Voilà plus de trente ans déjà que la Feuille d’érable collecte et recycle papiers et cartons dans l’agglomération rennaise. Trente ans qu’une poignée de militants écologistes et amoureux des livres – ils fréquentaient la librairie associative l’Érable, boulevard de la Tour d’Auvergne – a eu l’idée de créer une association pour récupérer les vieux imprimés et les transformer en papier recyclé. « En 1983, il s’agissait de lutter contre le gaspillage, on ne parlait pas encore de développement durable ! Cette initiative fut la première en France », raconte Éric Challan-Belval, l’actuel dirigeant de la Feuille d’érable, qui s’est transformée en société en 2011. Biologiste de formation, passé par notamment par le secteur industriel, l’homme n’a rien d’un doux rêveur. Adepte du management participatif, il est très attaché aux valeurs de l’économie sociale et solidaire découvertes il y a quelques années chez Bretagne Ateliers. Depuis 2007, il pilote avec passion une entreprise qui devrait réaliser cette année 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une vingtaine de salariés en insertion, et une quinzaine de permanents.
Qu’il semble loin, le temps des pionniers qui parcouraient les rues de Rennes à bord d’une vieille camionnette Citroën rachetée à la Ville pour une bouchée de pain ! En 2013, la Feuille d’érable a collecté 4 300 tonnes de papier et cartons. Un volume en progression régulière. Pour parvenir à ce résultat, la professionnalisation s’est peu à peu imposée. « Les militants se sont formés auprès des industriels, ils se sont inscrits dans la filière professionnelle », souligne Éric Challan-Belval, en insistant sur la force de sa structure : « nous sommes capables d’aller chercher des petits gisements, qui n’intéressent pas forcément les gros opérateurs. C’est en ce sens que nous sommes parfaitement complémentaires ».
Depuis une dizaine d’années, la Feuille d’érable a abandonné la clientèle des particuliers. Mais ses camions sillonnent toujours l’agglomération rennaise, dans le cadre d’un contrat passé avec Rennes Métropole pour collecter papiers et cartons auprès des « producteurs non ménagers », c’est-à-dire les entreprises et les administrations. Cette collecte, c’est vraiment le coeur du métier de la Feuille d’érable. Afin d’améliorer la qualité de la ressource et réduire les coûts de recyclage, le tri à la source est désormais fortement encouragé. « On distingue trois catégories : les papiers blancs, les journaux magazines, les papiers de couleurs. Ils ne sont pas recyclés de la même manière, tout dépend de la qualité de papier que l’on souhaite fabriquer », explique le dirigeant. Ainsi, l’usine de la Chapelle Darblay à Rouen, qui produit du papier journal utilisé notamment par les rotatives de Ouest-France, n’incorpore dans son cycle de fabrication que des journaux magazines. Cette matière première est emblématique de « l’économie circulaire » : on estime en effet que le papier peut être recyclé entre 5 et 7 fois. Et il y a de la marge, lorsqu’on sait qu’un papier sur deux n’est pas recyclé du tout ! « Nous avons à notre disposition de véritables forêts urbaines : privilégions le papier recyclé plutôt que la déforestation, il s’agit d’un véritable enjeu environnemental », martèle Éric Challan-Belval.
Dans le domaine du papier de bureau – le coeur du marché de la Feuille d’érable – seulement 15 % de la consommation totale est remise dans le circuit. Or un salarié peut consommer jusqu’à 90 kg de papier par an, selon les chiffres de l’éco-organisme Écofolio. Du coup, les équipes de la Feuille d’érable incitent les clients à acquérir les bons gestes : ceux qui s’engagent à réaliser le tri à la source bénéficient d’un intéressement financier sur la vente de la matière première.
Une fois les tournées de ramassage effectuées, les camions convergent vers le siège de la Feuille d’érable, situés dans la zone industrielle Sud-Est, en face du Jardin moderne. Là, sous de vastes hangars, les bennes sont déposées et leur contenu vérifié pour constituer des ensembles homogènes, qui seront ensuite livrés aux collecteurs-recycleurs. Mais le papier ramassé à Rennes ne quittera pas le territoire national, même si ce marché obéit à une logique internationale. Un choix assumé par la Feuille d’érable. Fidèle à ses valeurs, elle privilégie les circuits courts et l’approvisionnement des usines de transformation papetière situées en France, à Rouen, Le Mans, Nantes ou encore Château-Thierry… Ce qui s’exporte, en revanche, c’est le savoir-faire acquis au cours de ces trois décennies : « nous avons formé la quasi-totalité des entreprises de recyclage de papier carton en France, souligne Éric Challan-Belval. En 2005, nous avons accompagné un porteur de projet qui a créé une Feuille d’érable à Montpellier, dont nous sommes devenus actionnaires ». En 2009, la démarche a été structurée par la création d’un réseau national, le RAP (Réseau alliance papier), qui fédère une dizaine d’entreprises de l’économie sociale et solidaire du secteur. Et en 2012, un établissement secondaire de la Feuille d’érable a été créé à Caudan dans le Morbihan, avec trois salariés.
Quelles seront les prochaines étapes ? « Nous souhaitons développer l’entreprise au niveau régional, pourquoi pas dans les Côtes d’Armor et le Finistère, confie son dirigeant. Mais nous voulons également continuer à peser dans les discussions nationales. Le modèle alternatif que nous représentons est reconnu comme ayant sa place pour collecter davantage de papier en France ». La Feuille d’érable mise également sur son positionnement social pour séduire davantage de clients publics et privés. Mille tonnes de papier récupérées correspondent en effet à la création de dix emplois. Et au-delà du papier carton, qui demeure son coeur de métier, l’entreprise rennaise explore de nouveaux champs de développement. Elle a créé en 2010 l’activité Fago, qui consiste à collecter des cagettes et à les transformer en allume-feu écologiques, avec des jeunes en situation de handicap. Une initiative qui lui a valu d’obtenir le Trophée breton du développement durable l’année suivante. En 2013, elle a lancé une offre de collecte globale des déchets de bureau, baptisée Adalia. Et cette année, c’est l’ensemble de ce modèle qui a été récompensé par un Oscar d’Ille-et-Vilaine, dans la catégorie développement durable, couronnant ainsi sa performance économique au service du territoire.