<
>
Dossier
#24
RÉSUMÉ > Fondé en 1988 par les Cadets de Bretagne, le théâtre Lillico s’apprête à vivre une nouvelle étape. Spécialisé dans la programmation de spectacles destinés aux enfants de 2 à 12 ans, il quitte ses locaux historiques et prend son autonomie par rapport à l’ancien patronage de la rue d’Antrain. Son festival-phare, Marmaille, qui fête cette année son vingtième anniversaire, aura tout de même lieu en octobre, sur le site de Guy Ropartz, à Maurepas. Explications et perspectives.

     Pour ses vingt-cinq ans, Lillico s’émancipe! Rien à voir, pourtant, avec la crise d’adolescence tardive d’une jeune rebelle. Dans son cas, la crise serait plutôt d’ordre immobilière. Dans les prochaines semaines, la compagnie théâtrale spécialisée dans l’accompagnement des jeunes publics s’apprête en effet à quitter ses locaux historiques de la rue d’Antrain. Cela faisait toutefois plusieurs années qu’elle cherchait à voler de ses propres ailes. Car Lillico faisait jusqu’à présent partie intégrante des Cadets de Bretagne, vénérable patronage catholique rennais né à la fin du 19e siècle.
     « La création du Théâtre, en 1988, revient à Michel Barry, alors directeur des Cadets de Bretagne, se souvient Christelle Hunot, directrice artistique de Lillico, arrivée à cette époque pour y réaliser un mémoire de stage. Il avait imaginé un projet culturel dans le cinéma d’art et essai du Rallye, qui avait périclité à la fin des années 80 ». Une salle bien connue des lycéens rennais qui venaient y découvrir par classes entières des films d’auteur et des grands classiques du 7e art.
     Ce faisant, Michel Barry renouait avec la tradition du lieu, car avant d’être transformé en cinéma, le Rallye avait été… un théâtre! Une anecdote, à ce propos: l’oritrigine même du nom des Cadets de Bretagne est liée à cette activité. En 1906, le patronage y avait accueilli une troupe de théâtre, les Cadets de Gascogne, et l’idée avait été retenue de baptiser la section de gymnastique du patronage du nom de Cadets de Bretagne. Une dénomination qui désignera par la suite la structure tout entière.

     Durant vingt-cinq ans, le théâtre Lillico va multiplier les initiatives en direction des jeunes publics, qui recouvrent ici la tranche d’âge des 2-12 ans. « Notre travail artistique porte sur la découverte de différentes disciplines: le conte, la chanson, le théâtre de marionnettes, la danse, y compris le cinéma d’art et essai pour les jeunes… », énumère Christelle Hunot. Quatre ans après sa création, Lillico lance le festival Marmaille, qui se déroule traditionnellement en octobre, avec une programmation foisonnante. Autre temps fort: Marmailles en fugue, durant les vacances de février, pour les tout-petits. Le festival réalise actuellement quelque 20 000 entrées, mais il a enregistré près du double dans les meilleures années.
     Car l’aventure n’a pas été de tout repos, pour des raisons qui aboutissent à la situation actuelle. L’origine du divorce de Lillico avec les Cadets de Bretagne tient sans doute à une question identitaire. Jusqu’à présent, en effet, le théâtre n’a aucune existence autonome. « Nous n’avons pas de vie associative, car nous sommes représentés par les instances des Cadets de Bretagne. C’est un vrai manque. Nos spectateurs ne sont ni des adhérents, ni des clients, nous avons une simple fonction d’accompagnement. Il est nécessaire et urgent de mettre en place un statut spécifique pour Lillico », affirme sa directrice artistique.

     À plusieurs reprises, le théâtre a cherché à prendre le large, mais le projet a été retardé par les difficultés rencontrées par les Cadets de Bretagne, placés en procédure de sauvegarde en 2007. Dans la foulée, ses effectifs ont été ramenés à 6 salariés à temps plein, contre 9 avant la crise. A ces difficultés statutaires, se sont ajoutées des tribulations immobilières. Propriété de l’évêché, les locaux de la rue d’Antrain sont vétustes et un vaste projet de reconstruction est à l’étude depuis plusieurs années, sur les terrains de sports situés juste derrière.
     Problème: il est prévu de démolir les locaux actuellement occupés par Lillico pour procéder aux sondages des sols en vue des travaux. Depuis plus d’un an, le théâtre vit avec cette épée de Damoclès. Mais les échéances, désormais, sont connues: les équipes devront avoir quitté les lieux avant la fin de l’été. « C’est difficile pour l’équipe, c’est une page qui se tourne et un saut dans l’inconnu », reconnaît, visiblement émue, Christelle Hunot.

     Fin octobre 2012, une nouvelle association Lillico a été créée pour piloter cet envol: outre la reprise des contrats de travail des permanents, jusqu’ici assurés par les Cadets, la compagnie s’emploie à trouver des solutions avec les collectivités partenaires pour assurer l’avenir. « La solution serait que Lillico se marient avec un théâtre de l’agglomération. Ce qui ne l’empêcherait pas de garder son festival à Rennes. Regardez ce qu’a réussi Mythos qui a désormais un lieu hors les murs – L’Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande – mais qui garde son festival à Rennes! », confie René Jouquand, l’adjoint au maire de Rennes chargé de la culture.
     Cette hypothèse ne ravit pas les équipes de Lillico, qui souhaitent rester dans Rennes, au plus près de leurs publics. Appelant depuis près d’un an leurs soutiens à entrer en « résistance » pour défendre leur projet, via une pétition sur leur site internet, elles ont d’ailleurs décliné la proposition qui leur était faite par la municipalité de s’installer dans les anciens locaux de l’école de la rue de Trégain, jugés trop exigus.

     Une solution, toutefois, semblait se dessiner à la veille de l’été. Les services de la ville ont proposé que Lillico installe en fin d’année ses bureaux dans l’ancienne maison de fonction de l’école de la rue Papu, à Rennes. Cette proposition, qui doit encore faire l’objet d’une étude approfondie, paraît satisfaire l’association. Dans l’immédiat, elle va poser provisoirement ses cartons sur le site de Guy- Ropartz, dans le quartier de Maurepas, qui accueillera de façon « exceptionnelle » l’édition 2013 du festival Marmaille, du 15 au 23 octobre.
     Une interrogation de fond demeure: où s’installeront les compagnies qui étaient jusqu’à présent accueillies en résidence par Lillico? Et comment se fera l’accueil des jeunes publics, notamment au sein de la Chuchoterie, un espace de découverte du livre et de l’art pour la petite enfance jusqu’ici installé rue d’Antrain (lire encadré) ?
     « Nous avons beaucoup travaillé sur notre projet. À terme, nous souhaitons disposer d’un espace de vie, proche de la population, avec un grand lieu d’accueil et de convivialité, qui serait aussi un point de rencontres et de croisement lors des créations. Notre travail pourrait même se développer dans une boîte noire: un espace vacant nous conviendrait bien », explique Christelle Hunot lorsqu’on l’interroge sur le futur de Lillico.
     De son côté, la direction générale de la culture de Rennes reconnaît que le patrimoine municipal ne dispose pas pour l’instant d’un tel lieu. Et c’est peut-être, en creux, un aveu d’impuissance traduisant une absence de positionnement clair en faveur des spectacles destinés aux jeunes publics dans la capitale bretonne.