jacques une autre continuité bénéfique se dessiner entre Daniel Delaveau et son successeur Emmanuel Couet.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez donc accompagné et planifié l’essor de cette « centralité périphérique »…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Nous avons, il est vrai, mené ensemble ce projet autour de l’affirmation forte d’un territoire, mais au fond, qu’est-ce qu’un centre-ville aujourd’hui ? 1 % du territoire européen, tout au plus ; en revanche une affirmation identitaire, certainement. Saint-Jacques, c’est le projet d’une génération, initié il y a dix-huit ans déjà, en 1992. Daniel Delaveau avait tout juste 40 ans, le directeur de l’aménagement, Yannick Filly, aussi, les paysagistes Christophe Delmar et Anne-Sylvie Bruel, 40 et 41 ans, et moi 36 ans… Une génération de jeunes quarantenaires se trouve donc en position de décider, avec un véritable pouvoir mais sans savoir exactement comment l’exercer, ou plutôt sans modèle préétabli et surtout sans a priori. Nous sommes allés en Belgique, puis montés jusqu’en Hollande visiter de nouveaux quartiers pour en tirer quelques leçons, nous sommes allés voir les cités-jardins de la région parisienne… Bref, nous nous sommes formés réciproquement. D’ailleurs, à l’occasion du concours, les autres concurrents ont rendu des images d’urbanités alors que je me suis limité pour ma part à une « boîte à outils » avec des petits schémas sur la topographie, sur le paysage… Je ne savais pas trop, des vaches, des chevaux, et projeter là un nouveau quartier ! En revanche je savais que c’était avec ces outils qu’il me fallait faire le projet. Et c’est en présentant d’abord une manière de fabriquer le projet que j’ai gagné le concours. Mais je ne cherchais pas du tout, comme on dit, à y « faire une affaire », à y prendre une commande pour faire tourner une structure, d’ailleurs je n’en disposais pas à l’époque. C’était un beau sujet, extrêmement intéressant sur le plan théorique.

PLACE PUBLIQUE > Et à Nantes, la Bottière?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
La situation est différente. La ville n’avait pas le même projet politique sur ce nouveau quartier et puis nous avons été choisis notamment parce que les gens de Nantes étaient allés voir Saint-Jacques pour comprendre les principes de cet urbanisme et voir s’il était possible de discuter ensemble, un peu « à la nantaise » en somme. Il ne s’agissait pas pour autant de reproduire les solutions de Saint-Jacques puisque le périmètre de la Bottière-Chénaie est déjà compris dans les limites de Nantes, construit sur une poche restante, une ancienne tenue agricole, avec une très grande efficacité territoriale: desserte de deux stations de tram, 15 minutes de la gare et 20 du centre-ville. À Nantes, il nous a fallu plutôt travailler sur les liaisons du nouveau quartier avec les territoires qui l’entourent, en étant moins attentifs au dessin urbain. D’où le choix de notre dénomination, « projet d’association urbaine », association entre les barres modestes de la Bottière, les maisons individuelles préexistantes et le grand site du lycée de la Colinière. J’avais également beaucoup insisté sur un axe nord-sud qui relie le nouveau quartier à Doulon le long d’un grand parc linéaire, et sur l’importance stratégique de la route de Sainte-Luce mais Nantes Métropole ne nous a pas donné la maîtrise d’oeuvre urbaine sur cet axe pourtant territorialement structurant.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les éléments qui, malgré tout, rapprochent la Bottière et Saint-Jacques ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Chacun de ces deux projets est d’abord lié à des questions de territoire, de paysage et de relation aux tracés et aux traces. Les deux sites sont réunis par la présence forte de l’empreinte agricole à l’origine d’une mutation urbaine, pas tant sur le plan de la nostalgie plutôt sur la question de l’échelle territoriale. Les tracés agricoles sont à l’origine d’une certaine échelle, en somme une matrice pour de nouvelles formes d’urbanité.

PLACE PUBLIQUE > Le projet pour la Bottière remonte à 2003, Saint-Jacques, 1992. Si Saint-Jacques avait été conçu au milieu des années 2000, l’aurait-on dénommé « écoquartier »?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Mais Saint-Jacques est un écoquartier. Avec cette opération, je me suis d’ailleurs souvent senti comme le « Monsieur Jourdain » de l’écoquartier ! Les Rives de la Haute Deûle à Lille et la Bottière- Chénaie à Nantes sont venues par la suite confirmer cette intuition qui invite à revenir, a posteriori, sur le cas de Saint-Jacques où l’on partait déjà d’une réflexion sur l’économie du territoire, la mixité, les densités, les types d’habitats, les accessibilités… En somme, il y manquait seulement les objectifs thermiques ambitieux pour revêtir la panoplie complète de l’écoquartier ! Mais les fondements sociaux y étaient dès l’origine. Je suis allé en mars 2010 au Forum mondial de l’urbanisme à Rio qui portait sur « le droit à la ville » et nous avons visité l’exemple de Curitiba où l’un des objectifs est l’alphabétisation de 100 % de la population. Au Brésil, cela signifie quelque chose. Et à mon sens, il est là, le fondement d’un écoquartier, bien plus qu’autour des panneaux solaires.

PLACE PUBLIQUE > Conduire un projet urbain, cela revientil à « faire de la politique autrement »?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Je dirais que c’est avant tout faire de la politique, et peut-être même ne faire que de la politique. Mon activité se partage entre architecture et urbanisme, et pour moi, me lancer dans un projet urbain, c’est ma forme d’engagement politique. D’ailleurs, on retrouve les caractéristiques d’un engagement politique, en premier lieu cet enthousiasme intellectuel très fort au début du projet, période que l’on peut tout à fait rapprocher d’un début de mandat. Enthousiasmant au départ, toujours, parfois décevant au terme, et régulièrement épuisant à la longue lorsqu’il s’agit de gérer les conflits entre tous les acteurs… Oui, c’est une forme de militantisme, et je me souviens de Rem Koolhaas revenant récemment à Euralille pour y constater que oui, finalement, ce que j’ai réalisé ici, c’est bien un véritable projet politique. Et en effet, c’est une vision politique du territoire qu’il a développée là-bas avec une certaine conception de la vie en commun.

PLACE PUBLIQUE > Avec le recul, quel a été le coeur de votre projet pour Saint-Jacques ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Réfléchir sans cesse aux mixités typologiques et aux formes d’habitat, entre collectif, intermédiaire, et individuel. Réfléchir aux agencements et aux associations: voilà la base stratégique de notre projet. Le récent retour en grâce du logement intermédiaire, nous l’avions d’ailleurs déjà initié là-bas il y a quinze ans. Cet urbanisme mélangeant vertueusement les formes d’habitat, nous l’avons fait à Saint-Jacques.

PLACE PUBLIQUE > Et la place de la voiture?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Nous avons fait un pas supplémentaire sur ce sujet à la Bottière où le coeur du quartier, plus dense, a été conçu de telle manière que la voiture stationnée en soit absente. Ce sont de grandes rues paysagères, comme de grandes courées en longueur pourvues d’un système d’assainissement, où la voiture se retrouvera au coeur des immeubles ou dans les parkingssilos mutualisés. Les mêmes solutions ont été mises en oeuvre à Copenhague il y a vingt-cinq ans, et cela dit bien quel peut être notre retard en la matière. Ce n’est pas une question de forme architecturale – d’ailleurs, l’écriture architecturale, je m’en moque un peu – mais une question de programme. On peut s’agiter et mettre de la couleur un peu partout, comme à la Bottière récemment, mais au fond cela n’ajoute rien au projet, cela donne juste la petite satisfaction d’avoir été absolument contemporain, mais le coeur des enjeux n’est pas là, à mon avis. Je préfère me situer dans un long processus et en ce sens Saint-Jacques a été une expérience très riche.

PLACE PUBLIQUE > C’est fini, Saint-Jacques ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Pas tout à fait, nous devons juger ces jours-ci un concours pour une petite mairie et puis un autre petit bâtiment doit bientôt se construire, une église conçue par Alvaro Siza en laquelle je crois beaucoup. Enfin, deux îlots de logements doivent encore être construits sur la partie basse. Ils vont faire bientôt l’objet d’un appel d’offres et dans quatre ans, je pense que Saint-Jacques sera terminé. On y sera passé de 8000 à 15000 ou 16000 habitants, un doublement progressif de la population. Mais 3000 logements en vingt ans, c’est tout à fait raisonnable. Les Chinois auraient fait cela en quelques mois !

PLACE PUBLIQUE > Il s’agissait tout de même d’un « moment de croissance » singulier à l’échelle de l’agglomération rennaise…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
En effet, puisque Alexandre Chemetoff est arrivé en même temps avec ses deux Zac en centre-ville [Zac du Mail et Quai de la Mabilais] et depuis la Zup sud [Le Blosne], aucune action urbaine d’envergure n’avait été entreprise à Rennes. Ceci dit, je n’ai exercé qu’à Saint-Jacques et je n’ai jamais réussi à rien construire à Rennes-même – et ce n’est pas faute d’y avoir envoyé des dossiers de candidatures! Mais il y a eu, c’est vrai, à ce moment-là une activation remarquable de la politique urbaine rennaise.

PLACE PUBLIQUE > Et l’émergence de personnalités rennaises, je pense à Jean-Yves Chapuis en particulier, mais il y en a d’autres, qui vont populariser à l’échelle nationale, une doctrine forgée initialement à Rennes…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS > Quelle doctrine, au juste?

PLACE PUBLIQUE > La ville-archipel, non?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Oui, enfin, la ville-archipel est une notion qui est un peu venue après coup, comme une forme de rationalisation a posteriori. Vers 2003! En effet, la ville-archipel, c’était tout de même le titre de l’exposition que j’avais conçue en 2002 pour le Pavillon de l’Arsenal à Paris et ce terme de ville-archipel avait déjà été utilisé par Bruno Fortier dans ses écrits du début des années 1990. Mais qu’importe, ville-archipel, ville-territoire, tous ces termes disent un peu la même chose: l’ampleur de la lame de fond de la métropolisation, et ce à l’échelle mondiale.

PLACE PUBLIQUE > Et la prégnance de la ville des infrastructures, également…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Oui, je vois encore Daniel Delaveau me disant : entre l’aéroport, la rocade, la route de Redon, l’usine Citroën, les terrains militaires et la ligne TGV, il ne nous manque plus qu’une ligne électrique à haute tension! Le vide agricole sur lequel s’est bâti le projet à Saint-Jacques est en effet totalement conditionné par la présence conjointe de toutes ces infrastructures très proches du centre rennais. Je n’ai qu’un regret : que la route de Redon n’ait pas été « disciplinée » comme il avait été prévu, mais c’est un reflet fidèle du rapport extrêmement problématique en France qu’entretient le développement urbain avec les infrastructures. Ces deux cultures sont tellement détachées… Nous souhaitions faire de la route de Redon le support d’une transversalité urbaine avec des piquages réguliers des voies secondaires sur ce grand axe alors qu’aujourd’hui celles-ci se retrouvent en cul-de-sac. Un jour sans doute, cela arrivera… Les négociations continuent autour des deux ronds-points existants pour que l’on puisse au moins entrer et sortir. Et puis croiser, mais c’est une autre histoire, pour trois autres rues. Et ce quelle que soit la couleur politique, puisque toutes les collectivités sont désormais à gauche, agglomération, municipalité et Conseil général, mais les infrastructures, c’est une oligarchie! Je me souviens encore de Daniel Delaveau, furieux après que l’on eut érigé un merlon en terre le long de la route de Redon sans lui demander son avis, et se rendant sur le chantier avec toute sa fougue de jeune maire pour y dresser des procès-verbaux pour non-respect des arrêtés municipaux! C’est une vraie question urbaine. J’ai enseigné durant plus de huit ans aux Ponts et chaussées en espérant changer les mentalités de nos futurs ingénieurs, mais c’est une question tellement complexe! Nous ne sommes pas à Barcelone… À Barcelone, enterrer une autoroute, cela ne fait pas débat. C’est bien entendu un problème financier, mais ce n’est pas un problème intellectuel. Contrairement à la France, infrastructures et questions urbaines sont liées et l’on ne peut pas avoir une bonne réponse urbaine sans traiter de manière efficace l’infrastructure.

PLACE PUBLIQUE > Quelle influence le chantier de Saint- Jacques a-t-il eu sur la scène rennaise?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
C’est l’une des premières fois que l’on a fait venir à Rennes autant d’architectes nationaux ou parisiens. Jusqu’aux Hollandais de Claus en Kaan, et même Alvaro Siza.

PLACE PUBLIQUE > Et à Nantes ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
La commande était différente, en lien avec une société d’économie mixte (Sem), Nantes Aménagement, plutôt qu’avec une figure municipale. J’ai dû voir Jean-Marc Ayrault à trois reprises seulement, même si je sais qu’il connaît très bien le projet. J’ai surtout un souvenir de mes rapports avec son adjoint, Jean-Marie Pousseur, passionné par ce nouveau quartier, un homme adorable et un professeur de philosophie qui a suivi le projet de 2003 à 2008 en assistant à toutes les réunions, très assidu, très présent, la cheville ouvrière d’un projet sur lequel il s’est vraiment engagé sans avoir peur d’aller au charbon. Mais Nantes, c’est encore une autre échelle, une communauté d’agglomération très vaste, davantage d’acteurs, d’interlocuteurs, de strates administratives avec parfois le risque d’une certaine dilution. Et un maire qui doit par ailleurs assumer de grandes responsabilités au plan national. Mais des gens ont fermement tenu le projet sur le terrain, je pense en particulier à Luc Vissuzaine, et puis j’ai toujours entretenu un rapport de confiance avec la Sem, sans cela aucun chantier n’est possible.

PLACE PUBLIQUE > Vous arriviez de Rennes quatre ans seulement après Alexandre Chemetoff…

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
Je n’oserais pas dire qu’il s’agissait des deux « emmerdeurs » de Rennes qui arrivaient à Nantes, mais il y avait peut-être un peu de cela à l’origine! Des donneurs de leçons habitués aux oukases formels alors que je pense pour ma part ne m’intéresser à l’architecture qu’à travers la question urbaine. Encore une fois, ce n’est pas en juxtaposant de beaux bâtiments que l’on donne naissance à un espace public et que l’on fait une ville. Ce sont les choix programmatiques qui m’intéressent en premier lieu.

PLACE PUBLIQUE > Quel regard portez-vous sur ce grand projet de l’île de Nantes ?

JEAN-PIERRE PRANLAS-DESCOURS >
J’y admire la « prise de site » qu’a réussie Nouvel avec son Palais de Justice couplé à la passerelle des Barto. On peut dire ce que l’on veut de la Grande Bibliothèque à Paris, mais il me semble qu’il s’agit, en bordure de fleuve, d’une opération du même type. Mais au final, je regrette que cet édifice remarquable soit devenu un îlot presque comme les autres avec des bâtiments immédiatement voisins qui en arrivent même à le coiffer. On peut aimer ou non l’écriture de ce bâtiment, il est en tout cas indubitable que ce Palais de Justice aurait dû informer l’ensemble du territoire à venir, bref s’inscrire à l’échelle territoriale. Tout s’est passé comme si l’on avait travaillé à réduire sa présence, c’est regrettable. Et d’une manière générale, on a parfois l’impression d’une juxtaposition de bâtiments sur ce front de Loire. Cela dit, le fleuve demeure l’axe structurant à Nantes et tous les grands territoires de projets à venir se situent le long de la Loire.