Quel est le point commun entre le Dyskograph, les aventures de Rick le cube, le projet We code expo ? Derrière le lecteur de disques graphiques, le petit personnage animé en forme d’œuf carré et la borne interactive qui reprend les principes de la programmation numérique se cache un même artiste, le Rennais Jesse Lucas. Ce trentenaire à lunettes, passionné de musique électronique et de multimédia, est l’un des pionniers de la scène VJ française. Le VJ ? Une sorte de DJ ou la vidéo remplace le disque ! En clair, un spectacle total mixant musique et images, créations virtuelles et interprétations en direct. Lorsqu’il n’est pas sur les routes pour un spectacle ou en résidence artistique pour développer de nouveaux concepts, Jesse Lucas peut être aperçu du côté du Jardin Moderne, au sein de la structure de production d’arts numériques Avoka, dont il est l’un des piliers avec son complice Erwan Raguenes, et avec lequel il forme le duo Sati.
Lorsqu’on l’interroge sur la création à Rennes, il se montre plutôt prudent. « J’y suis bien pour ma vie privée, peut-être davantage que pour ce que cela m’apporte dans le travail, analyse-t-il. Je crois que les créatifs apprécient Rennes pour le concept de “ville à taille humaine”, le cadre de vie, plus que pour les possibilités offertes dans leurs activités professionnelles. Mais je dirais qu’à Rennes, je suis à la maison. »
Le jugement pourrait paraître un brin sévère, s’il n’était étayé par une longue pratique des milieux artistiques locaux. « Dans mon travail de création et la fabrication des spectacles, j’ai eu souvent tendance à aller travailler en dehors de Rennes. À mes yeux, cette ville est presque victime de son succès. Les gens en ont une image très positive de l’extérieur. On parle de ville participative, de ville créative… Mais mon sentiment, c’est qu’à Rennes, la collectivité donne souvent l’impression de vouloir soutenir toutes les initiatives pour ne fâcher personne, et que du coup, elle saupoudre les aides, ce qui les rend moins efficaces. »
Comme d’autres artistes de sa génération, il évoque lui aussi le Stereolux, à Nantes, comme un lieu ressources idéal dans son domaine. Pas étonnant, donc, qu’on le retrouve dans les projets évoqués par Cyril Guillory, d’Electroni[k], pour imaginer un lieu de création d’arts numériques et visuels à La Courrouze (lire page 38). Si l’étiquette « artiste numérique » l’agace un peu – « cela ne veut rien dire, nous utilisons des outils numériques pour créer des œuvres artistiques », rappelle-t-il –, il observe que cette dimension commence à intéresser les métropoles, notamment dans une logique de promotion et d’attractivité. Le Dyskograph, dévoilé lors du festival Maintenant ! organisé à Rennes par Electroni[k] en 2012, a ainsi rencontré un réel succès par la suite dans de nombreux festivals et expositions. De même, l’installation IF, du projet We code expo, vient d’être présentée à la Médiathèque de Vitré et au Stereolux de Nantes, avant de connaître, espère Jesse Lucas, un développement plus important, à travers la réalisation d’une véritable série de bornes interactives et créatives qui permettra de les proposer à un plus large public pour leur apprendre les rudiments de la programmation de manière ludique et instinctive. Pour l’heure, l’artiste s’attelle à de nouveaux projets à dimension internationale. Son personnage-fétiche s’apprête à faire ses valises pour l’Asie : le nouveau spectacle pour enfants Rick le cube et les Mystères du temps sera présenté fin mars à Tokyo dans le cadre du festival Digital Choc, avec le soutien de l’Institut Français, et une tournée de dix représentations est prévue en juillet en Chine. Pas mal, pour une idée née à Rennes et qui a été présentée pour la première fois au public à l’Antipode il y a sept ans !