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Contributions
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RÉSUMÉ > La disparition du professeur Jean Raux, le 23 décembre 2013, a suscité une réelle émotion qui a largement dépassé les milieux universitaires rennais. Fondateur de « l’École de Rennes de droit communautaire », Jean Raux avait contribué à créer une filière d’excellence autour des questions européennes. Engagé dans la cité et animé de convictions humanistes, il a marqué plusieurs générations d’étudiants et d’enseignants. Rédigé par ses collègues et amis pour Place Publique, cet article collectif revient sur une vie riche d’engagements et de projets.

     La scène se déroule le 25 juin 2013. Devant l’entrée des locaux flambant neufs du Centre d’Excellence Jean Monnet, un petit homme coiffé d’un panama sourit sous les applaudissements d’une foule visiblement émue du moment partagé. Élus, universitaires, anciens étudiants, ils sont nombreux à avoir souhaité manifester ainsi leur amitié et leur profonde gratitude à Jean Raux. Malgré la maladie contre laquelle il se bat depuis vingt ans, et la fatigue permanente qui limite ses déplacements, le Professeur a tenu à honorer de sa présence l’inauguration du bâtiment qui porte désormais son nom. Ce sera, pour beaucoup, la dernière image publique qu’ils conserveront de cet inlassable défenseur de la cause européenne. Six mois plus tard, l’annonce de son décès, le 23 décembre, suscite une réelle émotion qui dépasse largement les cercles universitaires rennais.

     Né en août 1936, Jean Raux a fait toute sa carrière à l’université de Rennes et s’est vite imposé comme l’un des pionniers du droit européen. Pour la première fois en France, dans les années 1960, la faculté de droit met en place des recherches et des enseignements dans cette discipline nouvelle, à l’initiative du Professeur Pierre-Henri Teitgen. En 1962-1963, Jean Raux, alors doctorant et assistant à la Faculté de droit de Rennes depuis trois ans, dispense un cours sur les organisations européennes. En 1964, il crée un cours sur les « Relations extérieures des Communautés Européennes » dans le cadre du DES de Droit Public. La même année, il obtient son doctorat d’État sur « les relations extérieures de la Communauté Économique Européenne », thèse pour laquelle il recevra le prix de thèse de la faculté et sera lauréat d’une bourse des Communautés Européennes.
    En 1966, Jean Raux fonde le Centre de Recherches Européennes de Rennes (CEDRE)- reconnu par le CNRS dès les années quatre-vingt, aujourd’hui rattaché à l’Institut de l’Ouest : Droit et Europe (UMR CNRS 6262), ainsi qu’un centre de documentation européenne qui constitue désormais l’une des bibliothèques spécialisée en droit européen les plus riches de France (voir encadré).
    En 1971, il crée le Diplôme d’Études Supérieures de Droit Public Européen qui deviendra le DEA de droit communautaire en 1980, puis en 2004 le « Master droit de l’Union européenne et droit de l’OMC ». Il le dirigera jusqu’en 1995 avant d’en confier la direction au Professeur Joël Lebullenger. Environ 650 étudiants ont bénéficié de cette formation depuis sa création.

     En 1992, Jean Raux obtient l’une des premières Chaires européennes Jean Monnet. En 1998, c’est sous son impulsion que naît un Centre d’études pluridisciplinaires sur l’Union européenne, connu aujourd’hui sous le nom de « Centre d’excellence Jean Monnet de Rennes » (voir encadré ci-contre). En 2000, il prit sa retraite et devint Professeur émérite.
    Au-delà de ses responsabilités académiques à la Faculté de droit de Rennes, il fut aussi notamment membre du jury de l’ENA et Président de la CEDECE, importante société savante en droit de l’Union européenne. Son rayonnement international l’amena à assurer de nombreux enseignements et séminaires à l’étranger, dans de nombreuses universités d’Europe du Nord, du Sud, de Russie, et jusqu’au Kazakhstan ! Il fut aussi Professeur au Collège d’Europe de Bruges (1986-1993).

     L’universitaire reconnu fut aussi un citoyen engagé. Jean Raux avait rejoint le Parti Socialiste en 1973. Il fut adjoint du maire de Rennes Edmond Hervé durant deux mandats, de 1983 à 1995, délégué aux relations internationales et aux affaires européennes. Selon les propres termes d’Edmond Hervé qui lui rendit hommage en 2012 lorsque Jean Raux devint Président d’honneur du Mouvement européen d’Ille-et -Vilaine, il fut « l’avocat des Droits de l’Homme » au sein du conseil municipal. Il participa « à l’écriture d’une doctrine des jumelages, de la coopération décentralisée et des relations internationales entre collectivités territoriales ». Il fut également « un médiateur » qui initia notamment la création de la Maison Internationale de Rennes (MIR) en 1984. Après la fin de ses mandats, Jean Raux fut un militant associatif infatigable et à l’origine de plusieurs associations rennaises parmi lesquelles Europe-Rennes 35 et la section d’Illeet- Vilaine du Mouvement européen.

     Tous ses étudiants le confirment : Jean Raux a su transmettre à ses élèves un savoir académique d’excellence, doublé d’un « savoir être » fait d’exigence personnelle, de dépassement de soi, de passion et de dévouement pour la chose publique. Une véritable leçon de vie ! « C’était un passeur et un fédérateur d’idées et de projets. Son attitude imprégnée d’esprit d’équipe et de solidarité, excluait tout comportement mandarinal. S’y ajoutait une autre qualité humaine précieuse : une grande tolérance à l’égard des autres et de leurs idées ; mais, une tolérance exigeante elle aussi, et non pas complaisante », soulignent plusieurs de ses collègues et amis.

     Au cours de sa carrière, Jean Raux a dirigé 44 thèses et il a assuré la direction de plus de 200 mémoires de DEA/Master 2. Ce Maître inoubliable a fait découvrir à ses élèves un nouvel archipel du droit qui, dans les années 60-70, n’en était qu’à ses balbutiements et n’avait pas encore acquis la reconnaissance parmi les autres disciplines juridiques. Véritable « père fondateur » d’une École rennaise de droit communautaire qui jouit désormais d’une notoriété internationale, ce pédagogue disponible et accessible a formé des générations d’étudiants. Ceux-ci occupent aujourd’hui de hautes fonctions dans les institutions locales, nationales et européennes, dans les instances universitaires, dans les cabinets d’avocats et dans les entreprises.