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Dossier
#40
L’Hôtel à Projets Pasteur, chambres avec vie
RÉSUMÉ > Des Pompes funèbres qui renaissent en lieu de recherche et d’innovation, c’est le 104 à Paris ; d’anciens abattoirs reconvertis en lieu habités par les artistes et les publics, le Channel à Calais ; des usines ou d’anciennes brasseries réhabilitées en conviviales fabriques culturelles, ce sont les Maisons folies à Lille… À l’instar de ces aventures singulières, Rennes saura-t-elle avec l’Hôtel à Projets Pasteur expérimenter de nouvelles modalités de dialogue entre l’art, la science, l’action sociale, la santé, au carrefour de l’œuvre sensible, de démarches partagées et de multiples réseaux de sociabilité ?

     « Concierge, gardienne, femme de ménage, secré- taire, architecte… à Pasteur, je fais tout ! », reconnaît Sophie Ricard dans un insubmersible sourire. Jeune femme d’une énergie peu commune, elle est chargée de mission à Territoires Publics, maître d’ouvrage désigné par la ville de Rennes pour la définition du projet et l’aménagement du Bâtiment Pasteur. Issue de l’équipe de Patrick Bouchain – et du projet de l’Université Foraine mené jusqu’à fin 2014 – Sophie Ricard a du bagout et du bagage : elle a travaillé à Boulognesur-Mer, dans un quartier d’habitat insalubre qu’elle a réhabilité. Sa méthode : y habiter pendant trois ans, et faire avec les gens. « C’est aussi la méthode de Patrick Bouchain pour L’Université Foraine. Qui n’était pas pensée pour perdurer mais pour provoquer une dynamique, questionner la commande publique, et montrer qu’on pouvait faire autrement. »

    À la manœuvre aujourd’hui, Sophie Ricard est le couteau suisse de ce lieu atypique, singulier, investi depuis bientôt deux ans par des acteurs, des projets, des ateliers, culturels, sportifs, sociaux… de toute nature.

     Qu’on en juge par l’activité de ce seul mois de janvier : le LAP – laboratoire artistique populaire, espace de rencontres, d’échanges, de réflexion et de création collective – y a pris ses quartiers. Une trentaine de jeunes gens teste le lieu, investit les espaces pendant trois mois. Ensemble, ils y construisent leur QG. Au sens propre car ils ont installé un atelier. Ils ont fait appel à Gildas Prodhomme, un ancien du Bureau cosmique, frais émoulu de l’école d’architecture de Rennes. Cette semaine, ils peuvent croiser une jeune troupe qui, sous la direction de Chloé Maniscalco, monte un laboratoire de théâtre. D’autres « visiteurs » sont dans les lieux, pour tester une thérapie communautaire sous la houlette de L’envol (équipe mobile Précarité Psychiatrie du centre de soins en addictologie dépendant de l’Hôpital Guillaume Régnier), avec des personnels du CDAS et du CCAS. Au programme : des ateliers avec des bénéficiaires du RSA, qui se dérouleront à Pasteur. L’objectif étant pour ces partenaires de sortir de l’institution pour mieux renouveler leurs pratiques. Dans le cours de ce mois de janvier, il faudrait encore évoquer ce groupe constitué autour du partage de savoirs en danse. La présence, régulière et de plus longue date, de Breizh insertion sports qui propose des activités sportives à un public « précaire » qui rencontre des difficultés pour accéder à des salles de sport classiques… Poursuivant la revue de détail, on trouve les « geeks » de 3 Hit combo qui détournent le jeu Minecraft pour redessiner la ville dans le cadre du projet RennesCraft ; un laboratoire photo monté par des jeunes issus des quartiers (Cap insertion), un collectif d’habitants du centre-ville qui se réunit une fois par semaine ; un séminaire sur les publics organisé par le Musée des beaux-arts ; une formation pour un groupe de parents d’enfants atteints du trouble de l’autisme… Un tel foisonnement, pas toujours perceptible de l’extérieur et du visiteur occasionnel, transforme Pasteur en une véritable ruche. Il s’agit, dans le cadre de la réhabilitation et de la mission fixée par la ville de Rennes à Territoires publics, de définir un projet au travers des conditions d’usage du bâtiment et d’anticiper ses modalités de gestion.

     Le centre de soin dentaire situé au rez-de-chaussée du bâtiment devrait quitter le site en février 2018. L’école maternelle doit être inaugurée en septembre 2019. Il s’agit du transfert de l’école du Faux-Pont, qui passera de 6 à 8 classes. Le centre infos-écoles du boulevard de la Liberté, géré par la Ligue de l’enseignement, doit également lui être adjoint. Deux cours seront aménagées.

     Une première phase de travaux débutera dès 2016, avec la mise hors d’eau hors d’air par l’extérieur, ce qui permet de laisser le bâtiment ouvert. Un premier appel d’offres sera lancé. Les travaux, scindés en deux phases, donneront lieu à deux maîtrises d’œuvre. Le principe étant que Pasteur puisse rester ouvert pendant cette période. « On prendra le temps de faire de l’hôtel Pasteur un véritable lieu d’application à travers les différents chantiers d’aménagement, pour les écoles, les BTS, les Gretas, les associations d’insertion… Les apprentis plombiers, plâtriers, plaquistes, designers, architectes, artistes, travaillent généralement sur des supports qui ne servent pas ensuite, en dehors d’une réalité concrète, ce qui ne sera pas le cas ici », souligne Sophie Ricard. 

     Dans le cadre de la réhabilitation envisagée, les travaux de mise aux normes sécurité-incendie et accessibilité devront être réalisés « sans suréquiper ou suraménager, pour préserver une grande liberté d’appropriation et ne pas vouer les espaces à un seul type d’activité », prévient la responsable. À l’exception peut-être de quelques espaces, dont l’acoustique s’est révélée à l’usage, qui seront investis par des musiciens. Au total, l’Hôtel à projets disposera de 3 000 m2 , sur trois étages. Et pour entretenir la convivialité du lieu, une cuisine collective doit être aménagée qui donnera, peut-être, sur une terrasse située sur l’aile centrale du bâtiment.

     Car c’est bien l’idée-phare de la démarche : « Le croisement de ces projets peut produire de la rencontre, de l’inattendu », affirme Sophie Ricard, qui refuse de se définir comme « directrice artistique », car ce qui importe est de se soustraire à une ligne figée, un cahier des charges restrictif. « Pasteur est un lieu de travail et d’expérimentations avant d’être un lieu de diffusion. Ouvert aux forces vives de cette ville. Chacun se prend en main, dans l’action. Dans la plus grande mixité, y compris générationnelle car si le lieu est ouvert aux jeunes, à l’émergence, il n’est pas restreint à ces catégories. Il s’agit avant tout de faire société. Pasteur doit être une boîte à outils, pour tous. Permettre à des institutions d’expérimenter d’autres manières de faire. Relier savoirs savants et savoir-faire. Les arts et les arts de faire. Dans un centre-ville parfois trop expurgé des artisans, dédié au commerce », poursuit cette passionnée. Situé en cœur de ville, le site Pasteur, monolithe encaissé le long des quais, s’inscrit de surcroît dans une problématique nationale : que fait-on de ce patrimoine délaissé alors que les moyens sont comptés et les normes draconiennes ? Un palais des sciences et techniques, ont proposé des universitaires soucieux de valoriser des collections scientifiques. « La ville n’a pas souhaité le vendre un euro symbolique à un promoteur qui en aurait fait un hôtel de luxe » rappelle Sophie Ricard. « Elle a délégué la maîtrise d’ouvrage à Territoires publics, sous la direction de Jean Badaroux, en maintenant l’ouverture du bâtiment et en votant un investissement de 10 millions d’euros pour la totalité des travaux. Avec cette philosophie : faisons confiance aux gens qui sont porteurs de projets et, ensemble, imaginons ce que l’on peut en faire, en rassemblant des savoir-être, des savoir-faire, des savoirs-savants. Le développement durable aujourd’hui c’est plutôt reprendre possession de ce que j’appelle le déjà-là ». Non pas tout détruire ou tout reconstruire mais mieux habiter ce dont nous héritons. D’autant que ce patrimoine a déjà connu des mutations, ayant successivement accueilli la faculté des sciences, la faculté dentaire (à la faveur d’une occupation en 1968), puis le centre de soin universitaire.

     Ni squat, ni nouvel équipement culturel, ni institution, l’Hôtel à Projets entends favoriser la convivialité et le partage, l’expérimentation plutôt que la reproduction, l’accueil des acteurs émergents, la production d’un travail, d’un acquis, d’une valeur… Il n’est pas non plus un guichet qui distribuerait des subsides, et devra trouver un modèle économique qui lui permette de faire vivre ces 3 000 m2 sans engendre un budget de fonctionnement trop important et avec une équipe réduite, du type chef de projet, administrateur, régisseur… La structure juridique est encore à l’étude, dans la perspective d’un mode de gestion collégial, d’une gouvernance partagée et collaborative avec ceux qui sont désireux de faire. Autour d’une assemblée mouvante de partenaires, représentants de la société civile, chacun dans sa discipline. En vue d’écrire les valeurs autour desquelles chaque hôte se retrouve dans l’hôtel, travailler sur la programmation à travers les projets et non sur un programme d’aménagement classique, réfléchir ensemble à des nouveaux modèles de gouvernance.

     « Confiance, liberté, risque, hospitalité, ce sont des mots-clés qu’il ne faut pas perdre », remarque Sophie Ricard. Elle se veut confiante : « En deux ans, nous avons réussi à ne jamais perdre notre unique jeu de clés ! », sourit-elle. Un signe plutôt rassurant.