est-elle soluble
dans l’urbanisme ?
Un jeudi soir, rue Alexandre Duval, en lisière du nouveau quartier de la Courrouze. L’ancienne usine Amora, repaire des Ateliers du Vent, se dresse au milieu des engins de chantier et des immeubles flambant neufs. À ses pieds, une esplanade en construction est vouée à devenir la place centrale de ce nouvel espace résidentiel. Mais pour l’instant, elle accueille une étrange installation de bric et de broc, faite de containers, de lumières fluorescentes et de pseudo-cabines de téléportation en plastique. Bienvenue dans Train de Vie, une œuvre créée par le collectif d’artistes La Sophiste et des jeunes de l’association Tout Atout, accueillis en résidence durant quinze jours par les Ateliers du Vent. Mi-théâtre, mi-installation sonore, le tout en plein air et gratuit : une création qui correspond bien à l’esprit expérimental des Ateliers du Vent. Mais c’est peu dire que le spectacle tranche avec le reste du paysage. Aux décors en bois et en rubans magnétiques s’opposent les hauts immeubles cubiques et modernistes typiques de la Courrouze. Quelques visages curieux apparaissent parfois aux fenêtres éclairées pour regarder les spectateurs qui déambulent dans ce drôle de manège malgré la nuit et le froid. Parmi ces visiteurs bien emmitouflés, il y a Lou, venue en voisine. Cette femme d’âge mûr vient pour la deuxième fois aux Ateliers du Vent. Elle dit apprécier avoir « un lieu pas formaté » dans le quartier, selon ses mots. L’expression correspond tout à fait à l’endroit. « Les Ateliers du Vent sont un lieu d’expérimentation, dans le sens où l’on expé- rimente à tous les niveaux de la création : du départ de la pensée jusqu’à la diffusion de l’œuvre », explique Régis Guigand, l’un des cofondateurs des Ateliers. Un lieu pluridisciplinaire aussi : arts visuels, sonores ou numériques, écriture, théâtre, musique, poésie… Les pratiques de la trentaine d’artistes et techniciens établis ou associés sont larges. « On n’a pas d’a priori. La seule chose difficile serait d’accueillir un groupe de rock car les bâtiments ne sont pas suffisamment insonorisés », sourit François Doré, le président du conseil d’administration de l’association.
Nés en 1996, les Ateliers du Vent ont longuement bourlingué à travers Rennes avant de poser leurs valises à Cleunay en 2006. Grange, maison, immeuble puis usine : à chaque fois, des lieux désaffectés ou presque, investis par les artistes et transformés. Mais c’est la première fois que les Ateliers du Vent se retrouvent au cœur d’un espace, la ZAC Claude Bernard – Alexandre Duval, bouleversé de manière aussi radicale par d’autres projets. Le vaste terrain vague qui jouxtait l’usine, espace de jeu et d’expérimentation idéal pour les artistes, a désormais laissé la place à des immeubles et des entrées de parking. Face à une telle révolution urbaine, difficile pour les Ateliers du Vent de ne pas s’en emparer artistiquement. « Penser l’espace public, c’est quelque chose que nous faisons depuis longtemps. Nos Vilaines balades, par exemple, invitaient les gens à déambuler dans des lieux énigmatiques du quartier : des petits squares, des jardins, des caves… Mais penser l’aménagement, ça, c’est lié à la transformation du quartier », expliquent d’une même voix Régis Guigand, François Doré et Sophie Cardin, plasticienne. Qu’est-ce qu’une ville rêvée ? Où placer un point zéro sur la carte d’un quartier tout juste né ? Comment imagine-t-on le futur d’un lieu créé ex nihilo ? Autant de questions qui infusent la programmation des Ateliers du Vent cette année, avec par exemple la résidence de la plasticienne Magda Mrowiec autour du thème de la cartographie ou encore le court-métrage de fiction de Régis Guigand et Candice Hazouard, Futurrrr, qui sera projeté cet été. L’an dernier, les peintures décalées d’autoroute ou de montagnes réalisées par Sophie Cardin, inspirées des panneaux de promoteurs, avaient aussi fleuri à travers le chantier.
Au-delà de la création artistique, l’association a aussi mis les mains dans le cambouis. Elle participe à des réunions avec Territoires & Développement, la société d’aménagement urbain de Rennes Métropole, et à des réunions de quartier avec les nouveaux habitants. « Les gens nous demandaient si on allait faire du bruit, s’il y aurait beaucoup de voitures, si on allait faire de la métallurgie… », énumère Régis Guigand, « c’est important de se rencontrer et de parler, sinon il y a des inquiétudes ». Car ces nouveaux habitants ont emménagé au moment où les Ateliers du Vent ont fermé leurs portes pour travaux (voir encadré page suivante) : artistes comme habitants, ces nouveaux voisins vont donc devoir apprendre à cohabiter. Ainsi, terminées les longues soirées festives en extérieur : elles s’achèveront désormais à 22 heures pour ne pas gêner les voisins. Bon gré, mal gré, les Ateliers du Vent ont réussi à imprimer – un peu – leur patte dans ce nouvel espace. Une zone piétonne a ainsi été conservée au pied de leur usine. Et ils organiseront en mai un atelier consacré au mur antibruit qui longera la voie ferrée afin d’imaginer ses futurs usages.
« Les Ateliers du Vent n’ont jamais été un lieu de création coupé de leur quartier. On a toujours eu une attention aux voisins. On n’est pas une association « de » quartier, mais une association « dans » le quartier », expliquent François Doré, Sophie Cardin et Régis Guigand. En témoigne notamment l’AMAP hébergée depuis un an dans ses murs, et qui attire des habitants de Cleunay, d’Arsenal-Redon ou de la Courrouze. C’est par ce biais que Françoise Buot, membre de l’association d’habitants Courrouzifs, vient chaque jeudi dans l’usine. « Ce lieu est un foisonnement d’idées, de créations. C’est une chance de l’avoir dans le quartier. Même s’il faut parfois mettre le nez dedans pour comprendre ce qu’ils font », note-t-elle à juste titre, le côté pluridisciplinaire du lieu n’étant pas toujours facile à décrypter pour les novices. Exfriche artistique au cœur d’un urbanisme triomphant, les Ateliers du Vent sont aujourd’hui à la croisée des chemins. Bien obligée de s’intégrer dans ce nouvel environnement, l’association ne se veut pas, pour autant, animatrice de quartier. Mais saura-t-elle rester avant tout un lieu de création, alors que Territoires la baptise déjà « pôle culturel » dans ses plaquettes de communication ?